Psittacause toujours !

Les amateurs de choses très drôles connaissent bien le fameux « perroquet bleu de Norvège » (Norwegian blue parrot), grâce à un sketch merveilleux des Monty Python. On connaît moins la firme Perroquet Institutionnel Communication (P.I.C.), créée par le fameux Frédéric Lefebvre, infatigable compagnon de route de Sarkozy depuis des années (il était à l’époque son assistant parlementaire « à mi-temps », ça ne s’invente pas … et surnommé « Frédo le nettoyeur » !), et désormais porte-parole de La Voix de son Maître, pardon, de l’UMP. Reste à savoir si ce drôle d’oiseau est aussi inoffensif que le Bleu de Norvège. En tout cas, ce perroquet s’avoue institutionnel – ce n’est pas la communication, ni la firme qui le sont, car institutionnel (qui est du français, pas de l’anglais) ne peut se rapporter qu’au volatile. A moins que cet homme ingénieux n’ait, en baptisant son bébé, montré une faiblesse de ramage – on se souvient qu’un jour récent il a volé dans les plumes de l’AFP qui n’avait pas reproduit un de ses communiqués bourrés de fôtes d’ortografes. En tout cas, en confondant les langues, il a osé un lapsus calamiteux qui, inévitablement, le désigne comme le plus bavard des oiseaux, mais le plus soumis, puisqu’il ne fait que répéter ce qu’on lui a demandé de dire. Vous avouerez que pour un porte-parole, c’est normal, mais que pour un député, c’est un rare talent : en juin 2008, son amendement relevant de 2,5% à 8% le seuil d’audience d’une chaîne de télévision en-dessous duquel la chaîne n’a pas à se conformer au plafond de 49% de détention de son capital par un même opérateur est tellement beau que TF1 et M6 n’auraient pas pu mieux le formuler.

La volière enchantée

Pour un lobbyiste, devenir institutionnel et pouvoir le clamer, c’est le hold up parfait. D’autant plus que le lobbyisme est une pratique contraire à nos institutions, chose dont, après tout, on se fout éperduement dans l’une et l’autre de nos Chambres, où des hommes comme notre perroquet ont pendant des années chanté leurs berceuses aux députés de tout bord. Une vraie chorale, comme l’avait montré un beau reportage télévisé de Canal+, qui insistait lourdement sur des lobbyings de détail (par exemple, les chasseurs de canards), sans laisser trop paraître que le lobbying hard, le vrai, le costaud, c’est Bouygues et autres géants, c’est la télé privée, c’est la pub, et c’est encore Frédéric Lefebvre, comme en témoigne l’activisme du Club Parlementaire sur l’avenir de l’Audiovisuel (CPAA), qu’il co-préside. Cet aimable machin accueillait dans un dîner-débat, le 18 novembre dernier, Mme Albanel, justement chargée de la loi sur la réforme de l’audiovisuel. Sûrement pas pour faire du lobbying. Entre la poire et le fromage, on a discuté de la taxation des ressources publicitaires, mais c’était un hasard. Des mauvaises langues affrment que, du statut de commision Copé-bis, qui n’était déjà pas très institutionnel, ce cénacle est passé à celui de cocotte-minute des amendements recevables et des ajustement appréciés par nos amis de la télévision privée, de la publicité et de leurs bénéfices enfin réunis. Que non, répète, à l’envi le Perroquet : on s’intéresse à la créativité du service public. Vous y croyez, vous ?

Eteint, ou en veilleuse ?

Mais un perroquet, non content de s’élever de branche en branche en comptant sur son bec plus que sur ses pattes, ça pince les doigts, et ça fait mal. Toujours prêt à mordre : dans perroquet, il y a roquet. Vous vous souvenez de la psittacose, cette maladie transmise, dans les albums de Tintin, par les aras qui rient et les cacatoès revêches ? Une des tâches du porte-parole est de la diffuser en mordillant la minorité, avec constance, et surtout sans nuances, avec cette belle assurance cynique des majorités empâtées dans leur graisse parlementaire. La technique consiste à n’avoir qu’une réponse quelle que soit la question, ce qui, évidemment, affaiblit l’intérêt de la question : notre perroquet est un champion de cette esquive insolente. Parlez au perroquet du paquet fiscal, il vous répondra par les trente-cinq heures. Parlez-lui des cadeaux à Bouygues, il vous répondra par les trente-cinq heures. Parlez-lui de la grande merdouille du capitalisme financier, il vous répondra par les trente-cinq heures. Parlez-lui des suicides dans les prisons, des SDF qui claquent dans le froid, des centres de rétentions qui crament, il vous répondra par les trente-cinq heures. Non, j’exagère : pour le centre de rétention, il évoque les provoquants collectifs d’aide aux sans-papiers. Lui, il soutient seulement le collectif d’aide aux forts détenteurs de papier-monnaie, ses clients d’hier, pour lesquels il assurait une « veille parlementaire » redoutable – pour aujourd’hui, allez savoir ? Personne n’oserait le penser, et surtout pas moi : il est assez connu que je n’aime pas les rapaces, les corbeaux, les coucous et autres nuisibles, donc, je risque d’être de mauvaise foi, je préfère m’abstenir de tout jugement sur les oiseaux. Mais enfin, entre deux éruptions, vous pensez que le Stromboli s’éteint ?

La grâce… et la pesanteur

Et ne voilà- t-il pas que, quand on lui parle de la grâce faite à Marchiani, le perroquet répond (on croit rêver, tant c’est burlesque !) en évoquant… 1981, où se serait produit une évasion massive de terroristes et de violeurs, capables, en tout cas, de ressusciter Action Directe et de susciter des meurtres en aval pendant plusieurs années (sic). Sans compter qu’avec les trente-cinq heures, toutes ces canailles grâciées par Mitterrand ont pu (tant qu’on y est …) faire péter les centres de rétention en profitant de leurs RTT. Pour le coup, ça, c’est une nouvelle ! Quelle profondeur politique ! What a brain ! What a storming ! What a brain-storming ! Et le grand talent du perroquet, c’est de pouvoir dire ça avec l’impassibilité d’un moine thibétain, le menton arrogant et l’oeil métallique des incorruptibles incorrompus, et l’autorité oraculaire d’un vendeur d’immobilier qui vous assure que non, jamais la rivière n’inondera le lotissement alors même qu’il y a dix centimètres d’eau dans le living. Je le répète : ça, c’est du talent. C’est communiquer. D’autant plus que, pour se parer des plumes de paon de la tolérance, le même perroquet verse des larmes de tendre perdreau sur les tracas de Julien Dray. Evoquer la présomption d’innocence, mon pinson, ça n’a jamais coûté un sou à quiconque. Quand la ficelle est trop grosse, on appelle ça un câble. Comme pour les chaînes de télé.

D’ici que Sarko en fasse un ministre…