La visite du pape en France représente une aubaine pour les djihadistes de tous poils et autres aficionados de Ben Laden. D’autant que ceux-ci ne se privent déjà pas de dire tout le mal qu’ils pensent de Nicolas Sarkozy. Alors si en plus le président français reçoit le souverain pontife…
Tables de montage, réalisateur et traducteur : ils sont fins prêts. Les responsables du djihad (multi)médiatique n’attendent plus que les rushes pour finaliser leur prochain « documentaire » en sortie mondiale sur Internet. C’est vrai qu’ils tiennent un sujet d’enfer : la visite du pape en France, qui s’annonce comme un succès d’audience garanti auprès de la communauté radicale pro-Al Qaïda. Car Benoît XVI et Nicolas Sarkozy, deux figures désormais bien connues de la mouvance clandestine, sont du pain béni pour les prédicateurs et autres prosélytes du projet de Ben Laden and Co.
Érigés au rang de dignes héritiers de la « croisade » de George W. Bush, ces deux-là multiplient les petites phrases et autres « lapsus » qui en disent long sur leur représentation du monde musulman et de la menace qu’il représente pour le monde occidental et ses fondements chrétiens. Une vraie mine pour nourrir les argumentaires de recrutement de mobilisation des troupes.
Déjà, au lendemain du 11 septembre 2006, le nouveau pape avait révélé ses talents. Que le numéro deux d’Al Qaïda s’était régalé à révéler. Surfant sur les réactions outrées des communautés musulmanes après sa déclaration de Ratisbonne [1] qui associait l’islam à la violence et dénonçait la guerre sainte, Ayman Al-Zawahri s’était empressé d’en faire bon usage dans un message adressé aux musulmans. Traitant le pape d’ « imposteur », il l’accusait d’avoir « sciemment attaqué l’islam en affirmant qu’il n’a rien à voir avec la raison ». Et ainsi ajouté une nouvelle « humiliation à l’islam » au même titre que la publication des caricatures publiées dans la presse européenne et « l’interdiction en France du port du voile » islamique dans les écoles publiques. Un pape aussi coopératif au développement de la pensée radicale méritant miséricorde, l’idéologue d’Al-Qaïda suggérait de répondre « à son préjudice par un bienfait : nous l’appelons, et avec lui tous les chrétiens, à se convertir à l’islam »… Et de se doter du prénom d’Oussama peut-être ?
Autre coup de pouce du pape à la « cause » : avoir poussé le Roi Abdallah d’Arabie Saoudite — reçu à Rome en novembre dernier — à initier un projet de dialogue entre les trois religions monothéistes. Pour le Souverain wahhabite, il est urgent de dédouaner le Royaume des accusations de soutien aux réseaux Al-Qaïda et, pour le Pape, de rectifier le « malentendu » de Ratisbonne. Pour les djihadistes, c’est un don du ciel. Le chef de l’Église catholique vient apporter une nouvelle preuve de la « trahison » de celui censé garder les lieux saints de l’islam, ce « tyran corrompu » qui leur fait la guerre et les traite de « déviants » de la religion musulmane, et lui faire mériter sa consécration d’ « esclave des croisés ». Voilà qui va définitivement convaincre quelques brebis barbues anti-Al Saoud dans le giron d’Al-Qaïda. Le pape est grand !
Logique que Sa Sainteté ait été invitée en tant que chef d’État en France. Car la France de Nicolas Sarkozy a progressé. Elle n’est plus coupable de « mécréantise », traduction djihadiste de l’athéisme républicain, mais fait désormais partie du club privilégié des États « croisés ». Un Président qui affirme, trois mois après son élection devant la représentation diplomatique de son pays que « le premier risque » dans le monde est « la confrontation entre l’islam et l’occident », mérite une telle consécration. Belle validation à l’analyse d’Al-Qaïda rappelée par Ayman Al-Zawahiri : « la guerre djihadiste populaire est ce que l’ennemi de l’islam craint le plus »… !
Un Président qui déclare ensuite sans réserve « aimer l’Amérique » de Georges W. Bush et décide d’envoyer à sa demande des troupes supplémentaires en Afghanistan pour contribuer à « la lutte contre le terrorisme » sait faire honneur au sacrifice des moudjahidines. L’Afghanistan, où se joue pour Al Zawahiri « la confrontation de la Croisade contemporaine », ou comme le décrit en écho le Premier ministre, François Fillon [2], « l’opposition entre le monde musulman et une grande partie de la planète »…. La France Sarkocatho est décidément un beau cadeau de Ramadan.
Lire ou relire sur Bakchich :
[1] Intervenant dans une conférence consacrée à la foi et la raison, le pape a évoqué un dialogue entre de l’empereur byzantin Manuel II Paléologue à un savant perse : « Montre-moi ce que Mahomet a apporté de neuf, tu ne trouveras que des choses mauvaises et inhumaines, comme le droit de défendre par le glaive la foi qu’il prêchait. »
[2] Interview sur Europe 1, à propos de l’engagement français en Afghanistan (01/09/2008)
La laïcité commence par les règles du protocole. Quand on s’adresse à un pape - qu’il soit romain, copte ou arménien - on dit "Votre Sainteté" (et c’est la même chose pour le Dalaï Lama). L’appellation "Saint Père" - parce qu’elle vient en droite ligne du Concile Vatican 2 - me semble très malvenue. "Très Saint Père" est inadmissible lorsqu’un chef d’Etat français s’adresse au chef d’Etat du Vatican, en visite officielle.
De la même manière, un journaliste qui a besoin de synonymes peut parler du "pape", de Benoît XVI ou du cardinal Ratzinger, du "pontife romain", de l’"évèque du Latran", du "chef de l’église catholique", mais certainement pas de "Sa Sainteté". C’est inadmissible et c’est surtout ridicule.