C’est avec un enthousiasme inquiétant que Nicolas Sarkozy et Xavier Darcos sont en train de transformer l’école publique. Derrière ces réformes, il y a une idéologie, inspirée de mouvements sectaires ou d’extrême droite. Elle est expliquée avec brio par Eddy Khaldi, enseignant et Muriel Fitoussi, journaliste, dans un livre à paraître lundi 25 août aux éditions Demopolis, « Main basse sur l’école publique ». « Bakchich » publie quelques bonnes feuilles de ce livre-enquête qui dépasse de loin le simple résumé des événements de l’année en matière scolaire.
Nouveaux programmes, suppression des cours le samedi matin, introduction de leçons d’instruction civique et morale, voilà un aperçu de ce qui attend nos petits inscrits à l’école primaire à la rentrée de septembre.
Il faut dire que l’école intéresse beaucoup le père Darcos.
Depuis septembre 2007, Xavier Darcos, ministre de l’Education nationale, a entamé son projet de réformes du primaire, qui n’est pas du goût de tous. Nombreux sont les enseignants et parents d’élèves qui jugent ces propositions menaçantes pour l’école publique et son principe d’équité, et s’inquiètent de la qualité de l’enseignement, elle aussi un brin menacée. Ca y est, c’est dit, les professeurs des écoles devraient perdre beaucoup moins de temps à prendre des notes sur des cours de pédagogie sur les bancs des IUFM d’ici 2010.
Contre cette avalanche de réformes, les mobilisations ont été nombreuses avant les vacances estivales. Et aujourd’hui, qu’en est-il ? Bien que « la priorité soit donnée à la rentrée des enfants, des Assemblées Générales sont d’ores prévues pour le jour de la pré-rentrée », indique à Bakchich une représentante parisienne du Syndicat National des Ecoles (SNE-CSEN). Elle ajoute : « Avant de penser dans le détail aux actions à mener à la rentrée, nous attendons le rapport de la commission de juillet du rectorat, que nous n’avons encore reçu ».
Pas de doute, Xavier Darcos doit revoir sa copie sous peine de s’exposer à de nouvelles grèves. Mais le monsieur est chanceux, le service minimum imposé aux salariés de l’éducation publique est passé depuis.
Les deux auteurs de Main basse sur l’école publique, Eddy Khaldi, enseignant et spécialiste de la laïcité et l’école, et Muriel Fitoussi, journaliste spécialisée dans les questions politique et sociale, montrent dans leur livre sur quelle toile de fond idéologique se repose notre Darcos pour réformer l’Education nationale. C’est avec surprise que derrière les idées du ministre, apparaissent des noms tel que l’Opus Dei.
« Si l’on veut vendre à défaut d’être lu, si l’on veut faire les plateaux de télévision, il ne faut pas hésiter à affirmer que l’école française ne fabrique que des crétins et que les enseignants français sont tous des privilégiés qui ne font même pas 35 heures de travail par semaine…
Christian Forestier et Claude Thélot
Lors de l’élection présidentielle de 2007, fait inhabituel, tous les candidats ont fait l’impasse sur les questions d’éducation, qui ne furent jamais spontanément conviées dans les débats. Il ne fut quasiment question que du problème de la carte scolaire, dont le sort était mis en balance par les deux principaux candi- dats, qui annonçaient, qui sa « suppression », qui son « assou- plissement ». Dans ses discours de campagne sur l’éducation, le candidat de l’ump n’évoque pas, ou si peu, l’« Éducation nationale » en tant que telle. En revanche, il propose déjà, sans aucune ambiguïté, des privilèges nouveaux en vue d’un redé- ploiement des établissements privés.
