Le grand magasin parisien, fermé en 2005 par son propriétaire LVMH, dévoilera ses nouveaux atours en 2011. Une reconversion dans le luxe et les affaires en dépit des règlementations.
Lorsqu’en juin 2005, l’empire du luxe de Bernard Arnault ferme brusquement la Samaritaine pour non-respect des normes incendie, les 1500 employés encaissent le choc. Encore aujourd’hui, le site Internet de LVMH explique que “Le magasin est fermé pour travaux de mise en sécurité de longue durée”.
Serait-ce pour de basses raisons financières que la direction a soudain pris à bras-le-corps un problème connu depuis des lustres ? En effet, le prestigieux site accumulait les pertes : entre 5 et 10 millions d’euros par an. De là à penser que le coulage en règle de la Samaritaine a servi à lancer un projet autrement plus lucratif… Lors de la fermeture, des représentants de salariés avaient même accusé LVMH de vouloir réaliser une juteuse opération financière. Quel mauvais esprit ! En vérité, il s’agit bien d’une reconversion de la Samaritaine : le nouveau complexe se répartira entre un centre d’affaires, un hôtel de luxe, un centre commercial et des logements sociaux (voir encadré en fin d’article).
Alors que l’enquête d’utilité publique diligentée par le tribunal administratif vient d’être bouclée, on trouve toujours tout à la Samaritaine. Notamment un dossier de « révision simplifiée du plan local d’urbanisme [PLU] » de cet ambitieux projet de 67 000 mètres carrés. La noblesse des desseins est louable : « revitaliser le tissu économique du quartier », « promouvoir la diversité sociale et générationnelle »…
Un petit tour sur le portail de la Ville de Paris modifie cette généreuse perspective. Dans la rubrique « urbanisme », le « plan des hauteurs » montre que dans le quartier, sauf dérogation, la hauteur maximale des bâtiments atteint 25 mètres. Il s’agit de respecter le principe des « fuseaux de protection des sites » qui permet, par exemple, d’apercevoir l’Hôtel de Ville depuis l’Arc de Triomphe. Or, achevé en 1930, l’immeuble de la Samaritaine, côté rue de Rivoli, culmine déjà à 31 mètres. Mieux, celui en front de Seine avoisine les 38 mètres ! Le rapport de l’enquête publique suggère donc « d’adapter les bâtiments », en relevant « la hauteur autorisée sur les îlots concernés à un niveau représentant la hauteur moyenne du bâti existant ».
Autrement dit, dépasser de sept mètres les vingt-cinq mètres autorisés, en adaptant le PLU par le jeu d’une dérogation. Simple comme un bakchich délicatement glissé sous une table de mairie !
Au cours de la dernière permanence de l’enquête, qui s’est tenue fin février dans une ambiance de suspicion, certains riverains ont clairement dénoncé un deal entre la Ville de Paris et LVMH : l’augmentation de la surface grâce au rehaussement de plusieurs façades de la Samaritaine contre le renforcement du tissu économique et social du quartier. Un participant a même été expulsé de la salle par la commissaire de l’enquête. Une riveraine s’est indignée du deux poids deux mesures : « J’habite en face de la Samaritaine, au quatrième étage. J’ai voulu faire édifier une terrasse sur le toit, invisible depuis la rue de Rivoli : refusé. Mais LVMH, lui, peut surélever ! » Un riverain de la rue Baillet s’est inquiété : les travaux pourraient fragiliser son immeuble récemment rénové.
LVMH aurait racheté plusieurs appartements de cette rue, enclavée entre les bâtiments de la Samaritaine, selon nos informations. Pour faire de l’entrisme dans les copropriétés ? L’association citoyenne Accomplir a contre-attaqué en réalisant un mémento très instructif, « Ce que cache le projet de la Samaritaine » (http://minu.me/1sgd). Questionné sur toutes ces récriminations, le groupe de luxe n’a pas souhaité répondre à Bakchich. Sans doute pour prendre de la hauteur sur ces basses spéculations.
Retoqué par la Ville en 2008, le projet de LVMH pour la Samaritaine emporte l’assentiment de l’administration parisienne lors de sa présentation en avril 2009. Toutefois, ce n’est qu’au quatrième trimestre 2010 que les plans définitifs seront connus ; les travaux doivent débuter courant 2011 pour s’achever en 2013. Certains voient dans le dévoilement actuel du projet une manœuvre dilatoire : LVMH abat ses cartes en sachant qu’il ne reste plus assez de temps pour un recours qui pourrait le contraindre à modifier son plan.
Le 7 décembre 2009, une concertation a eu lieu « en vue du devenir de la Samaritaine » : Philippe de Beauvoir, directeur de la Samaritaine et une cadre de LVMH, Marie-Line Antonoz, ont souhaité que le projet recueille l’assentiment des riverains avec visites du site, bâche d’information rue de Rivoli et création d’une Maison du Projet. Pour l’instant, ces heureuses initiatives n’ont pas vu le jour.
Rien à voir avec le conflit d’intérêt possible qu’induit la position d’un cadre de LVMH : Christophe Girard, directeur de la stratégie de la division mode de LVMH, est également maire adjoint chargé de la culture à la mairie de Paris.
Vitrine, dans tous les sens du terme, du Paris architectural flamboyant, la Samaritaine a connu bien des évolutions, depuis le commerce installé en 1870 par Ernest Cognacq et sa femme Marie-Louise Jay dans l’arrière-salle d’un café. Très vite, le couple achète le bâtiment d’en-face et ouvre les Grands Magasins de la Samaritaine, en parvenant au passage à imposer le travail du dimanche à une partie des employés. Ils engagent les architectes Frantz Jourdain et Henri Sauvage, qui, pendant près de trente ans, aménagent, construisent et embellissent un ensemble qui finit par compter quatre immeubles, dont deux classés aux monuments historiques. Le bâtiment de Jourdain – le magasin 2 –, révolutionnaire par sa structure en acier et sa décoration extérieure type Art nouveau, marque définitivement le quartier. Il sera prolongé par Sauvage, à la mode Art déco. Avec 48 000 mètres carrés, la Samaritaine devient le plus grand des grands magasins parisiens. Après l’avoir achetée en 2001 puis fermée en 2005, LVMH entend livrer en 2013 une Samaritaine new look. La surface, augmentée par le rehaussement de certains bâtiments, sera de 67 000 mètres carrés, dont 24 000 pour le commerce et 21 000 pour des bureaux. Plus, business oblige, 14 500 mètres carrés pour un hôtel de luxe et son centre de conférences. Dans cet étalage voulu par la Ville, la mega nouveauté reste la création de logements sociaux (sur 7 000 mètres carrés) et d’une crèche de 60 places.
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