« Une histoire des haines d’écrivains de Chateaubriand à Proust » retrace les plus sublimes rivalités de nos architectes de la langue. Un délice des mots au goût amer.
Les écrivains sont des êtres attachés au poteau de leur ego. La langue est leur fond de mer ou repose leur imaginaire. Dans ces eaux de l’esprit, deux catégories : Hugo, Zola, Chateaubriant, Lamartine, Sainte-Beuve, Balzac dont les rivalités réciproques ont créé des haines sublimes et contracté des muscles de mots d’une chair nouvelle, et ceux, barbotant à la surface de l’intelligence, qui s’époumonent en niaiseries prétentieuses. Dernier en date : le bide du livre d’entretien entre Houellebecq et Bernard-Henry Levy, aux éditions « calamity j’aime ! ». Les gloires factices de notre temps ont du plomb dans l’aile et de l’acier dans le gosier, difficile avec ça de voler vers les astres de l’éternité !
Revenons à notre Trinité : Sainte-Beuve, Balzac, Hugo. Le premier, pionner franc-tireur des écrivains, a dit du second que « la réputation de Balzac s’étend comme un chancre. Balzac jusque dans ses meilleurs romans a gardé jusqu’au bout la bassesse de ses débuts. Il a fallu au plus fécond de nos romanciers un fumier plus haut que cette maison pour qu’il y poussât quelques fleurs maladives et rares. Balzac est indécrottable et embêtant. » Amen !
Le troisième du premier qu’il appelait « Sainte Bave » pour avoir couché avec Adèle Foucher, sa femme, après s’être pourtant lié d’une amitié passionnée avec lui. Et de constater à quel point la haine a été pour l’un, Sainte-Beuve, un processus de création étalé sur une vingtaine d’années contre « l’homme-siècle » Hugo à travers une correspondance abondante : « il y a en moi du désespoir, voyez vous, de la rage ; des envies de vous tuer, de vous assassiner par moments en vérité ».
Hugo lui répond avec mépris : « il y a tant de haines et tant de lâches persécutions à partager aujourd’hui avec moi, que je comprend fort bien que les amitiés, même les plus éprouvées renoncent et se délient. Adieu donc, mon ami. Enterrons de nôtre côté en silence ce qui était déjà mort pour vous et ce que votre lettre tue en moi. Adieu. »
Réponse sèche de Sainte-Beuve : « faites nous de belles poésies et je tacherai de faire de consciencieux articles. Revenez à votre œuvre comme moi mon métier (journaliste). Je n’ai pas de temple et je méprise personne. Vous avez un temple, evitez y tout scandale ». Suit un autre scandale lors de la mort de Léopoldine, la fille bien aimée du poète, ou Sainte-Beuve fait paraître« le livre d’amour », récit lascif de son aventure avec Adèle Foucher. Hugo n’oublie pas l’affront et « cinq ans apres la mort de Sainte-Beuve, goûte aux joies d’outre tombe » par ce poème :
A S-B.
Que dit-on ? on m’annonce un libelle posthume.
De toi. C’est bien. Ta fange est faite d’amertume ;
Rien de toi ne m’étonne, ô fourbe tortueux.
Je n’ai point oublié ton regard monstrueux.
Le jour où je te mis hors de chez moi, vil drôle,
Lorsque sur l’escalier te poussant par t’épaule.
Je te dis : N’entrez plus, monsieur, dans ma maison !
Je vis luire en tes yeux toute ta trahison.
J’aperçus ta fureur dans ta peur, ô coupable.
Et je compris de quoi pouvait être capable
La lâcheté changée en haine, le dégoût
Qu’a d’elle-même une âme où s’amasse un égout,
Et ce que méditait ta laideur dédaignée ;
On devine la toile en voyant l’araignée.
A défaut de pouvoir tous se détester avec tant de beauté, un conseil : achetez « Une histoire des haines d’écrivains de Chateaubriand à Proust », vous verrez que la terre féconde des haines peut être une véritable usine à parfum. Bakchich lui en déjà tout emoustillé !
Une histoire des haines d’écrivains ed. Broché de Anne Boquel et Etienne Kern, 19 euros
A lire ou relire sur Bakchich.info
Ce livre donne envie. Merci pour cet article.
autre exemple, ce bon vieil Artaud : "Tu n‘es devant moi que l’ombre d’un morpion, ta gueule est verte et puante comme ta sueur […] Tu n‘as jamais été pour moi que la roulure d’un excrément” source : http://maitre-eolas.fr/2009/02/04/1306-l-etron-et-la-plume
en revanche, la bipolarisation proposée entre les "Sublimes", et les "Nuls" est fâcheuse, dès lors que l’on consigne un Sainte-Beuve dans la première catégorie et que l’on aligne un Houellebecq dans la seconde. En réalité Sainte-Beuve, bien que brillant, s’est agité en "niaiseries prétentieuses" (sous l’oeil de Balzac du moins), et s’est rendu célèbre pour avoir écrit un grand nombre de conneries. De même, Houellebecq, malgré toutes ses illustres démonstrations de connerie, a commis quelques fulgurances (saluées par Ballard, excusez du peu) qui méritent autre chose que cet étiquetage au piquet.
Mais je comprends que votre pique était destinée à remettre le couvert sur cet immortel ouvrage BHL-Hbcq (et en effet l’article mis en lien est rigolo) Cordialement