Troisième et dernier volet de notre version de la "genèse" de l’affaire Madoff : l’audition par David Kotz, l’inspecteur général de la SEC, d’Harry Markopolos le premier qui soupçonne le cupide Bernie de tricher.
L’interrogatoire rendu public par la SEC, le "gendarme" de la bourse américaine, met clairement en lumière les raisons profondes ayant permis à Bernard Madoff de prospérer si longtemps au nez et à la barbe du « système ».
En dépit des propos lénifiants tenus par les gouvernements et les régulateurs de tous poils au plus fort de la crise financière de 2008-2009, rien ne permet aujourd’hui d’affirmer qu’un tel désastre n’est pas susceptible de se reproduire si les conditions en sont de nouveau réunies.
Résumé des épisodes précédents : Harry Markopolos a tenté sans succès d’alerter le bureau de Boston de la SEC en 2000. Manion, son contact interne avec lequel il reste officieusement en relation à la suite d’un premier entretien décevant avec le responsable local des mesures disciplinaires, lui demande en Septembre-octobre 2001 de faire une nouvelle tentative…
Kotz : parfait ; poursuivons…vous ne pensez pas avoir eu une nouvelle réunion avec eux. C’est à ce moment là que vous avez fourni ce complément d’information, exact ?
Markopolos : exact ; s’il y a eu une réunion, je ne m’en souviens pas.
K : très bien.
M : c’était juste après le 11 septembre et les américains étaient effrayés. Ça a pu être une raison supplémentaire de l’absence de progrès de l’enquête. Le personnel de la SEC avait été contraint de quitter l’immeuble.
K : exact.
M : on estimait que la structure de leur immeuble avait été endommagée.
K : oui, c’est vrai.
M : ils étaient situés tout à côté de ‘Ground Zero’ ; le personnel devait être traumatisé ; je crois même qu’ils avaient reçu l’ordre de travailler à partir de leur domicile sur des ordinateurs portables puisqu’ils n’avaient plus d’endroit où s’installer.
K : très bien. Avez-vous reçu une réponse aux informations transmises en octobre 2001 ?
M : non. Aucune réponse, exception faite de l’impression de Manion selon laquelle, ils ne feraient probablement rien de plus.
K : très bien ; vous a-t-il de nouveau expliqué la raison pour laquelle ils ne feraient rien de plus ?
M : non. Il supposait simplement qu’ils ne comprenaient toujours pas. Que le personnel n’avait pas l’expérience suffisante.
K : a-t-il jamais émis l’hypothèse que le fait que Madoff soit si notablement connu les rendait peut être nerveux à l’idée d’ouvrir une enquête à son encontre ?
M : en effet.
K : quand l’a-t-il fait ?
M : je ne suis pas en mesure de vous le dire.
K : d’accord mais qu’a-t-il dit de manière générale ?
M : que c’était un homme puissant. Une personnalité de premier plan. Qu’il possédait sa propre structure de courtage, qu’il représentait un pourcentage très important du volume traité quotidiennement en bourse ( !) et vous savez que…que la SEC répugne à engager de grosses affaires contre les gens les plus puissants de Wall Street. Il y réfléchissait à trois fois avant de le faire…
K : parfait. Mais vous pensez que cette conversation a eu lieu à peu près au moment où vous fournissiez les informations pendant la période 2000-2001 ?
M : Nous avons eu tellement de conversations à ce sujet que je ne peux pas vous affirmer en quelle année elle a eu lieu, mais c’était au terme d’une longue période d’intense frustration, tant de sa part que de la mienne, de constater le refus d’agir de l’Agence.
K : Très bien. Mais Manion vous a laissé entendre que ce n’était pas uniquement au sujet de l’affaire Madoff ? Qu’il était frustré de manière générale par l’attitude du bureau de Boston ?
M : Oui. Il lui semblait que c’était une attitude délibérée d’éviter d’ouvrir les enquêtes pouvant déboucher sur des opportunités de sanctions.
K : Et que cette attitude se manifestait à l’égard des personnalités les plus importantes ?
M : Oui. Confirmé. Ils se trouve que plusieurs collaborateurs de la SEC sont mes anciens élèves. Je leur donnais des cours sur les dérivés actions et ils étaient mes étudiants dans le cadre du programme d’expertise en analyse financière. C’est dans ce cadre qu’ils me faisaient part de leurs impressions sur l’Agence et ils n’étaient pas tendres parce que précisément, ils faisaient partie des plus qualifiés. Ils ont tous obtenu leur Expertise…excusez-moi, leur titre d’analyste financier expert ; ce qui se fait de mieux à Wall Street ; c’est mieux considéré qu’un Doctorat…
K : alors ? Que disaient-ils en l’espèce ?
M : des ‘invalides’…
K : passons…Manion a-t-il mentionné une entreprise en particulier ? une grosse affaire comme celle de Madoff qui aurait pu passer au travers des enquêtes de la SEC ?
M : en effet.
K : laquelle ?
M : il a mentionné toutes les grosses banques d’investissement ( !)
K : très bien.
M : je voudrais également mentionner que j’ai un ami qui est un ancien responsable de Division au sein du bureau régional de Boston (nb : son nom est masqué dans le procès verbal d’audition).
K : Oui…
M : Il m’a dit tout le mal qu’il pensait de la section disciplinaire…Qu’ils ne prenaient jamais le risque d’engager de grosses affaires ; que les plus grosses firmes étaient traitées avec déférence de peur des répercussions politiques s’ils s’attaquaient à du gros gibier…
K : d’accord…
M : il m’a même affirmé qu’ils ne se frottaient même pas aux affaires de taille moyenne se cantonnant au menu fretin ( !)
K : et lorsque ces propos ont été tenus…revenons un instant à Manion ; est ce qu’il se référait uniquement au bureau de Boston ou à la SEC de manière plus générale ?
M : globalement. Il m’a indiqué que les 2 plus importants bureaux régionaux étaient New York et Boston et que leur niveau d’expertise financière était supérieur à celui des autres bureaux régionaux et… très supérieur à celui de Washington. Il pensait que les gens de Washington manquaient singulièrement d’intelligence financière.
K : d’accord…
M : il affirmait que le meilleur de la SEC était à New York et à Boston, ce qui, à ses yeux, ne signifiait pas grand chose…
K : a-t-il mentionné à la fois New York et Boston comme des endroits où la SEC n’engageait pas de grosses affaires ?
M : très exactement.
K : OK…Poursuivons. Bien que vous n’ayez reçu aucune réponse, vous avez continué à surveiller Madoff, est-ce exact ?
M : oui. Notre surveillance s’est poursuivie et, je dois m’excuser…J’ai quitté le secteur à fin Août 2004 et je n’ai pas…Quand je me suis retiré, je n’ai pas conservé mes archives. Si je l’avais fait, la pile de documents en votre possession aujourd’hui serait trois fois plus épaisse car, je vous le garantis, il y a eu un flux permanent d’e-mails entre fin 1999 jusqu’au 3ème trimestre 2005. Et toutes les preuves rassemblées ont été transmises à la SEC en octobre, en novembre et en décembre 2005 ( !). Je ne détiens plus ces preuves ; j’en suis désolé…
Sans commentaire.
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