Si la presse a assuré fanfaronnante qu’un non lieu avait été rendu dans l’affaire vivendi, il n’en est rien. Le juge d’instruction peut encore renvoyer captain Messier devant le tribunal correctionnel.
La complainte incantatoire psalmodiée au cours de ces dernières semaines de télés en radios sur l’air du fameux 3 mâts d’Hugues Auffray par Captain’ Messier, ex-flibustier du CAC 40 (« J’ ai quitté Vivendi sans prendre un euro, hissez haut, bande de ballots, mon bonus, payé en dollars, z’allez pas en faire toute une histoire… ») a fini par porter ses fruits.
On a manifestement décrété en haut lieu qu’il fallait sauver le soldat Messier et l’exfiltrer du bourbier Vivendi avant l’assaut final de la justice. Sans plus tarder, le parquet du TGI de Paris a donc lancé une première campagne de diversion. Le 19 janvier, était rendu, et singulièrement médiatisé, son réquisitoire définitif de non-lieu général. Les gazettes se sont empressées de relayer l’info à l’emporte-pièce : « un non-lieu avait été rendu dans l’affaire Vivendi ! », affirmaient-elles.
Bien entendu, comme le savent les familiers du palais de justice, il n’en est rien. Le juge d’instruction n’est nullement tenu par la contribution de madame Chantal de Leiris, vice-procureur, qui a été mise à contribution pour la circonstance. Il peut au contraire, au terme de son instruction, renvoyer Captain Messier et son petit équipage devant le tribunal correctionnel.
A lire la prose du parquet, on jurerait -à tort cela va sans dire- qu’elle a été produite sous influence. Un bref résumé de l’affaire n’est donc pas inutile : La COB, devenue AMF, qui décide si l’information communiquée par les entreprises cotées en bourse est exacte précise et sincère, avait distribué quelques cartons jaunes à Vivendi et Captain Messier les 6 et 7 décembre 2004. De leur côté, les actionnaires floués représentés par l’APPAC et/ou Maître Canoy, « le Colombo des petits porteurs », ont déposé en son temps, une plainte pénale. D’où l’existence de la longue instruction conduite par les juges d’instruction en charge de l’affaire. En attendant le sort qui leur serait réservé au pénal, Vivendi et Messier s’estimant injustement sanctionnés, ont fait appel des cartons jaunes qui leur avaient été infligés par la Commission des Sanctions de l’AMF.
Le 28 juin 2005, la Cour d’Appel de Paris rendait son verdict : elle estimait qu’un certain nombre des « sanctions administratives » de l’AMF étaient injustifiés et ne retenait que 3 des boniments vendus par Captain’ Messier et sa fine équipe, au marché boursier qui ne demandait qu’à les croire sur parole.
La Cour a en effet considéré que l’information donnée par Vivendi sur l’état de son endettement était trompeuse, que le communiqué du 25 septembre 2001 l’était au moins autant, et que lors de l’assemblée générale des actionnaires du 24 avril 2002, Captain Messier s’était livré verbalement à des approximations ayant conduit à une présentation trompeuse de la situation financière de Vivendi. Le grand Timonier avait par ailleurs vu son pourvoi personnel en Cassation rejeté, de telle sorte que les sanctions prises à son encontre par l’AMF, notamment l’amende adoucie par la Cour d’Appel, devenaient définitives.
Il en fallait beaucoup plus pour fléchir le Parquet. Pour blanchir Captain Messier et influencer le juge d’instruction, un réquisitoire de non lieu général était donc nécessaire. Quitte à s’asseoir sans vergogne sur l’arrêt de la cour d’appel. Ce qui fut fait ; de bien laborieuse manière il est vrai. Un exemple ? Le 25 septembre 2001, Vivendi annonçait dans un communiqué de presse, son intention, autorisée par son Conseil d’Administration, d’acquérir 33 millions de ses propres actions pour les annuler. Une très bonne nouvelle pour le marché qui, anticipant une hausse mécanique du bénéfice par action du fait d’une réduction de leur nombre, pouvait voir la vie en rose.
Sauf qu’au lieu de tenir parole, Captain’ Messier décidait d’annoncer le 7 janvier 2002, qu’un bloc de 55 millions d’actions allait être fourgué à prix fixe à la Deutsche Bank et à Goldman Sachs, lesquelles banques allaient rencontrer les plus grandes difficultés à les écouler auprès de leurs propres clientèles et prendre un petit bouillon sur l’affaire. Laurence Daniel, de la direction de la communication de Vivendi avait dû ressentir des bourdonnements d’oreilles quelques jours plus tôt. Le 6 décembre 2001, elle balançait donc un mot doux à Guillaume Hennnezo, la première gâchette de Captain Messier : « J’ai cru comprendre que nous pourrions vendre des titres d’auto-contrôle. Ne vous inquiétez pas, je ne dirai rien mais je tiens seulement à vérifier avec vous qu’en aucun cas cela remplacerait l’annulation des 33 millions de titres. Cela n’a sûrement rien à voir mais si nous n’annulons pas les 33 millions de titres après l’avoir annoncé nous allons nous faire massacrer… » .
Pas plus émue que cela, Madame le vice-Procureur voit dans son réquisitoire, les espiègleries de Captain Messier d’un tout autre oeil. D’une plume de plomb, elle suggère d’absoudre Messier et Vivendi de ce petit écart : « En définitive, il apparaît que l’annonce, le 25 septembre 2001, par les dirigeants de VU d’une annulation prochaine de 33 millions d’actions n’était pas mensongère puisqu’elle correspondait à leur intention du moment (sic). L’omission de l’annonce de leur renonciation à ce projet dans le communiqué du 17 décembre est plus contestable (re-sic). Toutefois il semble que l’information ait pu se déduire de l’annonce de l’échange de 32 millions d’actions VU en paiement de la participation de LIBERTY MEDIA dans USA NETWORKS et ait été révélée (rere-sic !) à la communauté des analystes financiers. En toute hypothèse, Jean-Marie Messier et Guillaume Hannezo ont été mis en examen du chef de diffusion d’informations fausses eu égard à la teneur du seul( !) communiqué du 25 septembre. Non lieu sera donc requis en leur faveur de ce chef. ».. l’ensemble du réquisitoire est de la même veine.
De la veine, il en aura besoin Captain Messier pour que les laborieuses contorsions du parquet parviennent à lui éviter les affres de la correctionnelle.
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