Dans la presse américaine cette année, pas un seul article, pas un seul mot pour l’autre 11 septembre : le coup d’état militaire au Chili.
Aux États-Unis, l’anniversaire de l’attentat du 11-Septembre contre le World Trade Center a été l’occasion d’un grand acte de deuil collectif sur toutes les chaînes de télévision. Mais dans la presse américaine, il n’y avait pas (selon Google) un seul article, pas un seul mot pour l’autre 11 septembre : le coup d’état militaire au Chili en 1973 qui a instauré la dictature sanglante du Général Augusto Pinochet.
Pourtant, le rôle prédominant de Washington dans ce coup d’Etat a été établi depuis longtemps. Dès l’élection du président socialiste Salvador Allende en 1970, le président Richard Nixon et son bourreau pour les affaires étrangères, Henry Kissinger, ont comploté pour renverser Allende. Des dizaines de milliers de pages de documents secrets déclassifiés depuis l’ont amplement démontré. « Je veux faire hurler de douleur l’économie chilienne ! » dixit un Nixon vengeur dans une conversation enregistrée avec Kissinger. Dont acte : grâce au torpillage américain, l’économie du Chili tombait en trois ans dans le chaos : inflation hallucinante et chômage qu’Allende n’a rien pu faire pour arrêter.
Allende fut martyrisé lors de l’attaque des troupes de Pinochet contre La Moneda, le palais présidentiel à Santiago, et par la suite Pinochet, une brute sans pitié, a tué ou « escamoté » au moins 3200 civils, torturé des dizaines de milliers de personnes, forçant quelque 200.000 Chiliens à fuir leur pays, la plupart pour l’Europe.
Les documents qui prouvent la responsabilité des États-Unis dans le putsch de Pinochet ont d’abord été mis à jour par des enquêtes du Sénat, et ensuite par une série de procès sous la loi dite « Freedom of Information Act, » et sont disponibles dans l’excellent livre du chercheur Peter Kornbluh, The Pinochet File.
Et le legs néfaste de Pinochet rode toujours, y compris pour les 33 mineurs de fond chiliens emprisonnés dans un puits des profondeurs depuis le 5 août. Comme l’a rapporté le quotidien britannique The Independent le 25 août dans un article sur la tragédie de ces mineurs, « la négligence des précautions élémentaires de sécurité dans les puits est l’héritage de décennies d’actions antisyndicales de Pinochet, qui a tout fait pour écraser les syndicats, et des gouvernements qui, depuis, n’ont pas aboli sa législation répressive. »
Le gouvernement de l’actuel président du Chili, le milliardaire Sebastián Piñera, alias « le Berlusconi chilien, » est truffé d’anciens collaborateurs de Pinochet, et Piñera lui-même continue de justifier le coup d’état : sur son anniversaire la semaine dernière, il a dit que la mort de la démocratie chilienne n’était « ni soudaine ni déraisonnable, » comme l’a rapporté le Santiago Times.
Le grand écrivain chilien Ariel Dorfman, dans son recueil d’essais Other Septembers, Many Americas, a écrit que le devoir des Américains est « de comprendre l’enfer collectif des survivants quand leurs proches ont disparu sans un corps à enterrer, maintenant que l’attentat du World Trade Center leur a donné l’opportunité d’approcher et de comprendre les variantes multiples des nombreux 11-Septembres qui sont éparpillés à travers le globe, les souffrances communes que tant de gens et de pays subissent. »
C’est triste que nous ayons tant manqué à ce devoir.