Tarek Ben Laden, l’aîné de la famille, voit les choses en grand et fait construire une ville lumière à Djibouti qui reliera le Yémen par un pont de 28 km. Un projet faramineux au coût total de 200 milliards de dollars qui ne plaît guère aux Etats-Unis.
Chez les Ben Laden, voir le monde en grand fait partie des gènes. Un héritage du père, Mohammed, l’émigré yéménite parti de rien vers l’Arabie voisine au début du siècle dernier, et de son fabuleux destin : celui d’un maçon devenu bâtisseur d’empire, premier constructeur d’un pays alors en chantier et l’une de ses plus grandes fortunes. Depuis, chez les enfants Ben Laden, on croit aux rêves. Comme celui de pouvoir changer le monde. Et tant qu’à faire, le rendre meilleur. Chacun à sa manière : le détruire d’abord, version Oussama. Ou le reconstruire, version Tarek.
Tarek, c’est l’aîné. Moins connu de l’opinion internationale que sa starroriste de petit demi-frère, mais tout aussi internationaliste et globalisant. Principal actionnaire du puissant Saudi Bin Laden Group (SBG) créé par le paternel, le digne successeur de son père, âgé de 60 ans, est également à la tête du groupe de construction immobilière qu’il a créé il y a quatre ans, Middle East Development (MED) basé à Dubaï, qui conçoit et réalise des grands projets de développement urbains. Et comme Oussama, il a des grandes idées pour l’humanité.
La dernière s’appelle « Medinat Al Noor ». Plus que la huitième merveille du monde, la « ville lumière » qu’il veut ériger ex nihilo de Dijbouti et relier par un pont de 28 km au-dessus du détroit de Bab Al Mandeb jusqu’au Yémen, doit être le paradis sur terre. Celui rêvé par Dieu, mais créé « par un homme pour le futur de l’humanité ». Tarek Ben Laden veut faire plus fort encore que les grandes réalisations de l’homme, rappelées pour comparaison dans le film de présentation du projet. Car après « les pyramides d’Egypte, la muraille de Chine » quatre mille ans plus tôt, « les grandes cathédrales, les bouddhas de Bamiyan et les mosquées du monde arabe » au Moyen âge, ou encore « la Tour Eiffel et le canal de Suez » à l’ère de la révolution industrielle et « le Golden Gate, les tours de Manhattan (sic) » du XXème siècle, « que peux nous offrir le XXIème siècle, qui puisse encore nous étonner » sinon un miracle, signé Ben Laden ?
Pour accéder à ce paradis, nul besoin de mourir en martyr. Tarek est un homme de son temps qui n’a pas oublié d’où il venait. Alliant nouvelles technologies et écologie, business et plaisir, profits et éducation, ce projet est d’abord humaniste : il doit œuvrer à éradiquer la pauvreté frappant la Corne de l’Afrique et le Yémen que le pont reliera, en créant du développement économique et de l’emploi. Tarek y croit, et met le paquet.
Annoncé officiellement en juin dernier à Dubaï, le méga projet, d’un montant global de 200 milliards de dollars, a reçu l’aval des deux présidents djiboutien et yéménite, et a déjà su convaincre des partenaires étrangers. Et pas des moindres : les groupes américains Bechtel et Hewlett-Packard, le suédois Ericsson et le français Veolia environnement. Le pont, évalué à 14 milliards de dollars, dont la construction doit démarrer en 2009 et durer 15 ans – autant que le canal de Suez – bénéficiera de l’expertise en engineering du danois Cowi, déjà présent aux côtés du français Vinci pour la construction du plus long pont du monde (40 kms) reliant Qatar à Bahreïn.
Sûr que le frangin Oussama, qui a déjà beaucoup donné pour le Yémen, va aussi aimer. Pas seulement en investissant ses fonds personnels pour le développement de la vallée de Wadi Do’an, sa région de naissance dans le grand désert de Hadramout. Son héritage inspire encore une partie de la jeunesse locale, comme l’atteste l’émergence récente d’un nouveau groupe – Al-Qaïda dans le sud de la Péninsule arabe – Brigades des soldats du Yémen – particulièrement actif, qui revendique ses attentats en louant son nom et son « œuvre »… Avec le pont de Tarek, les frères du Soudan et de la Somalie - la destination très tendance des nouvelles recrues d’Al-Qaïda – ne seront plus qu’à une portée de 4x4 pour apporter de nouveaux renforts au service de la « cause ». Et toutes ces nouvelles tours prévues pour « la ville lumière » : de quoi avoir envie de refaire le coup du 11 septembre…
Sans compter les bases militaires, notamment françaises et américaines, présentes à Djibouti. Les Etats-Unis, qui viennent de lancer leur programme USAFRICOM et commencé à y installer leur commandement militaire censé contrer la présence d’Al-Qaida dans cette région, voit l’initiative de Tarek d’un très mauvais œil. D’autant que l’homme d’affaires saoudien a également proposé à l’Algérie un projet similaire, le pont en moins : une ville touriste clé en main pour retraités européens… Manquerait plus qu’il leur fasse un parc d’attractions avec montagnes russes en Afghanistan.
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