Plus de sept ans après, le 11 septembre continuerait-il de sidérer les esprits au point que toute réflexion à ce sujet, même la mieux intentionnée, ne puisse s’empêcher de verser, par glissements successifs, dans de regrettables errements ? On peut se poser la question à la lecture du dossier 11 septembre : Desintox, réalisé par Rue89. Un dossier qui, partant de la critique salutaire des théories fumeuses de Thierry Meyssan, aboutit en définitive et de façon quasi-involontaire, à valider sans nuances certaines des idées néoconservatrices les plus tendancieuses.
Certes, on ne peut qu’approuver la démarche pédagogique, nécessaire et utile, de ceux qui, contre l’exploitation de la naïveté et de la crédulité humaines, s’attachent à démontrer rationnellement l’absurdité de la thèse selon laquelle aucun avion ne se serait écrasé sur le Pentagone. D’autant que les rédacteurs de Rue89 rappellent en même temps et à juste titre qu’il n’est nul besoin de telles sornettes pour dénoncer la conspiration – bien réelle, celle-là ! – que constitua l’instrumentalisation des attaques du WTC pour « vendre » la guerre d’Irak à l’opinion mondiale.
Mais comme si la simple réfutation d’un mensonge grossier ne suffisait pas, il faut aussi sacrifier à la mode de l’analyse sociopolitique et « décrypter-les-significations-du-phénomène-conspirationniste ». Coquetterie intellectuelle ? Pas seulement. Car, par cette porte entrouverte, s’engouffrent de nouvelles mystifications, moins grossières, plus subtiles mais peut-être plus pernicieuses.
Ainsi, pour Pierre-André Taguieff, intellectuel multicartes qui se présente à la fois comme « philosophe, politologue et historien des idées », les « textes fondateurs du conspirationnisme » (comme s’il s’agissait d’un courant de pensée à part entière, exprimant une véritable weltanschauung au même titre que le marxisme ou le confucianisme !), auraient pris forme dans les milieux monarchistes et catholiques qui voyaient dans la Révolution Française un complot judéo-maçonnique contre l’Eglise et auraient ensuite inspiré la pensée d’extrême droite, notamment à travers des textes tels que Les Protocoles des Sages de Sion, faux grossier forgé par la police tsariste pour faire croire à une conspiration juive pour la domination du monde. Fort bien.
Mais Taguieff ne s’en tient pas là : par un raccourci saisissant et sans sourciller d’oser établir une filiation aussi directe, l’historien des idées n’hésite pas à voir dans « l’extrême gauche » les héritiers de la même famille de pensée conspirationniste, à la vindicte desquels la mondialisation capitaliste aurait désigné de nouvelles cibles : « les élites économiques et politiques ».
Même aplomb de la part du journaliste Antoine Vitkine pour qui « si, historiquement, le conspirationnisme est un passe temps d’extrême droite, il conquiert avec le 11 septembre une partie de l’extrême gauche (…) Chacun cherche son propre comploteur : le militant d’extrême droite accusera les juifs, l’islamiste les Israéliens, le militant d’extrême gauche les Américains »
Certes, Taguieff et Vitkine ne semblent mettre en cause que la gauche « extrême ». Mais cette apparente modération n’est qu’un subterfuge pour qui connaît leurs travaux antérieurs. Car depuis plusieurs années, l’un et l’autre sont passés virtuoses dans l’art de l’amalgame, toujours dans le même registre : celui du procès d’une « gauche » qui serait devenue, nous dit-on, antisémite. Dans La Nouvelle Judéophobie parue en 2002 [1], Taguieff mettait déjà en cause, sans la moindre démonstration, les intellectuels de gauche dans leur ensemble, coupables selon lui de ne pas avoir su résister aux sirènes de l’antisémitisme. Quant à Vitkine, dont il n’est pas inutile de rappeler qu’il collabore régulièrement à la très néoconservatrice revue Le meilleur des mondes, il est l’auteur d’un petit livre paru en 2005, Les nouveaux imposteurs Editions de La Martinière, qui, partant du « cas » Meyssan et surfant sur une savante analyse de la théorie du complot, parvenait à déceler de troubles compromissions antisémites chez… les opposants à la guerre d’Irak ! L’amalgame fonctionne sur une équation grossière mais efficace : critiquer l’Amérique, c’est se ranger peu ou prou dans le camp de Meyssan, c’est voir des complots partout, c’est s’inscrire dans l’héritage des Protocoles des Sages de Sion, et c’est donc être un peu antisémite…
Et s’il y avait eu, dans la foulée, une autre « conspiration » ? Consistant non pas seulement à instrumentaliser les attaques du Word Trade Center pour vendre à l’opinion mondiale la politique étrangère de l’administration Bush mais, aussi, à instrumentaliser de prétendues théories du complot habilement montées en épingle pour mieux disqualifier par avance toute critique de cette politique, et même de façon plus générale, toute critique d’un certain ordre établi … De qui Taguieff parle-t-il lorsqu’il dit que la mondialisation aurait fait des élites économiques de nouvelles cibles de la théorie du complot sinon, entre autres, des altermondialistes ? Et si une intox en cachait une autre ?
