Au bonneteau de l’effort dûment récompensé, les cartes sont truquées depuis longtemps, et le resteront.
Dans les camps, seuls les truands se portent bien. Varlam Chalamov fit cette observation au cours ses années de détention à Vichéra, puis Kolyma. L’administration principale des camps, qui poussait assez loin le rationalisme technocratique et le souci de la rééducation des forçats, avait imaginé l’alléchant principe de la gradation alimentaire. Le détenu qui dépassait un pourcentage fixé de production se voyait gratifié d’une ration améliorée. Hélas, le rabiot tant convoité s’avérait frugal et ne suffisait pas à compenser l’énorme perte d’énergie que nécessitait la hausse de productivité.
Les prisonniers naïfs, qu’un ventre creux poussaient au labeur, avaient beau se lever tôt et turbiner toute la journée, ils n’en mourraient pas moins d’épuisement, plus vite que ceux qui économisaient leurs efforts pour atteindre tout juste l’objectif imposé. Seuls les truands, sachant exploiter à leur profit le travail des faibles et se jouer des contradictions du système, mangeaient à leur faim sans lever le petit doigt et obtenaient en récompense leur libération anticipée.
Ainsi, le glorieux vingtième siècle, qui fut riche d’enseignements sur ce dont l’homme est capable, nous apprit dès les années 30 que la méritocratie n’est que le nom poli de la truandocratie.
A la tête des camps de rééducation du monde libre et démocratique, les chefs d’entreprises, incontestables héros du mérite libéral, ont bien compris la supériorité de la truanderie. Clamant haut et fort leur volonté de préserver les emplois, ils savent comment empocher les aides de l’Etat, tout en restructurant et, donc, licenciant. L’important est de sauver l’entreprise, c’est-à-dire les dividendes des actionnaires et les parachutes dorés des dirigeants. Faut qu’les gros puissent se goinfrer, faut qu’les petits puissent engraisser , chantait Boris Vian.
Aussi faut-il que ça saigne. Et les salariés auxquels on promet le miracle économique s’ils acceptent le chômage partiel, les employés aux yeux desquels on fait miroiter une promotion s’ils se défoncent même le dimanche, les stagiaires au long nez sous lequel on agite la carotte du CDI, les ouvriers à qui l’on susurre les merveilles d’une fabuleuse reconversion, se retrouvent Gros-Jean comme devant à l’heure de l’entretien d’embauche ou d’évaluation, du plan social et du déménagement, en tapinois, des ateliers où certains ont usé vingt années de leur vie. Ne leur reste plus qu’à pendre leur mérite par le cou et à jurer, mais un peu tard, qu’on ne les y prendra plus.
Le succès du credo méritocratique ne tarit pas pour autant. Qui ne le récite quand il faut ne mérite pas l’élévation au sommet de l’Etat avec la bénédiction du suffrage universel. Sarkozy le sait bien, qui discourt sur les vertus du mérite tout en pratiquant ouvertement le népotisme. Car au bonneteau de l’effort dûment récompensé, les cartes sont truquées et le resteront tant que la mort de la multitude sera le pain de quelques uns.
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