Le "gendarme" de la bourse américaine, la SEC, a rendu public un rapport destiné à expliquer pourquoi elle n’est pas parvenue à détecter la fraude montée par l’escroc Bernard Madoff. Une lecture cruelle… pour la SEC elle-même.
Avec un certain courage, la SEC, le gendarme de la bourse américaine, a rendu public le 4 septembre 2009 un rapport de 457 pages visant à expliquer les raisons pour lesquelles depuis 1992, elle n’est pas parvenue à détecter la fraude de Bernard Madoff qui a fait des dizaines de milliers de victimes dans le monde.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne sort pas grandie de l’exercice. Pire, une lecture attentive du document pourrait même encourager les escrocs en herbe à passer à l’acte tellement les gendarmes yankees semblent désarmés devant les outils modernes de la haute finance dévoyée. Bref, c’est une illustration concrète de la dérive des dérivés…
L’auteur du rapport, l’inspecteur général David Kotz, une sorte de « gendarme des gendarmes » s’est employé à mettre en évidence les lacunes les plus criantes de la SEC :
sa mauvaise volonté dont on comprend qu’elle cache d’autres secrets, à exploiter les « tuyaux » fournis par quelques opérateurs du marché,
l’inexpérience voire l’incompétence des équipes chargées d’enquêter lorsque l’occasion s’est finalement présentée,
et une troublante absence de motivation pour entreprendre les vérifications des transactions opérées par Madoff, qui rétrospectivement, auraient dû les mettre facilement sur la voie.
Dans le cadre de sa mission, le 5 février 2009 David Kotz auditionnait en qualité de témoin, Harry Markopolos, le financier qui a « mâché le travail » aux enquêteurs de la SEC et le premier, a fait part de ses soupçons à l’encontre de Bernie La Fripouille.
Dans le dialogue qui suit extrait du PV d’audition, Kotz interroge Markopolos sur les conditions dans lesquelles il à fait part de ses soupçons à la SEC dès mai 2000 ( !) au cours d’un entretien dans le bureau du responsable des mesures disciplinaires de l’Agence de Boston de la SEC, un certain Grant Ward assisté de son collaborateur Ed Manion.
Morceaux choisis extraits de l’annexe 1 à déguster lentement :
Kotz : « Alors, qu’est ce qui s’est vraiment passé au cours de cette réunion ? »
Markopolos : « j’ai expliqué la mécanique de la fraude à Grant Ward et j’ai vite compris qu’il ne connaissait pas ce type d’activité. Il avait un degré zéro de compréhension du sujet à l’ordre du jour. Il semblait très mal formé, et peu informé des pratiques de la profession. Il ne comprenait pas les instruments financiers, et en fait, ne semblait même pas avoir une compréhension rudimentaire de la finance… »
K : OK. Quand vous dites que vous avez expliqué la fraude, à ce stade, quelle était votre théorie sur ce que fabriquait Madoff ?
M : je vais me référer à ma pièce n° 2
K : je vous en prie, utilisez tous les documents que vous souhaitez…
Page 17 :
Kotz : autrement dit, dès mai 2000, vous aviez déjà informé la SEC de vos soupçons que Madoff s’était engagé dans une chaîne de Ponzi ?
Markopolos : exact ; sauf qu’à cette époque, je n’avais pas de certitude quant à celui des 2 scenarii qui était le plus probable.
K : d’accord.
M : je savais simplement qu’il y avait fraude mais je n’étais pas en mesure de déterminer raisonnablement s’il s’agissait de Ponzi ou d’autre chose.
K : bon d’accord ; et vous avez donc fourni l’information à la SEC, à charge pour elle d’engager les enquêtes afin de déterminer laquelle de vos 2 hypothèses était la bonne ?
M : c’est exact.
K : Bien, maintenant je vois que vous avez indiqué dans le document que vous leur avez remis : ‘la SEC ne peut pas découvrir ça par elle-même – je suis dans le métier depuis 13 ans – j’ai déjà mené ce type de stratégie’ ; que vouliez vous dire exactement ? pourquoi disiez-vous à ce stade que vous ne pensiez pas que la SEC puisse découvrir ça par elle-même ?
M : parce que j’avais déjà vu à l’œuvre l’équipe de la SEC par le passé.
K : d’accord, poursuivez…
M : ma firme était dans les produits dérivés ; elle gérait déjà des milliards de dollars. J’avais vu débarquer l’équipe et j’avais jaugé son niveau : des jeunes, inexpérimentés qui manquaient de l’expertise nécessaire, n’avaient pas de bases suffisantes en mathématiques financières et ne comprenaient pas les produits dérivés complexes. Ce n’étaient que des juristes…
K : d’accord.
M : de temps en temps, on voyait arriver un comptable. Habituellement il y avait un expert-comptable dans l’équipe. Mais il n’était d’aucune utilité en ce qui concerne les mathématiques financières. Il fallait vraiment de bonnes bases. Si vous ne comprenez pas les calculs ou l’algèbre linéaire, n’importe quelle firme de Boston aurait pu vous balader. Vous n’aviez tout simplement pas les moyens de les prendre en défaut.
