La telenovela entre le président sénégalais Abdoulaye Wade et son ancien Premier ministre Idrissa Seck a manqué s’essouffler. La faute à des retrouvailles décevantes. Heureusement un troisième larron a surgi et pimente un peu le tout : Karim Meïssa Wade, fils de son père.
Le décor du vaudeville politique sénégalais a un peu changé. La campagne électorale est enfin lancée, bien lancée. Dès le dimanche 4 février, quelques pierres ont volé. À l’encontre de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck. Une petite querelle de famille en fait. Les apprentis sénégalais en Intifada venaient des rangs du parti présidentiel, le parti démocratique sénégalais (PDS), « ma famille » selon les propres mots d’Idy.
Et depuis lors, le débat s’est considérablement élevé. Finies les pierres, place aux dossiers compromettants. Moins faciles à manier. Gorgui Wade, en grande forme malgré un programme de meetings démentiel à travers le pays pour un homme à l’âge incertain, s’en donne à cœur joie. Et ne s’embarrasse pas de circonvolutions, menaçant la plupart des tenors de l’opposition de ressortir de vieux scandales du temps socialiste.
Un peu soupe au lait, le Vieux ! Tout cela parce que ses adversaires, Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse ou Abdoulaye Bathily parle de mal-gouvernance, gabegie et corruption à propos du régime libéral…
Exonéré de dossiers volants, l’ancien Premier ministre-fils préféré Idrissa Seck se garde bien ces derniers temps de menacer son ancien mentor. Du moins en public, où il se borne à affirmer qu’il sera le prochain président sénégalais et qu’il ramènera « Wade à son domicile du Point E » (quartier chic de Dakar). En privé, « Idy-les-dents-longues » lâche ses affidés, chargés d’aller porter la bonne parole aux journalistes.
Et le scénario est bien rôdé. Le président a reçu son ancien Premier ministre pour l’adouber, lui promettre qu’il va se retirer bientôt, lui offrir le parti et tout faire pour le faire accéder au poste de président de la République… Rien de moins.
Pourvu que le petit Idy fasse d’apaisantes déclarations sur son retour au bercail du parti présidentiel. Aussitôt dit, presque aussitôt fait (cf Bakchich # 20) et les conseillers du président n’ont pas fini d’en rire. « Le président est un sacré animal politique, Idy est fini », reprend en chœur la cohorte de thuriféraires qui squatte le palais. Et l’écho de la population ne leur donne pas tout à fait tort.
Hermétiques aux sarcasmes présidentiels, les petites mains de Ngorsi Seck tiennent le cap. Tant de bonne volonté de la part de Wade a été obtenu sans contrepartie ? Non, bien sûr, Idrissa Seck « a des dossiers très compromettants sur le pouvoir », jurent les multiples bras droits du leader de Rewmi. Certes. Et ces bombes à retardement, serait-il possible de les voir ? Ben non ! Niet, nada et pas moyen de négocier. Dommage. Bon, pourrait-on savoir qui ils concernent ? « Karim Meissa Wade, ses chantiers, sa corruption. Si cela sort, il passera sa vie en prison. Et le président veut protéger son fils » . Ah enfin un nom, un nouveau personnage dans la comédie du pouvoir sénégalais. Et pas des moindres, le fils du président. De quoi pimenter diablement l’histoire. Le fils spirituel Seck et le fils biologique Karim qui se disputent l’héritage du paternel. Beau comme l’antique, un rebondissement inattendu !
D’autant que l’inimitié entre Karim et Idy n’est pas neuve. « Dans cette querelle, il n’y a ni coupable, ni victime », croit les dédouaner un haut cadre du parti présidentiel, « seulement deux responsables, deux complices ».
Entre jalousie d’un fils biologique pour un homme pour qui son père « a fait plus que pour ses propres enfants » et hantise d’un fils spirituel de voir le biologique prendre le pouvoir.
Car Idy, comme la presse sénégalaise l’a fait un temps, croit dur comme fer que Monsieur K. a des ambitions politiques. Et s’en est longuement ouvert lors de ses récentes rencontres avec le président. Sans toutefois demander sa tête. Si bien que Gorgui a même demandé à son rejeton « ce qu’il avait fait à Idrissa Seck ». Réponse du concerné. « Rien ». Sauf, peut-être, agir sur le terrain économique, terrain sur lequel Ngorsi avait jusqu’à 2004 la haute main, avec une certaine boulimie. Et une avalanche de milliards CFA.
Les grands travaux de Dakar, LA lubie paternelle qui a transformé la capitale en chantier à ciels ouverts… et provoqué au mieux le scepticisme, au pire le mécontentement des populations. C’est Karim ! Le ravitaillement en pétrole du pays en panne sèche. C’est Karim ! L’épineuse gestion du dossier des Industries chimiques du Sénégal, fleuron de l’industrie nationale en faillite ? C’est aussi (en partie) Karim ! Une activité inquiétante… D’autant que son statut de président de l’agence nationale de l’organisation de la conférence islamique le met en contact avec les généreux bailleurs de fonds du Golfe. De quoi se faire un trésor de guerre !
Élément aggravant, le secrétaire général de l’Anoci, Abdoulaye Baldé, va se présenter aux législatives en Casamance sous la bannière PDS. Et le responsable des relations avec la presse du candidat Wade aux élections présidentielles n’est autre qu’un communicant de l’agence.
Un faisceau d’indices qui ont valeur de preuve pour l’ancien Premier ministre.
À bien y regarder, le tout paraît quand même survendu. Pourquoi diable Seck, toujours candidat à la présidentielle et adversaire déclaré de Wade pour le prochain (et hypothétique) scrutin du 25 février, a-t-il choisi de garder autant de munitions sous le coude qui pourraient le détruire ? Mystère et huile d’arachide. Et comment Karim, qui ne baragouine pas même le wolof, que ni la presse ni la population ne portent dans leur cœur pourrait-il espérer succéder à son père, plutôt adepte du « j’y suis j’y reste » et du « après-moi le déluge » ?
Autant d’énigmes qui ont relancé la telenovela la plus bondissante de la vie politique sénégalais. La plus risible aussi.