En 1995, l’avocat Charles Poncet publie Nestlé, Bettencourt & les nazis, dans lequel il révèle les collaborations d’Eugène Schueller, le fondateur de L’Oréal, et d’André Bettencourt pendant la Seconde Guerre mondiale.
La saga L’Oréal démarre avec Eugène Schueller, le père de Liliane Bettencourt. Autodidacte de génie, il invente un produit capillaire et fait rapidement fortune. Son argent, il le met au service de l’extrême droite et devient un membre actif d’un mouvement clandestin, le Comité secret d’action révolutionnaire (CSAR), plus connu sous le nom de la Cagoule. Un groupe de sinistre mémoire qui va notamment assassiner en juin 1937 deux socialistes italiens réfugiés en France. « Pour Eugène Schueller, l’occupation de la France est d’abord l’occasion de faire de l’argent : le chiffre d’affaires de L’Oréal quadruple de 1940 à 1944 », écrit l’avocat suisse Charles Poncet.
Dans le même temps, un jeune homme ambitieux, André Bettencourt, âgé de 21 ans en 1940, exerce ses talents de journaliste dans l’hebdomadaire La Terre française. Une publication créée par la Propagandastaffel, un organisme chargé de la propagande nazie et qui sera déclaré « organisation criminelle » par le tribunal de Nuremberg. Parlant des juifs, qualifiés de « pharisiens hypocrites », le futur administrateur de L’Oréal écrit : « Pour l’éternité, leur race est souillée par le sang du juste. Ils seront maudits de tous ». André Bettencourt vante la collaboration. « La dénonciation serait-elle un devoir ? Oui, dans la mesure où elle sert véritablement la collectivité (…) Les jeunes doivent être, dans chaque village, les agents du Maréchal ».
Eugène Schueller et André Bettencourt ont deux points communs : ils sont pro-allemands, mais ils ne manquent pas de perspicacité. Dès la fin 1942 (le débarquement en Afrique du Nord), ils se rendent compte que Berlin va, tôt ou tard, perdre la guerre. Ils prennent contact avec la résistance. Ça tombe bien, le meilleur copain d’André Bettencourt est un certain… François Mitterrand. Résultat, Eugène Schueller et son futur gendre échappent à l’épuration à la Libération. Et François Mitterrand devient rédacteur en chef de Votre Beauté, un magazine féminin qui vante les produits de beauté de L’Oréal…
Eugène Schueller n’oubliera pas pour autant ses anciens compagnons, cagoulards et collabos. Même Jean Filliol, membre de la Milice, et Henri Deloncle, agent de la Gestapo, condamnés à mort à la Libération, se recyclent dans une filiale de L’Oréal… en Espagne. Des aventures vite oubliées puisque André Bettencourt, qui a épousé Liliane, la fille d’Eugène Schueller, en 1950, sera député, sénateur, et plusieurs fois ministre, notamment en charge de l’Industrie en 1968-69, et des Affaires étrangères en 1973.
L’Oréal n’est rattrapée par son passé qu’en 1989, lorsque l’entreprise démissionne Jean Frydman, un citoyen israélien, de Paravision, filiale audiovisuelle de L’Oréal, afin de satisfaire aux exigences de la Ligue arabe qui frappait de boycott toute entreprise en relation directe avec l’Etat d’Israël. « Jean Frydman m’a mis au courant du passé douteux de Schueller et de Bettencourt. Je me suis toujours intéressé à la Seconde Guerre mondiale. J’ai donc profité d’une année sabbatique en 1994 pour mener des recherches à Paris et à Berne », explique l’avocat Charles Poncet, auteur de Nestlé, Bettencourt & les Nazis (*).
L’ouvrage révèle qu’à partir de 1942, Eugène Schueller et André Bettencourt, afin de se faire quelque peu oublier en France, préfèrent goûter le bon air de la Suisse. Ils en profitent pour créer une filiale de L’Oréal dans la Confédération en septembre 1942.
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L’Oréal collabo, pourquoi pas. Le genre était fréquent : Peugeot, Renault, BMW, Varta, … Sans vouloir tirer sur les cadavres, il serait opportun (hélas utopiste) de remettre en cause les fortunes criminellement acquises.
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Certificats de non-judéité à Nestlé
« J’ai écrit à André Bettencourt pour savoir s’il reconnaissait les faits. Il a plaidé l’erreur de jeunesse et exprimé des regrets », souligne l’avocat genevois. Dans son ouvrage, Charles Poncet précise que c’est pendant la guerre, en 1942, qu’Eugène Schueller crée une filiale en Suisse de L’Oréal. Evoquant les liens entre L’Oréal et Nestlé (L’Oréal appartient à la société Gesparal, détenue à 51% par la famille Bettencourt et à 49% par Nestlé), l’auteur de Nestlé, Bettencourt & les nazis rappelle que la multinationale de Vevey s’est empressée d’écrire aux autorités allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale pour souligner « le caractère purement aryen de ses dirigeants », leur fournissant des « certificats de non-judéité ». Tout cela pour que l’on ne touche pas aux intérêts de Nestlé en France. I Note : 1 Charles Poncet, Nestlé, Bettencourt & les nazis, Editions de l’Aire, Vevey, 1995, 35 pages.