K : bien ; comme vous aviez conscience de certaines lacunes de la SEC, est-il correct d’affirmer que vous êtes sorti de votre rôle en leur fournissant d’avantage d’informations pour leur permettre de trouver les preuves des activités frauduleuses de Madoff ?
M : oui ; je savais à quoi m’attendre en ce qui concerne le niveau de formation du personnel de la SEC et c’est pourquoi je n’ai pas parlé de calculs. Je n’ai pas abordé le calcul différentiel ou l’algèbre linéaire. Je leur ai fourni des informations basiques en anglais basique. Je me suis efforcé de leur rendre les choses les plus intelligibles possibles.
K : OK et vous avez suggéré qu’ils prennent des mesures particulières pour approfondir les informations que vous leur aviez fournies à ce stade ? Dans ce document on parle de vérifications mathématiques…
Page 22 :
K : OK très bien ; oui ; merci ; que vous attendiez vous à ce que le bureau de Boston fasse des informations que vous lui aviez fournies ? je veux dire, vous êtes allé bien au delà d’un simple « tuyau ». Vous leur avez fait toutes les démonstrations mathématiques ? Alors qu’attendiez vous qu’ils fassent à cet instant précis ?
M : qu’ils engagent une enquête.
K : et quel genre ? vous aviez une idée de la direction dans laquelle elle aurait dû être engagée ?
M : oui oui ; en l’espèce, d’abord déterminer si mes conclusions étaient à la fois vraisemblables et crédibles.
Suit un long développement de Markopolos sur la meilleure manière de composer l’équipe d’enquêteurs et de la faire intervenir.
Kotz : Mais que s’est-il finalement passé ?
Markopolos : je ne sais pas ; je sais simplement que j’ai quitté la réunion très déçu.
K : OK. Et vous étiez déçu parce que vous aviez l’impression que Monsieur Ward ne comprenait pas de quoi vous parliez ?
M : exactement.
K : OK. Et vous souvenez-vous avoir eu d’autres impressions au sujet de Ward et Manion au cours de l’entretien, en particulier sur leur degré d’intérêt pour l’affaire ; vous en ont-ils fait part ?
M : Mr. Manion pensait que c’était une grosse affaire. Il avait compris le sens de ma démonstration mathématique et il espérait que son agence réagisse immédiatement. Il était à peu près convaincu que ça cachait un très gros dossier et que ça pouvait constituer un gros coup pour la SEC, mais il est également sorti de la réunion très déçu. Il pensait que le responsable disciplinaire de la région de Nouvelle Angleterre était totalement hors du coup. Il ne savait pas comment le type avait pu décrocher ce job, et n’avait manifestement aucune confiance dans ses compétences.
K : et ça, il vous l’a dit après la réunion ou… ?
M : oui ; on en a fait une rapide synthèse tous les deux.
K : très bien ; et… ?
M : et pendant cette courte récapitulation il m’a dit : ‘Harry, je ne sais pas. Je ne crois pas qu’il ait pigé. Je crois qu’il n’a pas compris un traître mot de ce que vous lui avez dit, exception faite de votre nom’.
On connaît maintenant la suite…
A lire ou relire sur Bakchich.info
Merci Bakchich, excellent article, car on touche là au coeur de la crise financière. On s’est excité sur les traders et leurs bonus, alors que les premiers et vrais responsables sont les instances de contrôle des marchés et les banques centrales. Les banques ne font que jouer avec les règles qu’on leur soumet, et c’est dans leur intérêt le plus rationnel de gagner un max de pognon.
Donc, défaillance des contrôles. Pourquoi ? Incompétence ? Oui sans doute, mais pas seulement : cela fait pas mal d’années que les mécanismes financiers sont théorisés, maitrisés, un grand nombre d’économistes parlaient de la bulle immobilière, expériences passées, etc. Refus de voir le problème ? Plus certainement, car il y a d’évidentes connivences idéologiques avec les banquiers, j’oserais même solidarité de classe. Absence d’outils ? Surement aussi, et là ça renvoie plutôt aux mécanismes prévus - ou pas ! - par les politiques.
A quand une enquête sur les défaillances, en France, de l’AMF, de la Banque centrale ? Comment des banques de détail comme la BNP, la SG, ou bien NATIXIS, ont pu perdre des milliards sur des marchés aux produits pourris jusqu’à l’os ?
Pourrait-on imaginer que ce n’est pas par incompétence que la SEC a « laisser dériver » Madoff mais pour d’autres raisons ? On aurait pu fermer les yeux ? Madoff aurait pu bénéficier de complicités ? Si j’ai bien suivi, en plaidant coupable il a évité un procès, des enquêtes qui auraient pu éclabousser sa femme et son (ses ?) fils mais pourquoi pas d’autres personnes.
Pour l’instant, nous en France, nous sommes occupés à définir notre identité nationale. Ainsi nous pourrons vérifier si de par notre identité nous serions à l’abri de dérives à la Madoff.
Pourquoi parler des maths ? Sur le washingtonpost il y a plus simple !
Il suffisait de demander à la bourse de Wall-Street si Madoff y était actif. Je cite "All the investigators had to do, after all, was check with Wall Street’s central clearinghouse to see that he made no trades at all."