Un retraité enfourche sa moto pour collecter ses points retraite. Un road-movie poétique déconnant. Rencontre avec un des réalisateurs grolandais, Benoît Delépine.
Bakchich : Une odieuse rumeur certifie que vous seriez l’amant d’une certaine Carla S…
Benoît Delépine : (Il se marre) Non, Bakchich, ce n’est pas moi et je n’aimerais pas être à la place du mec. Je dois préciser que Gustave (Kervern, autre réalisateur grolandais de Mammuth, NDLR) et moi sommes tous deux de bons pères de famille.
B. : Plus grave, Mammuth est estampillé « film du mois » par le magazine Première. Pas trop la honte ?
B. D. : Tant mieux, même si je pense que les gens ne lisent plus trop la presse papier. En tout cas, c’est mieux que d’avoir trois bonshommes qui vomissent dans Télérama.
B. : Pour "Mammuth", comment avez-vous convaincu Gérard Depardieu ?
B. D. : À l’origine du film, il y a une image : Depardieu, les cheveux longs, sur une vieille moto allemande, une Mammuth, en quête de ses points retraite. Sans Depardieu, on ne faisait pas le film ! Avec Gus, on a galéré comme des dingues pour obtenir son portable. Arrivés dans son restaurant, on découvre qu’il ne connaît ni Groland, ni nos films, ni rien. On lui raconte l’histoire pendant vingt minutes : il comprend tout, il y voit plus une histoire d’amour qu’autre chose, il connaît la Mammuth… Ensuite, il doit partir, mais il nous dit qu’il est d’accord pour le film. Je finis de manger, mais je me dis que ce n’est pas possible ! Je l’appelle sur le portable pour être sûr qu’il fait bien le film et il me lance : « Mais enfin, j’ai dit oui, j’ai dit oui. C’est pas entre pompiers qu’on va se marcher sur le tuyau ! » On n’avait même pas parlé d’argent !
B. : Et ensuite ?
B. D. : Comme nous bossons toute l’année sur Groland, nous devions absolument tourner "Mammuth" l’été, en juillet-août. En deux mois, nous avons écrit le scénario chacun de notre côté, Gus et moi. Malgré Gérard Depardieu et Isabelle Adjani au générique, nous n’avions pas le financement et le film s’est arrêté plusieurs fois car il nous manquait la moitié de notre budget, soit 1 million d’euros. Depardieu, dont le salaire était de zéro euro, nous épaulait à chaque galère et Gérard a réussi à convaincre tout le monde.
B. : Comment s’est déroulé le tournage ?
B. D. : Comme un rêve de cinq semaines. Nous sommes une équipe d’une dizaine de personnes. On peut changer une scène avec la découverte d’un lieu, d’un acteur. C’est ce qui donne de la vie dans nos films. Sur le tournage, Depardieu est un monstre qui hurle et raconte des conneries plus grosses que lui. Puis tu te rends compte que c’est pour ne pas penser à ce qu’il va faire, comment il va jouer. Dès qu’il y a le clap, il est le personnage. Il était concentré, sobre, volontaire – les assurances ne voulaient pas qu’il conduise sa moto ! – et on sentait que sa performance serait exceptionnelle. Dès le deuxième jour, il gueulait que ça lui rappelait les Valseuses. Il était heureux.
B. : Et Isabelle Adjani ?
B. D. : Formidable. Sur le tournage, c’était comme avec une copine de classe. Elle était attentive, toujours dispo, elle tournait elle-même ses plans en caméra subjective.
B. : "Mammuth", c’est le film anti-bling-bling par excellence, une oeuvre politique et forte sur « la France d’en bas ». Pourquoi cet amour pour le prolétariat ?
B. D. : En ce moment, je présente le film dans les salles de province. Eh bien, en train, il m’est impossible de monter en première, j’ai l’impression d’être avec des morts-vivants. Impossible ! On parle du prolétariat car c’est ce que l’on connaît. Je ne sais pas trop d’où viennent les autres réalisateurs français.
"On parle du prolétariat car c’est ce que l’on connaît"
Avec Depardieu le gros bourge comme tête d’affiche, le doute est tout de même permis…
dans le cas de Depardieu "le gros bourge", semblerait qu’il suffise de se souvenir d’où on vient…
ce poème-film est splendide, jusque dans ses imperfections.
amicalement
S.