Si la droite française s’est acharnée à construire une polémique minable au début de la virée de Ségolène Royal au Moyen-Orient, c’est surtout le reste du voyage de la présidentiable qui est marqué par la médiocrité
« Même les aficionados les plus pro-israéliens de la droite française genre Pierre Lellouche, Claude Gloasgen ou Alain Madelin n’auraient pas osé aller si loin », pouvait-on entendre, cette semaine, dans les couloirs de l’Assemblée nationale. Réflexion partagée par des députés du PS et de l’UMP. Grand organisateur de la tournée proche orientale de Ségolène, Jean-Louis Bianco était dans ses petits souliers et peinait à soutenir que tout s’était bien passé. Quant à Jean-Marc Ayrault, le patron premier-ministrable du groupe socialiste, il tirait une sacrée binette.
Ce n’est pas tant la mauvaise polémique - mal montée en mayonnaise - de l’incompréhension ou de la mauvaise traduction des propos d’un député du Hezbollah qui posent problème. C’est la loi du genre dans ce type de rencontre, aussi le tir de barrage de l’UMP s’explique davantage par la fétichisation d’un Hezbollah incarnation du mal pour tous les relayeurs de la doxa dominante que par le fond de cette rencontre elle-même. Rappelons seulement que le Hezbollah dispose d’un groupe de douze députés au parlement libanais que ces derniers ont été légitimement élus par des électeurs libanais et qu’ils sont libanais eux-mêmes.
Plus curieux, en revanche, Ségolène a été accueillie à l’aéroport Rafic Hariri par Walid Joumblatt, ancien serviteur zélé du pouvoir syrien, recyclé dans la coalition du 14 mars aux services des intérêts américano-israéliens et devenu récemment très anti-syrien. Ce revirement qui s’explique par la volonté de la préservation et la reproduction d’intérêts confessionnels féodaux sinon mafieux ne suffit pas à faire de ce personnage très impliqué dans les tragédies de la guerre civile libanaise (1975/1991) le champion d’une improbable social-démocratie libanaise. Canalisée par Joseph Thomé, un franco-libanais très en cour chez Joumblatt et auprès de la famille Hariri, la petite délégation de Ségolène a refusé de recevoir le général chrétien Michel Aoun qui, lui aussi s’appuie pourtant sur un important groupe parlementaire.
Notons au passage que les interventions répétées de l’envoyé spécial multi-cartes Roger Auques qui se déplace dans Beyrouth avec des gardes du corps de la famille Hariri prêtent à sourire lorsqu’il présente la mobilisation populaire actuelle contre le gouvernement de Fouad Siniora comme – et je cite – « une confrontation entre un camp pro-syrien et un autre anti-syrien ». Quiconque, un tant soit peu au fait de la chose libanaise, sait qu’assimiler Michel Aoun - l’homme de Baabda qui défia Damas – à un pro-syrien prête plutôt à sourire… Roger Auques : bonnet d’âne…
Mais passons pour revenir à l’essentiel de notre Ségolène qui brocarde à Beyrouth les viols quotidiens de la résolution 1701 par l’aviation israélienne, mettant en danger les casques bleus de la FINUL, notamment les soldats français, pour dire 24 heures plus tard le contraire au premier ministre israélien Ehoud Olmert. Nouvelle déconvenue lorsque Ségolène ne contexte pas la construction du mur israélien sur territoire palestinien, incapable de simplement rappeler l’arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute instance judiciaire des Nations unies qui a clairement condamné ce même mur, parce qu’érigé, justement, sur le territoire palestinien. Ce mur de la honte qui, confirment les meilleurs experts anti-terroristes, n’est pas en mesure d’endiguer le recours au mode opératoire terroriste, entérine en fait l’annexion unilatérale de 15% supplémentaires de terre palestinienne et mutile la vie quotidienne de quelque 280.000 personnes. Un détail ?