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Certains libéraux ne s’y sont pas trompés et déclarent, sur leur site Internet Liberté chérie : « Voilà sans doute le sujet que Sarkozy semble le mieux avoir compris. En effet, il est partisan de la remise en cause de la planification éducative par la carte scolaire, se posant ainsi en défenseur de la liberté des parents de choisir l’école de leurs enfants. »
Valoriser l’école publique, voilà qui n’est décidément plus un sujet porteur. Exemple révélateur, le journal Libération qui organisait, dans le cadre de la préparation de la campagne « trois jours de débats, d’expression et d’échanges » les 13, 14 et 15 septembre 2006 à Grenoble, abordait quasiment tous les thèmes de campagne, sauf l’éducation. À l’exception d’une unique table ronde sur la citoyenneté, rien ne fut dit sur les structures, les contenus et la gestion du système éducatif…
Malgré ce peu d’intérêt des candidats, un certain nombre d’organisations tentent de peser sur la campagne. Une ving- taine d’entre elles 6, peu connues du grand public, publient dans Le Figaro du 10 janvier 2007, une plate-forme commune : « Lettre sur l’injustice scolaire », sans doute pour attirer l’at- tention peu soutenue des présidentiables et s’imposer dans le paysage et les débats politiques de la campagne en désignant les deux ou trois candidats porteurs de leurs desseins. Rien de neuf sous le soleil de ces mouvements – parmi lesquels Créer son école, l’oidel, Enseignement et Liberté – si ce n’est l’affichage de leurs connexions. Ce qui traduit, sur le terrain de l’éduca- tion, une offensive concertée de mouvements français idéologiquement très proches et liés. À l’intérieur du vaste essaim de signataires, mentionnons l’association clé (Catholiques pour les libertés économiques), dont l’objet n’est pourtant pas celui de l’enseignement, qui est clairement liée à l’Opus Dei, dont elle partage certains locaux parisiens. Les propositions de la lettre publiée dans Le Figaro sont reprises par des think tanks du secteur économique et résumées dans le Guide du candidat 2007-2008 publié par l’aleps.
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Autre acteur de poids dans la campagne, l’oidel (Organisation internationale pour le développement de la liberté d’enseignement), ong suisse reconnue par le canton de Genève, qui s’intéresse de près à la question du dualisme scolaire français. L’organisation a l’insigne honneur de jouir du statut consultatif auprès des Nations unies, de l’unesco et du Conseil de l’Europe. Elle collabore par ailleurs étroitement avec l’Union européenne. Notons aussi que Enseignement et Liberté est membre de l’oidel.
L’oidel est au centre de nombreuses initiatives entreprises depuis quelques années. Ses constats pas toujours objectifs s’appuient principalement sur des accusations sans cesse ressassées, ainsi résumées : l’Éducation nationale est un mammouth ingérable qui coûte cher et fabrique des illettrés. Ses solutions : suppression de la carte scolaire, un directeur d’établissement chef d’entreprise, la suppression du monopole de la collation des grades 16, le maintien ou la fermeture d’écoles, la sanction des résultats obtenus, l’ouverture de nouveaux établissements privés.
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L’organisation s’est très opportunément signalée au moment de la campagne présidentielle. Le 22 avril 2007, entre les deux tours, surgit le rapport de l’oidel sur « la liberté de l’enseigne- ment en France » : « Après une première version en 2002, un “Rapport sur la liberté d’enseignement dans le monde” est en cours de préparation […]. Voici une étude concernant la France [pour] analyser les politiques scolaires sous l’angle de la liberté d’enseignement. » Les objectifs de privatisation y sont très clairement exprimés. Ce rapport souligne qu’en 2002, sur 85 pays étudiés, tant dans les dispositions juridiques que dans la prati- que, la France est placée en quatrième position, relativement à la « liberté d’enseignement » qui y règne. Nous savions déjà, par plusieurs enquêtes, que l’enseignement privé, presque exclusivement catholique en France, y était surreprésenté, et le mieux financé parmi 25 pays d’Europe.
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L’influence de cette organisation sur les propositions de cam- pagne du candidat Sarkozy ne serait après tout pas très nouvelle, si l’on ne précisait la nature véritable de l’oidel, qui se présente sous des dehors éminemment respectables d’ong mondialement reconnue, et qui place son combat sous la bannière irréfutable des droits de l’homme. L’État fédéral de Genève affirme, pour sa part, que l’oidel est une émanation de l’Opus Dei.
