L’été, sur les ondes, c’est toute une série de rituels. Le ton est lancé par l’immanquable débat sur l’utilité de l’heure d’été, toujours ouvert, jamais conclu, vide de tout intérêt, animé par de paisibles jouisseurs qui trouvent pas mal de lire sur la terrasse, en juillet, jusqu’à dix heures du soir en économisant l’énergie de la lampe, et, dans l’autre camp, quelques fanatiques que d’épuisantes gymnastiques sophrologiques ont amené à exiger, pour tous, grands, petits, veaux, vaches, cochons, couvées, une journée où l’on se lève avec le jour et où le soleil se couche, au pis, à huit heures du soir. Remarque : rien ne les empêche de fermer leurs volets quand ça leur chante.
L’approche de l’été se précise avec les variations classiques sur le « stress du bac », avec interview de quelques psychologues contradictoires et les bons conseils d’un professeur expérimenté (ne pas trop bachoter, éviter le café, dormir et faire du sport, on se demande dans quel état sont les candidats au permis de conduire, qui est beaucoup, beaucoup plus difficile à décrocher que le bac).
Puis vient le « départ des juilletistes ». Ils sont très attendus (menu obligé : interviews de commerçants de Chamonix, de restaurateurs des Sables-d’Olonne, et d’un maître-nageur de Palavas). La phrase-clé du rituel est : « le niveau des réservations est satisfaisant, mais il reste de la place partout ». À cette étape de la course, on ne parle pas trop de la météo, sauf, évidemment, s’il neige à mille mètres le 3 juillet (cela s’est vu), mais en général, il ne fait pas beau. Document type : une famille en anorak face à une mer démontée, quelque part sur la côte atlantique, avec des gosses livides, bref, des gens qui à chaque minute pensent au gâchis de leurs économies englouties dans des vacances de m…, mais qui se proclament heureux avec le sourire triste des veufs récents « on se promène, les gosses profitent du bon air… ». Pour enfoncer le clou, les commentaires évoquent volontiers des campings inondés.
Et le voilà enfin, le héros de l’été, le « chassé-croisé » ! Petit rappel : chassé-croisé, a priori, ça n’a rien à voir avec la circulation automobile. C’est un terme emprunté au lexique de la chorégraphie, qui désigne un « mouvement par lequel les partenaires se passent alternativement l’un devant l’autre ». On observera sans peine que ce mouvement ne correspond absolument pas à celui des autos descendant vers le sud d’un côté de l’autoroute, et celles montant vers le nord sur l’autre voie : il serait même burlesque que se produisît, alors, une quelconque alternance. Au sens figuré, l’expression n’est pas mieux adaptée : « suite de démarches plus ou moins troubles (sic) qui se neutralisent sans résultat », dit le dictionnaire. Et finalement, on peut trouver ce troisième sens attesté : « échange sans signification ou sans grand intérêt ». Là, on se rapproche nettement du traitement de l’évènement par les commentateurs professionnels.
En effet, sur des radios spécialisées dans l’information non-stop, on peut aisément entendre trois cents fois l’expression jugée succulente et finement originale : « (grand) chassé-croisé de l’été », et ce pendant trois jours, lors des week-end, entre la fin juillet et le 20 août. C’est absolument sidérant, cela rappelle la répétition des Ave Maria à Lourdes, le « Priez pour nous ! » des litanies, les « Rien ne va plus ! » des casinos, bref, on est, absolument, dans un rituel pur et dur, impitoyable pour l’auditeur, sécurisé au possible pour le commentateur qui prétend « informer ». Car la seule information qui serait une information, ce jour là, serait qu’il n’y ait pas de bouchons, une circulation médiocre, des routes dégagées. Selon, du moins, le principe qu’on n’a pas à parler des trains qui partent à l’heure.