Mais le meilleur était encore à venir lorsque notre présidentiable remet le couvert sur son refus du nucléaire civil iranien. Même le Monde, plutôt pro-atlantiste en la matière, relève – et je re-cite – « Sa position, en contradiction avec le traité de non-prolifération de armes nucléaires (TNP), n’est officiellement défendue par aucun pays, pas même les Etats-Unis, ni Israël ». C’est dire.
Quant à son souhait exprimé à Beyrouth de rencontrer toutes les formations « légitimement élues dont le Hamas palestinien », Ségolène Royale opère le même rétro-pédalage indiquant qu’elle excluait tout contact « avec une organisation terroriste ». Enfin, au cours de sa conférence de presse finale, elle « salue les efforts de paix du gouvernement israélien » (sic). A l’issue de cette visite, le premier ministre israélien qui n’en attendait pas tant se déclare « content ». et le Crif qui – lui-aussi – n’en attendait pas tant « prend note avec satisfaction » des « nouvelles déclarations » de la candidate socialiste à l’élection présidentielle. Le Conseil représentatif des institutions juives de France « apprécie particulièrement la fermeté qu’elle a exprimé sur le nucléaire iranien ainsi que la reconnaissance de l’importance de la barrière de sécurité et de l’utilité des survols du Liban par l’aviation israélienne », conclut le communiqué.
Le lendemain, le collectif des associations France-Palestine et les différentes organisations qui engagent depuis plusieurs mois les jeunes des banlieues à s’inscrire sur les listes électorales, multipliaient les messages auprès de leurs correspondants afin de leur conseiller de « faire barrage à Madame Royal, nouvelle allié de Tel-Aviv ».
Peut-on leur donner tort ? La question reste posée. Spinoza, Mendès, Mitterrand, réveillez-vous, elle est devenue folle…
En complément de cet article, voici un résumé de celui de Jean-Baptiste Thoret, paru dans Charlie Hebdo du 6 décembre 2006 et intitulé "Les marrionnetes sans leurs ficelles".
"Dernier trébuchement en date, celui de Ségolène Royal, en visite au Liban et piégée par un député du Hezbollah comparant la présence d’Israël à l’occupation nazie. Pieds dans le tapis de l’intéressée et cacophonie médiatico-politique immédiate. Peu importe que Ségolène N’ait pas entendue les propos du député Ammar, peu importe qu’elle ait été victime d’un complot des traducteurs, le lendemain, la voila contrainte de s’expliquer devant les caméras.[…] Encore une fois, la souris a voulu jouer au boeuf et a chuté. Sans doute le logiciel régional de la candidate PS a-t-il eu du mal à trouver dans le paysage du Poitou-Charentes l’équivalent terroir de ce député du Hezbollah. dans le cas de Royal, comme dans celui de Sarkozy, le risque de vacillement est une constante qui obsède leur entourage respectif. tiendront-ils jusqu’au bout ?[…] On sait que c’est la chute qui détermine le milieu et non l’inverse. Autrement dit, cette crainte de l’éffondrement qui rôde dans les parages des deux candidats dit leur extraordinaire fragilité intellectuelle et explique notamment la peur panique de la garde rapprochée de Ségolène pour laquelle le débat est synonyme de peste. Car le débat suppose l’imprévu, et l’imprévu est source de déséquilibre. Ségolène apparaît comme un cas exemplaire de ce que l’on pourrait appeler le marionnettisme politique.[…] Privée de ses Gepetto, la Madonne du PS, au mieux vacille, au pire, s’éffondre. Ségolène Royal ne parle pas, elle est parlée, elle n’agit pas, elle est agie, et pour son camp, la catastrophe survient à chaque fois qu’elle contrevient au pacte qui la lie à ses programmeurs.[…] Mais, elle rêve de penser par elle-même et, surtout, de dire ce qu’elle pense. C’est là que les ennuis arrivent, que les bourdes s’enchaînent et que la chute survient. Moralité : le faux-pas dit souvent vrai"