Notre collaborateur et néanmoins confrère Laurent Léger a commis un nouveau méfait. Après « Trafic d’armes, une enquête sur les marchands de mort », le sieur Laurent s’est attelé à décrypter un autre sujet léger, « Claude Chirac, enquête sur la fille de l’ombre » (Flammarion).
Petit scoop, il n’y a pas qu’un Chirac l’Africain, grand cultivateur d’amitié avec les vieux pontes africains. Il y a aussi une Chirac l’Africaine. Claude Chirac pour être exacte, dont le rôle de conseillère de papa a fait des émules dans les présidences du continent. Extraits.
« Dans les démocraties d’aujourd’hui, il n’y a pas d’autre exemple d’un chef d’Etat qui soit conseillé par sa femme, son fils ou sa fille avec tant de constance, d’influence et de longévité. François Mitterrand avait nommé son fils, Jean-Christophe, jusqu’alors journaliste à l’Agence France-Presse, à la cellule africaine de la présidence. Au début, il se contentait de donner un coup de main au « Monsieur Afrique » du chef de l’Etat, Guy Penne, un ami de longue date de Mitterrand. Rapidement surnommé « Papa-m’a-dit », ses faits et gestes étaient suivis de près et décryptés dans les capitales du continent noir où sont nombreux « FFD », les « fils et filles de », selon l’expression du sociologue Frédéric Teulon, dont les papas présidents ont fait leurs conseillers ou leurs ministres. Sans parler des fistons promus hommes d’affaires par la grâce paternelle et, de ce fait, promis à l’opulence.
Jean-Christophe Mitterrand était en charge d’un champ important, mais restreint. Contrairement à Claude Chirac, il ne se mêlait pas des affaires de la France, n’avait pas son mot à dire quand le chef de l’Etat s’apprêtait à changer de Premier ministre, ne donnait pas son avis sur les projets de lois en cours, ne se prononçait pas sur les affaires du Parti socialiste, dont son père était l’ancien leader, et se prêtait encore moins, dans la coulisse, au jeu des soutiens et des alliances politiques. François Mitterrand ne puisait pas assurance et sérénité dans les rapports qu’il entretenait avec lui.
Parmi les « fils » et « filles de » ayant lié leur carrière à celle de leur père président, il n’y a pas en Europe d’exemple similaire. Il y eut Tatiana Diatchenko, la fille cadette de Boris Elstine, le premier président de la Fédération de Russie, de 1991 à 1999. Ingénieure, elle avait accédé au rang de ministre de la Santé en 1996 avant d’être nommée l’année suivante conseillère en communication du président russe. Mariée au directeur de la compagnie aérienne russe Aeroflot, surnommée par la presse « la princesse du Kremlin », elle avait expliqué avoir pris conseil pour ses nouvelles fonctions auprès de… Claude Chirac. « Elle m’a tout raconté et m’a donné un peu d’assurance en moi », a-t-elle déclaré au magazine russe Ogoniok. C’est son père, Boris Eltsine, qui lui avait recommandé de se tourner vers Paris : « Va voir comment travaille la fille de Chirac », lui avait-il dit. Son influence s’est exercée auprès de lui durant trois ans. Eltsine a démissionné le 31 décembre 1999. Depuis, démunie de protection présidentielle, Tatiana est citée dans divers scandales liés aux oligarques russes.
Ailleurs en Europe, dans l’entourage des chefs d’Etats, le cas de Claude Chirac est sans équivalent. Certains ont profité de leur nom de famille, tel Nicu Ceaucescu, fiston sans vergogne du dictateur roumain fusillé en 1989 à la chute du régime, patron des Jeunesses communistes roumaines. Ou Mark Thatcher, fils de la « Dame de fer » en Grande-Bretagne, qui s’étant lancé dans les affaires, s’est taillé une réputation sulfureuse, comme l’a démontrée sa participation récente à un coup d’Etat en Afrique. A la suite d’un arrangement avec la justice sud-africaine en janvier 2005, il a du payer 380 000 euros d’amende pour éviter la prison.
Sur le continent africain, en revanche, Claude Chirac a fait des émules dans des pays où l’état de droit n’est pas toujours de mise. Au Gabon, Pascaline Bongo dirige le cabinet de son père, le président Omar Bongo, au pouvoir depuis 1967. Elle est son bras droit depuis 1994 et gère également une partie du patrimoine familial ; elle est administratrice de nombreuses sociétés dans lesquelles Bongo a des intérêts. C’est dire l’entregent dont elle dispose. Quand Omar Bongo est reçu au sommet de l’Etat à Paris, sa fille aînée assiste souvent aux entretiens. Pascaline Bongo avait été invitée quand Dominique de Villepin a reçu à déjeuner le président gabonais et sa femme à Matignon le 23 juin 2005. Le chef de l’Etat gabonais a aussi nommé Ali, l’un des nombreux fils, ministre de la Défense.
En Egypte, le fils du président au pouvoir depuis 1981, Hosni Moubarak, Gamal, numéro trois du parti de son père, le Parti national démocratique (PND), hésite encore entre l’ombre du cabinet présidentiel et la lumière d’une candidature aux élections législatives, voire au prochain scrutin présidentiel de 2011. Au Congo-Brazzaville, le président Denis Sassou-Nguesso a confié sa communication à sa fille… Claudia, diplômée aux Etats-Unis et patronne de sociétés de construction. Son fils Denis Christel est chargé de négocier le pétrole congolais via la compagnie nationale. A l’un de ses neveux, Sassou a dévolu la direction du domaine présidentiel, et à un autre, sa sécurité rapprochée. Le chef de l’Etat sénégalais Abdoulaye Wade recourt aux services sûrement éclairés de son fils Karim et de sa fille Sindiely Aïda, une passionnée de course automobile qui participe chaque année depuis 2003 à la course du Paris-Dakar. Jean-Francis Bozizé, le fils du président de Centrafrique François Bozizé a été nommé directeur de cabinet du ministre de la Défense. Petite particularité : le titulaire de ce poste ministériel n’est autre que le chef de l’Etat… A Madagascar, l’ancien chef de l’Etat, Didier Ratsiraka, avait placé deux de ses filles dans des cabinets ministériels. »