Parmi les derniers polars de la série noire de Gallimard, « Zulu » de Caryl Féret dépeint une Afrique du Sud où la logique bourgeoise a supplanté la logique de l’apartheid. Habile stratagème pour légitimer la pauvreté grandissante dans ce pays.
Il fut un temps où la culture française ressemblait à l’Afrique du Sud. Avec d’un côté la culture blanche, fréquentable, et représentative du « bon goût » bourgeois ; et de l’autre côté, la culture noire, populaire (« cheap »), bien trop vulgaire pour ces derniers. Elle permettait à certains de s’encanailler, tel Gide lors de ses nombreux voyages.
Comme l’adultère, la consommation de la culture noire était tolérée seulement si elle n’était pas affichée. Les jeunes, le soir, pouvaient quitter la table et se diriger vers leur chambre avec une blanche sous le bras, pour s’oublier ensuite avec une noire. À condition de ne pas en parler à leurs parents. Pour éviter la proximité avec la littérature populaire, Gallimard avait créé ce que les économistes appellent aujourd’hui « une barrière à l’entrée » : la virginité d’une blanche se payait au prix fort. Seule la Série Noire vous garantissait de l’authentique au prix du Livre de poche. Consommer de la Noire ne mettait pas en péril l’équilibre financier du ménage, la morale bourgeoise était ainsi sauve.
Puis, il y a une petite dizaine d’années, Gallimard a décidé de changer tout cela. La Série Noire s’est vendue au prix de la Blanche. Elle gagnait ses lettres bourgeoises et multipliait ses prix par deux. Le pouvoir d’achat et les pistes se sont brouillés. Quelques différences perdurent. La collection blanche a gardé sa pureté mate et graphique alors que la couverture cirée de la Noire est illustrée.
Zulu, chez Gallimard, nous raconte un peu la même aventure au pays de l’apartheid. Les blancs écrasaient les noirs de leur superbe bêtise jusqu’à ce que l’on pense naïvement que la démocratie leur permettrait de cohabiter. En réalité, tout s’est compliqué. Exit, le manichéisme simplificateur. Le noir n’est plus un saint, ni le blanc un salaud. Ici, ce ne sont pas les prix qui se sont multipliés par deux, mais la criminalité qui s’est envolée, l’Afrique du Sud est devenue une des démocraties les plus dangereuses au monde. Zulu, c’est donc du bon journalisme avant tout, aussi intelligent que certains articles du Monde Diplomatique.
Au fil des pages du polar, le lecteur se demande si tout n’est pas rentré dans l’ordre. Hier, l’apartheid laminait les noirs, aujourd’hui, le libéralisme lamine les plus pauvres. La norme bourgeoise a remplacé les lois raciales, mais ce sont toujours les mêmes qui trinquent. L’ordre mondial a rendu acceptable ce qui ne l’était pas, et l’Afrique du Sud n’est plus d’actualité pour la gauche bien pensante. Les riches habitent de véritables forteresses. Les pauvres meurent du Sida dans des bidonvilles. Et là, le polar devient à la fois sordide et passionnant.
D’autres critiques de polars à lire dans Bakchich :
L’alternative qui a déjà été essayée, c’est quand il n’y a plus ni riches ni patrons, ni exploiteurs ni exploités, ni opprimeurs ni opprimés, ni bourgeois ni ouvriers, ni employeurs ni employés…
C’est une société dans laquelle il n’y a plus que le Guide de la Révolution, des pauvres et des flics…
Sympa aussi non ?
Au delà des extrêmes du capitalisme et du communisme, il y aurait peut-être moyen que ces gens vivent tous mieux, pour peu qu’ils investissent sur l’éducation des enfants, pour que les pauvres cessent d’engendrer systématiquement des pauvres et que les riches aient un peu moins besoin de protection rapprochées et de murs, dans une ou deux générations. Quand je parle d’éducation, je ne parle pas d’éducation religieuse mais de cours pratiques et théoriques sur les sciences, l’artisanat, l’industrie, le commerce, les langues…
Ils devraient peut-être appeler une certaine proportion d’enseignants de l’étranger pour aider à changer leur monde.
L’Afrique du Sud est aujourd’hui à ce point déséquilibrée qu’ils ne trouvent pas assez de militaires pour leurs équipements (sous-marins, avions, hélicoptères…)