La veille de l’annonce de la libération d’Ingrid Betancourt, les services secrets ont failli diffuser une note annonçant son décès. Le document, provenant de la cellule chargée de suivre l’affaire de l’otage des FARC, est resté dans un coffre. Le récit exclusif de « Bakchich ».
Le 1er juillet 2008, en fin de journée, un haut cadre de la DGSE a sauté au plafond. Le chef du Service d’Exploitation du Renseignement (SER), Jean-Pierre Boucher, venait de recevoir une note explosive. Le SER est l’un des trois services de la direction du renseignement des services secrets français. Boucher est celui qui supervise toutes les notes qui sont destinées aux plus hautes autorités de l’État. Notamment aux « quatre grands », comme on dit dans le jargon de la Piscine : l’Élysée, le Premier ministre, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense, destinataires des documents les plus sensibles. Jean-Pierre Boucher a, ce soir-là, saisi son paquet de cigarettes, des Marlboro Light, et s’est précipité vers la fenêtre pour en griller une. Depuis qu’il est interdit de fumer dans les locaux de l’administration, que ne faut-il pas faire. L’hiver, pour éviter d’avoir froid, l’homme met sa casquette et se penche, à la limite de la chute, pour tirer sur son mégot.
Le fameux document provenait de la discrète cellule chargée de suivre l’état d’avancement de la libération d’Ingrid Betancourt, mise en place après l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Élysée en mai 2007. Ancien représentant de la DGSE à Mexico et « grand spécialiste » des affaires latino-américaines, le responsable de cette fameuse cellule (à laquelle a été donnée un pseudonyme quasi-breton) venait de commettre un papier dans lequel il pronostiquait la mort de l’otage des FARC. Jean-Pierre Boucher avait la note sous les yeux.
D’un coup lui sont revenus en tête les conseils de son supérieur hiérarchique, Patrick Perrichon. En substance : « Attention, quand on parle d’un décès, il faut être certain de son coup… ». Perrichon, l’adjoint du directeur du renseignement de la DGSE, savait manier ce genre d’information. Il avait eu, dans le passé, l’expérience d’un remplaçant qui, pendant ses congés, avait laissé passer un papier sur la mort du roi Fahd d’Arabie Saoudite. Décès intervenu finalement… sept ans plus tard. Pas question d’une autre « bavure ».
Le document en main, Jean-Pierre Boucher a donc cherché à avoir une discussion avec son patron, mais celui-ci était déjà parti. Il décida alors que la fiche attendrait le lendemain et rangea les projets de diffusion dans son coffre.
Le jour suivant, le chef du SER n’avait pas encore fait passer la note dans le circuit hiérarchique quand, au soir de ce mercredi 2 juillet, les informations en boucle annoncèrent la libération d’Ingrid Betancourt… Boucher a stoppé opportunément la diffusion de la note, qui se serait avérée dévastatrice. La DGSE a sauvé la face… de justesse.
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