J’ai moi-même soulevé cette hypothèse dans Les nouveaux désinformateurs [2]. Pourquoi, en effet, présenter un épiphénomène comme un « courant de pensée » ? Le succès de la théorie loufoque de Thierry Meyssan résulte avant tout d’un livre dont le plan média qui présida à son lancement (passage chez Ardisson…) témoignait d’un professionnalisme hors pair. Théorie qui fut ensuite savamment relayée « en creux » par des officines fonctionnant en réseaux (sociétés de productions audiovisuelles, maison d’éditions…) qui, en la dénonçant, lui donnèrent une importance qu’elle ne méritait peut-être pas. Pourquoi, en tout cas, dénoncer comme une « maladie du siècle » cette théorie qu’aucun grand média et qu’aucun intellectuel digne de ce nom n’avait prise au sérieux ? L’opération fut à ce point cousue de fil blanc qu’il est permis de se demander si le cas Meyssan ne fut pas seulement instrumentalisé « en aval », après coup, mais carrément imaginé « en amont » : un épouvantail fabriqué de toute pièce, en quelque sorte. Du début à la fin, l’opération constituerait ainsi ce que les professionnels de la désinformation appellent un « montage ».
Paranoïa ? Imagination trop fertile ? Peut-être… Mais il est presque comique que Taguieff, conceptualisant la théorie du complot comme une maladie de l’âme européenne en général et de l’homme de gauche en particulier, prenne pour exemples significatifs l’engouement du public pour des romans comme Da Vinci Code ou pour des séries comme X Files, purs produits de la sous-culture américaine ! En se prenant ainsi les pieds dans le tapis, Taguieff apporte sans s’en rendre compte un autre indice au soutien de l’hypothèse que je viens d’évoquer. Car la théorie du complot, ainsi que le rappelle l’historien anglais Anatol Lieven [3], est précisément un thème récurrent de cette sous-culture américaine, ce que l’historien des idées Taguieff, qui prétend dresser la nomenclature exhaustive de toutes les courants de la famille complotiste, a toujours oublié de rappeler. En d’autres termes, un concept « importé ». D’où, déjà ?
Lire ou relire sur Bakchich.info :
[1] Editions Mille et une nuits
[2] Armand Colin, 2007
[3] Le nouveau nationalisme Américain, Jean-Claude Lattès, 2005
Bé oui, on nous cache tout on nous dit rien !
Bakchich c’est bien pour les scoops mais pour l’analyse ça laisse toujours et encore désirer !
ça vous gêne tant que ça que rue89 arrive à rester gratuit ?
Allons, vous ne vendrez pas plus d’espace pub de cette manière, votre filon c’est le scoop et la satire, continuez plutôt dans cette voie-là enfin, ou investissez dans la qualité d’analyse, ça donnera un peu plus envie de payer pour lire.
Rue89 n’est pas un modèle en matière de transparence. Un des dirigeant a été Young leader de la fondation franco américaine. Think tank financé par les grandes sociétés, dont autant vous dire que l’objectivité est limitée.
A voir : http://www.dailymotion.com/video/x8genp_rue89-face-a-we-are-change-paris_news
Pour ceux qui cherchent vraiment la vérité, je vous invite à aller voir au cinéma le documentaire "Zero" Le film qui relate certaines incohérences de la version officielle des attentats du 11 septembre. A déconseiller aux journalistes car ils pourraient ne pas comprendre de manière objective, même s’il est évident que tout le monde sait mais personne n’en parle.
Voici quelques extraits du débat qui a suivi :
http://www.dailymotion.com/video/x8o52p_debat-film-zero-sur-le-11-septembre_news
Heureusement que le peuple fais de temps en temps son travail d’analyse, chose que la meute de journaliste ne fait plus depuis bien longtemps
l’absurdité de la thèse selon laquelle aucun avion ne se serait écrasé sur le Pentagone. Qu’est-ce qui permet aux auteurs d’écrire cela ?
Expression typique de la pensée unique, du pavlovisme et finalement de l’intox.
Je ne sais pas ce qui s’est passé au Pentagone, mais cela mérite enquête et de nombreuses personnalités au moins aussi sensées que les auteurs se posent des questions.
Comme quoi, le désir compulsif de paraitre poli et quelque part bien élevé ( on ne met pas en cause un rapport officiel américain , mes bons messierus !!!) finit par paralyser le cerveau