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Birmanie : ça sent le gaz

Vapeurs / vendredi 5 octobre 2007 par Olivier Dours
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Après la révolte, les massacres. Et les justiciers français et américains n’ont pas totalement envie de se priver du gaz birman, la seule sanction possible.

L’élimination violente de tous les contestataires pacifiques des rues de Birmanie, moines et laïcs, parfois abattus à bout portant, s’est déroulée à huis clos, après interruption des liaisons Internet et des téléphones portables. L’ordre règne à Rangoon au prix de centaines, voire de milliers de morts, les blessés n’étant pas comptabilisables, car ils évitent les hôpitaux où ils risquent d’être achevés, ou au mieux arrêtés, venant grossir les rangs de milliers de disparus… Des monastères entiers de Rangoon ont été saccagés et vidés de leurs moines, dont on ignore encore si, défroqués, ils ont été liquidés et entassés dans des fosses communes en pleine jungle, ou emmenés dans des camps de travail à des centaines de km. Cette chronique d’un bain de sang annoncé jette un jour cruel sur l’incompatibilité franco-américaine total(e) entre hydrocarbures et droits de l’homme.

Contrairement à leurs prédécesseurs de 1988, qui n’y avaient pas accès, les chefs actuels de la junte sont littéralement accros aux gazo-dollars, par lesquels ils financent, outre leurs somptueuses prébendes, les soldats, armements et matériels qui leur ont permis d’éradiquer en moins d’une semaine la contestation de rue.

PPDA se plante totalement

Voulant à la fois servir sa gloire, rendre hommage à Aung San Suu Kyi, rendre service (commandé ?) à Total et à Kouchner, PPDA oscille entre l’odieux et le grotesque. Dans un article publié dans le Figaro du 28 septembre, le présentateur vedette de TF1 narre avec force détails ses rencontres avec la Dame. Il apprit qu’elle était fort hostile à l’action de TOTAL dans son pays. Ne pouvant plus la revoir, PPDA prétend : « elle mit un peu d’eau dans son vin. Le rapport Kouchner, commandité par la société pétrolière, y fut peut-être un peu pour quelque chose. » Or personne n’a été en contact avec DASSK depuis l’été 2003, et Kouchner a rédigé son rapport à l’automne de cette année. Elle n’a jamais pu en prendre connaissance, et n’a jamais varié sur Total.

Jamais, dans l’arsenal de sanctions brandies pour dissuader la junte de se comporter comme elle vient de le faire, n’a été évoquée la seule efficace, le boycott de sa principale exportation : le gaz. Pourtant, les deux pays les plus bruyants, les États-Unis et la France, ont une autre caractéristique commune : ils sont le siège des principaux pourvoyeurs de fonds du régime birman – les compagnies Chevron et Total –, via le gazoduc Yadana construit par Total, exploité de concert avec la junte birmane et l’unique client Thailandais [1].

Margerie et sa poupée

La semaine dernière, Christophe de Margerie, le sanguin PDG de Total, a piqué une crise contre Sarkozy. Aucun de ses prédécesseurs, MM. Tchuruk et Desmarest, depuis que Total est présent en Birmanie n’avait subi un tel affront. Ni Mitterrand, ni Chirac n’avaient eu l’idée saugrenue de recevoir à l’Élysée un quelconque démocrate birman, qui plus est « premier ministre » du gouvernement en exil, et cousin d’Aung San Suu Kyi, la bête noire des généraux birmans. Pour De Margerie, un dialogue public entre Sarkozy et le Dr Sein Win, évoquer un retrait, finalement un gel des activités du pétrolier est un crime de lèse-Total. C’est jeter à bas des années d’effort pour masquer derrière un programme socio-économique destiné à la population birmane de la zone du chantier la part prépondérante de Total dans le soutien à la junte [2]

Totalement fichés

La junte birmane ne s’est pas contentée d’empocher les gazo-dollars versés par les opérateurs des gazoducs yadana (Total-Unocal devenu chevron) et yetagun (petronas, malaisien) pour se remplir les poches et acheter des armements classiques. Elle a lourdement investi dans la surveillance-identification électronique de la population. Les cartes d’identité birmanes ont été numérisées. Ont aussi été acquis cameras numeriques, ordinateurs et logiciels permettant, par rapprochement avec la base de données des cartes d’identité, d’identifier toute personne passant devant l’objectif. Selon des sources essorées par Bakchich, des firmes européennes, israeliennes, singapouriennes et chinoises disposent du savoir-faire et des contacts en Birmanie pour être devenues maitre d’œuvre de ce projet TOTALitaire, qui a évidemment comporté la formation du personnel policier-militaire birman. La confirmation du bon fonctionnement de ce dispositif orwellien [3]est apportée chaque nuit depuis le début de la répression, le 27 septembre, lorsque les forces spéciales effectuent des descentes ciblées au domicile des gens qui ont d’une manière ou d’une autre participé aux manifestations pacifiques de la mi-septembre. Les personnes arrêtées sont segmentées et maltraitées selon leur degré d’implication dans la contestation du régime. Il y a 4 catégories : ceux qui applaudissaient les marcheurs de leur fenêtre, ceux qui les soutenaient du trottoir, ceux qui marchaient, et enfin ceux qui passaient pour des leaders. On comprend mieux pourquoi les autorités ont, dans un premier temps, laissé les manifestations se dérouler ; elles filmaient en long et en large, sachant que les « coupables » se dévoilaient et ne leur échapperaient pas…

