Danone, ses produits laitiers, son image d’entreprise « socialement responsable » qui finance des projets de micro-crédit au Bengladeh.… Dans les usines, à la production, à la logistique, sous l’impulsion d’un management qui a beaucoup évolué ses dernières années, la réalité est toute autre. France télécom n’a qu’a bien se tenir.
C’était il y a quelques mois sur une plate-forme logistique de Danone. Un jeune manutentionnaire, entouré par cinq membres de la direction venus l’interroger au sujet d’un manquement aux règles de sécurité, s’écroule à terre, menace de se suicider.
Évacué par le SAMU, le jeune homme a fini aux urgences psychiatriques. « Il subissait des pressions depuis des mois, il n’en pouvait plus » raconte José Buraca, délégué syndical CGT. A son retour, il est mis à pied trois jours pour n’avoir pas respecté les fameuses règles de sécurité à la lettre.
Cas isolé ? Difficile de le dire. Sur ce même site de Tremblay-en-France, en Seine Saint-Denis, plusieurs salariés sont actuellement en dépression. Tous évoquent un climat social délétère et des méthodes de management bien éloignées des grands discours du PDG de Danone, Franck Riboud, sur la responsabilité sociale de l’entreprise. En mai 2008, une plainte pour « harcèlement moral », « atteinte à la dignité humaine » a été déposée par un salarié Lahcen Ben Abdelak. L’instruction est en cours. Lui aussi s’était un jour écroulé en chambre froide. « Assommé par les médicaments », comme il le dit lui-même, il attend que la justice passe, et s’offusque de la com’ de Danone. « Ils ne parlent que de forme, de santé, alors que nous on est cassés », s’énerve-t-il. Lahcen Ben Abdelhak avait alerté la presse, notamment France 3 et l’AFP, qui avait médiatisé son cas l’an dernier. Depuis, rien.
« Tout a continué comme avant », racontent ses collègues. Sauf que ceux qui ont pour le soutenir lors de l’enquête interne qui a suivi ont depuis eu droit « traitement de faveur ». « C’est à partir de là qu’ils ont commencé à me faire la misère », affirme ainsi Foued Aïdouni, en arrêt maladie.
Les exigences de la direction de Danone de renforcer la sécurité, à priori louables, ont conduit à une surveillance permanente des salariés. « On est tracés, comme les yaourts », ironise Lahcen Ben Abdelak. « C’est insidieux, au départ ça commence par des détails anodins : bien mettre en place sa coiffe, respecter les règles d’hygiène mais finalement c’est tout notre comportement qui est formaté » souligne Mario Pisanu qui travaille sur le site de Saint Just Challeyssin, près de Lyon, où l’on fabrique des yaourts. « Le problème c’est que respecter toutes ces procédures, c’est irréaliste, quand on voit qu’ils augmentent tout le temps les cadences. Et on nous répète que si on a un accident c’est de notre faute ». D’ailleurs, les résultats sont là. A l’usine de Lesquin, zéro accident du travail ces dernières années. Officiellement. « Tout le monde sait très bien que c’est complètement faux », affirme José Buraca. « En réalité, la direction refuse de reconnaître les accidents du travail. Car si elle fait, c’est elle qui paie et qui écope en plus de sanctions financières. Alors qu’en cas de maladie, c’est la Sécu qui prend en charge".
Comme toutes les grandes entreprises, Danone a depuis quelques années mis en place des outils d’évaluation individuelle pour juger les résultats des salariés mais qui prennent en compte aussi des critères un poil plus flou, comme par exemple les « compétences comportementales » (voir encadré).
Des dispositifs propices aux dérapages. Sur un fichier qu’a pu consulter Bakchich, on trouve ainsi d’étonnants commentaires pour un des salariés : « assimile lentement », « ne suit pas les grèves, anxieux » ou encore « un enfant handicapé, souvent malade, pas bon en général ». Pour accumuler ces, la délation interne, pardon « la remontée d’information », est largement encouragée. Les syndicats ont ainsi pris connaissance de lettres transmises aux chefs d’équipes racontant par le menu l’emploi du temps de tel ou tel collègue en général pour souligner qu’il n’a pas bien fait son travail. « C’est la condition nécessaire à remplir, si l’on veut avancer dans sa carrière », témoigne un salarié. Sur certains sites, les résultats quotidiens, chiffrés, de chaque salarié sont affichés au vu et au su de tous, histoire de mettre un peu d’ambiance. « M. X s’est trompé dans trois commandes, il a fait perdre tant à l’entreprise » peut-on lire sur des panneaux. « Comme parfois la prime revient à une équipe, vous imaginez le climat quand on se rend compte que c’est à cause de l’erreur d’untel qu’on ne l’a pas eu », raconte un salarié. Le temps du paternalisme de Riboud père semble bien loin. Mais la force de Danone, c’est que, contrairement à ses yaourts, ce qu’il fait à l’intérieur ne se voit pas à l’extérieur…
Depuis l’affaire de fichage illégal révélée l’an dernier par France 3, Danone poursuit tout à fait officiellement à travers un programme baptisé SMI, système de management intégré un « suivi individuel » de ses salariés. « Le SMI est un outil permettant l’animation de nos basiques sécurité, qualité, hygiène, règles de vie » indique un document interne. Il permet « à partir de faits observables, de questionnements …de récupérer des éléments factuels qui peuvent comporter à la fois des points positifs et des points d’amélioration ». Florilège. Certes « Romain tient une moyenne de 100% en efficacité et de 8 erreurs au trimestre » mais voilà il « fume en salle de pause » et a des « débords sur les temps de pause ». Eric, lui « a été surpris en plein bavardages à différentes reprises pendant son temps de travail » plus grave « il a été surpris en date du ../.. en conversation téléphonique en chambre froide ». Quant à Carlos, son compte est bon. Non content d’avoir « de très mauvais résultats qualité », il se livre à « un abus prononcé de bavardage en chambre froide ».