Ingrid B. en cours de rapatriement, la France se mobilise pour accueillir l’ex-otage, attendu le 4 juillet 16 heures à Paris. Mais vu de Cali, l’euphorie de la libération des otages est retombée. Place désormais à la salsa et au football qui intéressent bien plus les Colombiens. Reportage
En ce début d’après-midi de mercredi 2 juillet, la ville de Cali est en ébullition. Tout le sud-ouest du pays s’apprête à vibrer pour le match aller de la finale du championnat colombien de football qui oppose le soir même l’America Cali à Chico Boyaca. C’est le début de l’été. Le ciel se révèle gris et capricieux mais qu’importe, c’est la fête car pour les Caleños, leur équipe est en passe de rafler la coupe. À Cali, le foot et la salsa font partie du quotidien. Plus qu’un folklore c’est un mode de vie. À côté des chaudes festivités footballistiques, un évènement historique se déroule en toute discrétion dans le centre du pays, plus précisément dans le département du Guaviare. La puissante armée colombienne nous sort de sa botte une opération digne d’un James Bond des grandes années. Sombrero bas !
Vêtus de T-shirt à l’effigie du Che Guevara, des soldats d’élite de l’armée nationale, infiltrés jusque dans la plus haute instance des Farc, parviennent à organiser le regroupement de quinze otages « politiques ». Parmi eux figurent l’ex-candidate écolo à la présidence colombienne, Ingrid Betancourt, onze policiers et militaires, mais aussi les trois coopérants de l’armée ricaine contractés, au moment de leur enlèvement, par California MicroWave Systems pour collecter des informations sur les cultures illicites.
Auparavant, les otages étaient retenus dans trois lieux différents, quelque part dans l’épaisse et obscure jungle colombienne. Les espions réussissent à bluffer la plus vieille guérilla du monde en leur faisant croire que le chef suprême Alfonso Cano avait lui-même ordonné le transfert des détenus vers son campement. Deux hélicoptères M-17 repeints fissa en blanc se posent au point de rendez-vous. Ils sont censés appartenir à une ONG proche des Farc. Les quinze otages escortés par leur bourreau, Gerardo Antonio Aguilar, alias « Cesar » (chef du Front 1 des Farc et geôlier d’Ingrid), montent à bord. Pas un coup de feu. Tous croient se rendre au campement de Cano. Ils se dirigent vers une base militaire médicalisée avant de rentrer à la maison. Les otages sont enfin libres. Cesar et seize autres guérilléros sont arrêtés. C’est l’euphorie à bord. Telle est la version officielle de la parfaite « opération Jaque » dévoilée par Bogota.
Dans les faubourgs de Cali, les rumeurs sur une éventuelle libération d’otages commencent à circuler sans grand succès. Las, les gens ont envie d’oublier un temps la politique et les affres de la guerre. « Bof, c’est des racontars. Il y a un tas de type ici qui, lorsqu’ils ne savent plus quoi dire, parlent de libération des Farc et lancent des rumeurs. Moi j’y crois pas », lâche un vieil habitant, volubile en matière de politique. Et puis ce soir il y a le match sapristi, la fête et la salsa. Soudain, peu avant quinze heures, des cris de joie se font entendre et les caleños descendent spontanément dans la rue. Les voitures klaxonnent sans retenue. Ils n’arborent pas les couleurs de leur équipe mais agitent fièrement le drapeau colombien. Les quidams s’agglutinent autour des postes de télévision des bars ou collent l’oreille sur l’enceinte de la radio pour capter les nouvelles. La surprise, la joie et le soulagement transparaissent sur les visages. À 14h15 pétantes (heure locale), le ministre de la Défense Juan Manuel Santos a officialisé la libération des quinze otages. Ils sont en route pour Bogota, déshydratés mais sain et sauf. La fête commence plus tôt que prévu. Elle est supranationale. À la santé des quinze.
Paris, début de soirée. Au château de l’Elysée, on trinque. Bogota passe un coup de fil par politesse à peine quinze minutes avant que les premières dépêches de presse locale annoncent la bonne nouvelle. Ça la fout mal pour Super Sarko mais bon, Mélanie Betancourt (fille d’Ingrid) rattrape le coup le soir à la télévision. « Vous nous permettez de vivre le plus beau jour de notre vie (…) Depuis qu’il a pris les choses en main, tout s’est enclenché… ». Libérer des otages en Colombie, ce n’est pas comme à Nanterre. Et dans le chaudron andin, Sarko la gaffe a bouilli. Avec le président colombien Uribe, la relation est plutôt froide. Pour négocier la libération, Sarko a toujours tenté de contourner Bogota par Caracas ou par la jungle des Farc via le fameux Noël Saez. Sur le dossier des otages, il a d’abord gaffé en s’acharnant à jouer la carte Chavez pour libérer Ingrid, même après les révélations des ordinateurs de feu Raul Reyes, ex-numéro 2 des Farc.
Il a ensuite bourdé avec Uribe en contredisant sa politique intérieure à l’égard des Farc. Il s’est planté en envoyant un Falcon médicalisé en Guyane en mars dernier. Il s’est ensuite ridiculisé, et ça continue, en se déclarant prêt à accueillir des Farc sur le sol français en échange d’une éventuelle libération. Du coup, sur cette affaire, il trinque tandis que Washington soutenait l’opération, par « ailleurs 100% colombienne », comme l’a expliqué Juan Manuel Santos, le ministre de la Défense. La totalité du travail de renseignement a également été colombien même si la fine fleur de l’armée israélienne à la retraite a mis la main à la patte en apportant son savoir-faire. Espionnage, infiltration, action, l’audacieuse opération « Jaque » concrétise treize mois de labeur.
Les otages arrivent à Bogota vers 17 heures (heure locale). Ingrid sort la première de l’avion. Elle est vêtue d’un gilet et d’un bob militaire. Silence à Cali, tout le monde est captivé. Dans certaines rues, les gens se bousculent dans les bars pour apercevoir les otages. Tout le monde semble ému et rassuré. La fête peut commencer. « Nous fêtons la libération des otages, la victoire certaine de notre équipe et la paix en Colombie », explique un jeune fêtard de Cali qui entame avec ses amis la première bouteille d’aguardiente. Près de 45 000 supporters chauffent le stade Pascal Guerrero de Cali, un drapeau de leur équipe à la main et celui de la Colombie dans l’autre. Pour marquer le double évènement, la fédération colombienne de football démarre le match avec trente minutes de retard. C’est jour de fête. Deux mi-temps plus tard, coup de sifflet final. Match nul, 1-1, mais qu’importe…Quelle victoire. La fête se prolonge et puis, il y a le match retour.
Il reste encore plus de 1 000 otages détenus par les Farc.
Lire ou relire dans Bakchich :
Betancourt libérée, Cali s’en foot.
Ah là là ! Encore une faute dans le titre. C’est souvent sur Bakchich. Mais c’est ce qui arrive quand on tape trop vite du clavier sans se relire parce qu’on n’a pas le temps.
Mais c’est aussi un peu le rôle des lecteurs de vous corriger (gentiment) quand vous commettez une boulette.
En fait, il fallait lire :
Betancourt libérée, Cali s’en fout.
Voila, c’est corriger.