Très vite, la diplomatie française tente de colmater les brèches dans le dispositif de protection du pétrolier. Le conseiller Jean-David Levitte, présent à l’Élysée lors de la fatidique rencontre, parvient à bloquer les velléités présidentielles de réclamer un retrait Total, en arguant que les premières victimes seraient les populations birmanes (sic), argument repris et développé dès le lendemain de New York par Kouchner et Rama Yade à Paris. Trop tard. Furieux, De Margerie a tenu à faire savoir qu’il pourrait déménager le siège de Total, à Luxembourg. Pourquoi pas Rangoon, si les généraux tiennent encore quelques années ?

[1] La Thaïlande partage avec la Birmanie un profond attachement pour le bouddhisme theravada. Les atrocités dont les moines birmans viennent d’être l’objet ne vont pas tarder à entraîner des réactions chez leurs frères thaïs, un boycott du gaz birman n’est pas si difficile à organiser ; il suffit, par exemple, de baisser sa consommation d’électricité.

[2] Aung san Suu Kyi ne s’y était pas trompée puisqu’elle qualifiait en 1998 Total de premier soutien à la junte (cf Bakchich N°46), la ligne de survie que constitue pour ce régime honni le gazoduc Yadana.

[3] George Orwell, l’inventeur de « big brother », avant de devenir écrivain visionnaire, a servi dans la police britannique en Birmanie…

Voir en ligne : in Bakchich #49

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2 MESSAGES

Forum

  • Birmanie : ça sent le gaz
    le dimanche 7 octobre 2007 à 11:14, Zwartepiet a dit :

    La déstabilisation de la Birmanie n’a qu’un seul objectif : contraindre le régime birman à vendre son gaz à l’Inde. En effet, l’Inde n’a que deux options pour s’approvisionner en gaz naturel : soit l’Iran, via un pipeline Iran-Pakistan-Inde, soit la Birmanie, également au moyen d’un pipeline. Je vous encourage d’ailleurs à Googler vous-mêmes le Net avec les mots-clés suivants : "India", "Iran", "gas", "Pakistan", "Myanmar". La première option, vous l’aurez deviné, a suscité l’ire de Washington dans la mesure où elle ferait de l’Inde l’obligé de l’Iran et compromettrait, de ce fait, tout projet de guerre contre l’Iran par les néoconservateurs et Israel… L’Inde a, bien sûr, tenté de signer un accord gazier avec la Birmanie mais cette dernière, sous la pression de la Chine, n’a concédé à l’Inde que quelques miettes —ou plutôt "bulles"— de gaz, la Chine se réservant la part du lion sur les réserves gazières birmanes…

    La mort du journaliste japonais lors des manifestations bouddhistes à Yangon est également à mettre au compte de la CIA comme une piètre et macabre tentative pour introduire un coin entre la Chine et le Japon. Je rappelerais simplement que le sinophile Yasuo Fukuda a succédé tout récemment au pro-américain Shinzo Abe, renforçant encore le poids de la Chine en Asie :

    http://www.reuters.com/article/worldNews/idUSSP15696520070916 ?

    En conclusion, je dirais que non seulement les moines bouddhistes mais également l’opinion publique occidentale —du moins les bleeding hearts comme diraient les ’ricains— sont manipulés par les mêmes forces et officines, par ce que j’appelerais le complexe militaro-médiatique américain, qui oeuvrent sans relâche à précipiter une guerre contre l’Iran. La première étape consistant à isoler ce dernier au plan économique, la perte de l’Inde comme principal client des réserves iraniennes de gaz serait une première victoire pour les va-t-en-guerres de Washington.

    Zwartepiet

  • Birmanie : ça sent le gaz
    le vendredi 5 octobre 2007 à 18:40, hubert a dit :
    Plutot que hurler pour faire partir Total de Birmanie, pourquoi ne pas réclamer que les revenus du gaz soient versés sur un compte séquestre gérè internationalement pour le compte du peuple birman, un remake amélioré du pétrole contre nourriture irakien, sachant que le risque de contrebande de gaz en pipeline est nul …
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