Mais enfin, dira-t-on, il peut être bon et utile de savoir qu’il y a des bouchons. Cela veut-il dire qu’il est bon et utile de connaître leur longueur totale, sur l’ensemble du territoire, exprimée en centaines de kilomètres ? Excusez-moi de souligner cette évidence : quand vous n’êtes pas dans un bouchon, la longueur des bouchons ne peut vous intéresser que si vous vous réjouissez du malheur d’autrui, ce qui est très laid ; quand vous êtes dans un bouchon, le fait qu’il y ait sept cent quarante kilomètres de bouchons sur la France ne vous avance en rien. L’information qui vous intéresserait, ça serait de savoir où sont ces bouchons, et que faire pour s’en évader. Eh bien, j’ai passé la journée du 1er août entre Moulins et la Côte d’Azur, je peux vous assurer que jamais, au grand jamais, ma bonne vieille radio d’information permanente ne m’a donné cette information. En revanche, j’ai été parfaitement rassuré sur les effets catastrophiques de l’engorgement, huit fois par heure, au kilomètre près, par une voix féminine ou masculine, mais toujours ravie de prononcer avec la jubilation de l’onaniste les mots magiques « chassé-croisé »…
Bon, nous sommes sortis de ce radotage pseudo chorégraphique. On a eu et on aura droit à d’autres passages obligés du rituel : les méduses (en parler quand il y en a, ou s’étonner qu’il n’y en ait pas, alors que l’année dernière, il y en avait ; là encore, conseils médicaux classiques par spécialiste déniché on ne sait où) ; les huîtres interdites de consommation, avec protestation des producteurs et mise en cause des tests (rappel : pendant des siècles, on n’en a mangé que les mois en –r) ; les enquêtes de la répression des fraudes (comme si on ne savait pas que les snacks d’été sont gérés par des margoulins qui n’ont jamais lié une béchamel et fourguent du surgelé périmé réchauffé au black !) ; le prix des légumes (sans jamais dire que les producteurs s’en mettent, eux aussi, plein les fouilles, cette année, et vendent « à la ferme » aussi cher que l’hyper du coin…) ; la détresse des touristes « otages » largués pendant huit heures dans un aéroport (avec bar et WC, tout de même) par un tour operator bidon (il y en a forcément) ; les « séminaires » (quel beau mot pour un rituel !) de quelques partis politiques secondaires (les autres se déchirent ou marchent au pas) ; les adversaires militants de la corrida, qui bénéficient d’une audience exceptionnelle cette année en raison d’un Mozart de la muleta (rappel à toutes les rédactions : taureau, c’est pour le Salon de l’Agriculture, toro, c’est pour les arènes, et on n’écrit pas « tauréador » comme je l’ai lu sur I-télé), mais obtiennent chaque année un temps d’antenne phénoménal alors qu’ils sont à peine plus nombreux que les corridas (à une féria landaise, ils étaient venus à un, mais il est passé trois fois à la télé !) ; et, pour finir, le coût de la rentrée scolaire (avec polémique). Vraiment le minimum sur les gosses qui restent au Centre aéré, parce que papa travaille plus pour gagner plus, d’autant plus qu’il est au chomedu…
Bref, même avec le fracas des J.O, l’été et son fameux « chassé-croisé », c’est la saison où la presse audiovisuelle trahit plus que jamais ses faiblesses, son conformisme, son ivresse naïve des stéréotypes – qui mériteraient d’être recensés par un néo-Flaubert, en tant que grands véhicules des idées reçues et de l’info inconsistante… Heureusement qu’ils se foutent sur la gueule en Géorgie, et que Manaudou a levé le pied, sinon, je vendais ma télé et je donnais ma radio à Emmaüs !
je rentre de vacances. courtes, mais bonnes, merci.
j’ouvre mon bakchich avec une certaine inquiétude…
tout est bien.
ouf.
Severin est là.
avec ses envolées guerrières
avec ses bonnes manières
avec ses justes colères.
bref.
j’ai juste pas compris le titre, "Été de télé", alors qu’il est essentiellement question de radio…
je me demande aussi avec un rien de perplexité ce qu’est un "Mozart de la muleta" :
un compositeur de sonneries aux (toros) morts ?
un tortionnaire de bovins déguisé en anguille argentée à perruque poudrée ?
un tauréador qui entre dans l’arène, tel Mozart, les yeux bandés ? (Ah ! là ça m’intéresse)
bonjour Severin !
cordialement,
S.
ps : je te signale à toutes fins utiles que le sublime Entre les murs, du formidable Laurent Cantet, sera en salles le 24 septembre prochain !
Faut suivre, l’ami(e) ! Le Mozart de la muleta, c’est un gamin de dix ans qui toréait (joliment) des veaux dans une "corrida d’apprentissage", et qu’on a voulu renvoyer à ses jeux vidéos au nom de la législation sur le travail des moutards… De quoi rire sous cape - mais une arène n’est tout de même pas une maison de passes !
Sinon, c’est clair, je vais voir Entre les murs asap. Cochon qui s’en dédit, et sans préjugé.
Merci de suivre avec une telle fidélité mes élucubrations !
SB