Deux sites du gouvernement fédéral genevois le confirment, dans cette [1] transcription du 5 novembre 2002 des débats relatifs à l’attribution d’une subvention de 160 000 francs suisses à l’uedh (Université d’été des droits de l’homme), filiale de l’oidel, pour 2003, 2004 et 2005. »
© Demopolis
Lire ou relire sur Bakchich :
« Main basse sur l’école publique », Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi, Editions Demopolis, 220 p., 20 €.
Les intertitres sont de la rédaction de « Bakchich ».
[1] Pour lire cette transcription, nous vous renvoyons au livre.
Je vais tenter d’être claire dans mes propos. J’ai cru que le métier d’enseignant était formidable dans le sens où j’ai tenté, pendant 4 ans, après 18 ans en tant que cadre, de faire passer à des jeunes mon savoir. Alors oui, avoir des jeunes assoiffés de connaissance (pour certains) devant soi est fantastique. Faire passer son savoir ainsi, rien de tel. Seulement voilà, il y a tout ce qui tourne autour.
D’une part, en tant que contractuelle, je suis "placée" au gré des besoins … si besoin il y a (pour la modique somme de 1600 € mensuel). D’autre part, pour être titularisée, il faut passer la fameux concours. Et là, c’est la loterie. On ne vous demande pas d’être pédagogue, on ne vous demande pas d’avoir des connaissances, de l’expérience éventuellement, on vous demande de plaire au jury. Point ! Et, surtout, il faut être dans le système pour effectivement se rendre compte (que ce soit dans le public ou le privé, ne vous leurrez pas) de la motivation des enseignants ! Seule à arriver au lycée avec un sourire, je suis déjà regardée de travers. Vouloir organiser des actions, vouloir sortir des sentiers battus, hors de question, on vous remet vite sur le droit chemin. On se rend vite compte aussi qu’on ne défend pas un élève, on défend l’établissement. L’élève, par nature, ayant toujours tort… On ne s’occupe pas non plus de leur sort. J’ai eu à intervenir pour une jeune fille battue au bout d’un an que j’avais prévenu la direction … (dans le privé !)
Quand je lis que le prof ne fait pas 35h, c’est vrai, face aux élèves. Là, je vais défendre mes collègues. Pour ma part, en tout cas, je n’ai jamais autant bossé de ma vie. Soirs, week end compris. Pourquoi ? parce que, d’une part, on vous dit qu’il existe des manuels mais qu’il est mal vu de les utiliser, surtout si vous êtes contractuelle. Donc, les cours, on les prépare soit même. 4h en moyenne pour 1h de cours. D’autre part, Vous allez croire qu’il suffit de les ressortir l’année suivante ? Toujours pas quand on est contractuel. Pourquoi ? parce que vous n’avez jamais 2 ans de suite la même classe, la même matière. Donc, rebelote ! Et pour finir, la cerise sur le gâteau …
Accrochez vous, c’est quelque chose !
Je suis donc pendant 2 ans de suite dans un établissement catholique. Un jour, on me convoque, avec d’autres collègues contractuels, à une réunion d’information, nous devons tous passer devant une commission appelée CAAC.
Cette commission est constituée de 2 directeurs d’établissement et nous avons 10 minutes pour nous vendre. Je vous fais grâce des questions qui nous sont posées. Sachez juste qu’elles portent TOUTES sur l’aspect catholique et aucunement sur nos valeurs professionnelles. Sachez aussi, que, parce que j’ai 3 enfants inscrits dans des écoles publiques, cette commission a décidé "que mon projet d’enseignement n’était pas conforme aux attentes d’un projet catholique".
Et ce, sans demander aucunement l’avis du recteur … qui en est sûrement tombé de sa chaise puisqu’il n’a jamais daigné répondre à mon courrier.
Alors … on peut penser que les futurs enseignants de nos enfants, s’ils ne sont pas prêtres, seront pour le moins des catholiques engagés. Amen