"Préserver la fiabilité des compétitions sportives au sens de l’esprit olympique" : c’est la raison sociale d’une nouvelle société suisse, International Sports Monitoring.
La corruption qui gagne chaque jour du terrain et se glisse insidieusement dans chaque recoin de la société sous l’œil un brin résigné de Transparency International, semble avoir trouvé dans le sport, un terrain de prédilection.
C’est en tout cas la conclusion que l’on pourrait tirer d’un certain nombre d’événements survenus au cours de ces derniers jours à Copenhague, théâtre du dernier congrès du CIO (1er au 9 octobre).
48 personnalités aussi diverses que la marathonienne kenyane Tegla Loroupe, première athlète africaine à avoir remporté le marathon de New-York en 1994, l’auteur et journaliste uruguayen Eduardo Galeano, Tjeerd Venstra, le patron du Loto néerlandais, Christel Schaldemose députée européenne et Dave Boyle, fondateur de Supporters Direct, l’organisation qui aide comme elle peut les supporters à prendre le contrôle de leur club, viennent en effet de co-signer une lettre ouverte au président du Comité Olympique, Jacques Rogge.
Dévoilée le 4 octobre, la missive, dont l’initiative revient au journaliste Declan Hill (auteur de « Comment truquer un match de football »), enjoint le Comité International Olympique « de prendre des mesures immédiates, concrètes et convaincantes pour lutter contre toutes les formes de corruption du sport afin d’en sauvegarder les valeurs sociales, culturelles et éducatives ».
Par exemple en favorisant la création d’une agence mondiale anti-corruption sur le modèle de l’agence mondiale contre le dopage. Le message semble avoir été reçu 5 sur 5. Dans son discours inaugural du congrès de Copenhague qui a vu le triomphe de Rio sur ses concurrents pour accueillir les Jeux en 2016, le président Jacques Rogge a déclaré que le mouvement olympique s’engageait à faire preuve d’une "tolérance zéro" en matière de dopage, de matchs truqués et plus généralement de toutes formes de corruption.
Mouais… Sauf qu’au premier jour du congrès, seuls 17 des 200 journalistes accrédités ont pu approcher les membres du Comité International Olympique et les délégués, même hors de la salle du congrès pour leur demander leurs sentiments à ce sujet. Une « censure » du plus mauvais effet, à l’origine d’une protestation sans précédent des professionnels des médias présents au Danemark et d’une grosse colère de Gianni Merlo, le président de l’association internationale des journalistes sportifs (AIPS).
Samedi soir 3 octobre, lors d’un point de presse à l’ambiance explosive, Mark Adams, responsable du Département de la Communication du CIO s’en est excusé en assurant que la situation serait « rétablie » dimanche matin. Le lendemain, Adams a de nouveau réuni toute la famille, en déclarant : « nous essayons d’être réceptifs ; j’espère que pour vous les choses se sont améliorées aujourd’hui… ».
Du coup, tout le monde est passé à côté d’une information de première importance. A l’instar de la FIFA et de son « Early Warning System » déjà évoqué par Bakchich et destiné à combattre les paris sur les matchs de football truqués, le CIO a lui aussi inventé l’arme fatale contre les tricheurs : dans la plus grande discrétion -on se demande bien pourquoi ?- était en effet immatriculée le 29 septembre, la Sarl International Sports Monitoring (n° d’immatriculation CH-020.4.040.963-2) au modeste capital social de 200 000 Francs Suisses.
Son objet social déclaré se passe de commentaires : « Préserver, grâce à une coopération avec les organisateurs publics et privés de paris dans les domaines de l’échange d’informations et de services, la fiabilité des compétitions sportives au sens de l’esprit olympique, mettre en œuvre et exploiter un système global d’alerte rapide concourant à cet objectif… ». Le siège de la société est situé au cabinet d’avocats Scherrer Jenny & Partner (Dorfstrasse 81, 8706 Mellen) dont le patron, Urs Scherrer, diplômé de l’Université de Zurich, est un praticien réputé du droit du sport.
Il est aussi le dirigeant de International Sports Monitoring Gmbh dont il détient nominativement 50% du capital social à en juger par l’extrait du registre du Commerce. Scherrer, qui a un CV impressionnant, a notamment été vice-président du FC Zurich pendant 10 ans. On peut donc supposer qu’il connaît relativement bien la chanson…
Les bons connaisseurs des mœurs de la FIFA et de l’éthique intransigeante dont témoigne « Sepp le Couillu » Blatter - par ailleurs membre du Comité International Olympique- lorsqu’il pense qu’il n’est pas observé, sont assez sceptiques sur les résultats à attendre du propre joujou anti-triche olympique.
A plus forte raison lorsque, à la suite de « l’appel des 48 » il déclame son refrain favori sans fausse pudeur : « Nous n’avons pas besoin d’une agence anti-corruption…les organisations sportives peuvent et doivent se contrôler elles-mêmes… Si une telle décision devait être prise, je retournerais dans mes montagnes…Si notre société s’autorise à contrôler le sport, alors c’est toute la société qui doit être contrôlée : l’industrie, le commerce, le personnel politique, tout et tout le monde, y compris les médias… ».
Comme en écho, Gianfranco Kasper, membre suisse du CIO et président de la Fédération Internationale de Ski, s’est interrogé à haute voix : « Je ne sais pas si nous avons vraiment besoin d’une nouvelle agence de lutte contre la corruption. Est ce que c’est une bonne idée ? Est ce que ça n’est pas le boulot des ministres de la justice ?… ». Quant à Ching-Kuo Wu, président de la Fédération Internationale de Boxe, il s’est montré assez proche de la ligne Blatter : « Nous sommes absolument contre toute forme de corruption ; mais c’est à chaque fédération internationale de prendre ses propres mesures et de créer ses propres structures de lutte ». Avec les succès que l’on connaît…
Les journalistes présents à Copenhague ont eu aussi le mauvais goût de demander à Gerhard Heiberg, membre du comité exécutif du CIO si le scandale ISL [1] avait été, à ses yeux, convenablement géré par l’instance olympique. La réponse est venue sans une hésitation : « Oui, je le pense. Nous examinons chaque aspect où nous pensons qu’il pourrait y avoir corruption ; jusqu’à preuve du contraire, tout est sous contrôle… »
Donnons donc pour l’instant le bénéfice du doute au CIO. Même si, d’expérience, il y a quelque chose de troublant à voir Zurich - siège de la Fifa et de l’instance anti-gruge olympique- en particulier, et la Suisse en général, élevées en bastions de la lutte mondiale contre la triche…
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[1] la faillite frauduleuse de la société qui devait gérer les droits télé des Coupe du Monde 2002 et 2006 avait éclaboussé de nombreux membres du CIO et de la Fifa, soupçonnés de corruption