Ce 1er septembre, entre en vigueur le principe du décompte du temps de parole du Président de la République dans celui de la majorité. Voulu par la gauche, le principe a de quoi séduire, mais peu de chance de nuire au tôlier de l’Elysée.
De Gaulle en aurait les oreilles qui sifflent. Le chef de l’Etat n’est plus, à compter du 1er septembre, au « dessus des partis » comme l’avait prêché le Général lors du discours de Bayeux en 1946 – qui posait les principes de la Vème République. Il aura fallu plus de 60 ans de digestion de la verve gaulliste pour que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) prenne conscience d’un état de fait : Sarkozy n’est pas un acteur au-dessus de la mêlée. Confusion des genres oblige, les propos du président, hors de ses compétences « régaliennes », seront dorénavant additionnés avec ceux de la majorité, conformément à l’arrêt du Conseil d’Etat du 8 avril dernier. L’autorité de régulation souhaite « renforcer l’équilibre des temps de parole » entre majorité et opposition. De quoi nourrir quelques interrogations.
Les socialistes ont de quoi pavoiser : suite à leur plainte auprès du Conseil d’État en octobre 2007, le précédent dispositif de répartition du temps de parole du président de la République a été invalidé.
Il faudra en revanche un coup de fouet des radios et télés pour que « les temps d’intervention de l’opposition ne soient pas inférieurs à la moitié des temps de parole cumulés du chef de l’État et de la majorité présidentielle. » Inverser la balance relèverait, dans le climat actuel, d’une petite révolution. Les derniers chiffres consultables sur le site du CSA laissent songeur. Sur le premier trimestre 2009, la majorité (UMP, gouvernement, Président et conseillers) aurait bénéficié de 471,6 heures de prise de parole dans les médias français, hors presse écrite. Contre 204 pour l’opposition parlementaire (PS, PC, Verts). Il faudrait donc 31 heures supplémentaires aux socialos, écolos, cocos pour que le minimum requis soit respecté.
Si la haie semble franchissable, les tours de piste médiatique de la Sarkozie, depuis la présidentielle de 2007 confirment l’échappée belle. Alors qu’en 2005 et 2006, les journaux télévisés et émissions magazines faisaient état d’une équité plutôt ténue entre partis (42% et 50% pour la majorité contre 37,3% et 36% pour l’opposition), les six premiers mois sarkozystes entre juillet et août 2007 annoncent le changement : 74,3% de temps de parole pour la majorité contre 36% à l’opposition. Soit un déficit de 37h pour respecter la loi d’or du CSA. En 2008, en revanche, l’équilibre est mieux respecté, avec 944 heures pour la majorité et 483 pour l’opposition, dont un pic de 83 heures lors du Congrès de Reims socialiste. Au final, sur deux ans de Sarkozy, ce seraient 56 heures de temps de parole supplémentaire dans les radios-télés qui auraient pu servir à l’opposition, chiffre assez faible mais un brin révélateur.
C’est en réalité la question du traitement de l’information qui est en dernier lieu ici posée. La couverture médiatique quotidienne de la vie politique montre, par ses résultats, que l’analyse par la simple expression de ses dirigeants n’est pas suffisante pour comprendre les mécanismes de fixation d’une information dans l’opinion.
Le curseur de la parole, du discours politique par ses uniques acteurs, est une donnée chiffrée qui offre un regard sur une durée ; comme celle de la rupture de communication (donc de temps de parole) présidentielle entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy constatée dans les statistiques. Et du rôle de la crise en 2008 dans la nouvelle orientation de présentation du discours de Nicolas Sarkozy. Loin de mesurer l’écho et l’intensité de ces paroles véhiculées par la caisse de résonance médiatique. Loin donc de détricoter les multiples aspects de l’hyper-présidentialisme Sarkozyste ou de la cacophonie socialiste. L’expression politique et sa traduction médiatique sont deux univers qui s’entretiennent l’un l’autre. Les données du CSA donnent une idée mais cachent l’essentiel pour comprendre les représentations de l’action politique dans l’opinion.
Voir fondre progressivement la couverture de l’ultra-Président du petit écran relève pour autant de la gageure. Les termes du CSA restent flous à bien des égards. La frontière de comptabilisation des propos de Sarko entre ses compétences « régaliennes » et celles « qui relèvent du débat politique national » est ténue. Les discours de Toulon (crise mondiale), Nîmes (campagne européenne), celui du Salon de l’Agriculture ou de Gandrange relèvent-ils du « débat politique national » ?
A cela, il n’existe aucune mesure de rétorsion si les médias ne renversent pas la balance. Le texte se limite à une simple déclaration de principe. Si le CSA en appelle à la « responsabilité éditoriale » de chacun, il agite en réalité le miroir aux alouettes qui voudrait faire croire que les journalistes privilégieront le souci de l’équité à la course à l’audimat. Sarkozy fait vendre. A l’inverse des nobles principes qui n’ont pas ce prix.
Le lien ombilical qui attache l’élection du Président du CSA depuis ses débuts en 1989 au choix de l’Elysée, invite à tempérer l’ardeur d’autonomie de l’autorité de régulation. D’Hervé Bourges à Dominique Baudis nommés par Chirac entre 95 et 2007, Michel Boyon, ex directeur de Cabinet de Raffarin en 2003, actuel en place conservé par Sarkozy, on peut se permettre de douter de la franche émancipation du pouvoir du CSA. Et de son vœux d’accorder à l’opposition des garanties de respect de la démocratie.
Lire ou relire sur Bakchich :