Un inconnu chanteur et masqué donne du fil à retordre sur Internet au ministère de l’Intérieur. Il promet même un disque pour février 2009. La police a lancé une enquête pour le démasquer.
A sa façon, et sur des airs que la maison ne goûte que très modérément, le bougre fait chanter la police. Le brigadier masqué - c’est ainsi que l’animal s’est autoproclamé - sème depuis trois mois la zizanie au sein de l’institution policière par ses activités musicales et clandestines, bien loin de la fameuse « tactique du gendarme » de feu Bourvil. L’objet du délit ? Une page Myspace contenant quelques compositions acides qui font enrager la place Beauvau, l’inspection Générale de la police (IGS) et des policiers syndiqués pas amateurs pour un sou du son distillé par cet intrigant cagoulé.
Bakchich est entré en contact téléphonique, à plusieurs reprises, avec ce Zorro d’un nouveau genre, plus que jamais sur ses gardes. Car, le garnement, 33 ans, « grade de brigadier » en bandoulière, dit faire l’objet d’une « chasse » à l’homme, jusque dans son entourage professionnel. Selon ses dires, il est entré dans la police « comme cadet, en 1997, non par vocation mais pour la sécurité de l’emploi et parce qu’il fallait bien avoir un travail ». Un boulot épousé autant par effraction que par atavisme familial. « Je compte des membres de ma famille dans la maison », explique-t-il sans autre précision.
La diction un zeste traînante, il affirme porter la tenue réglementaire depuis une bonne dizaine d’années et avoir fait une partie de ses classes dans le bouillant département de Seine-Saint-Denis. Patrouilles, contrôles d’identités, surveillances : il assure avoir effectué toutes les missions attachées à sa fonction, où les « conditions de travail sont rudes », poussant parfois certains de ses collègues à des comportements limites. « Mes chansons expriment mon vécu professionnel. J’y mets en lumière des choses vues incompatibles avec l’exercice de mes fonctions : des abus qui vont du tutoiement systématique lors de simples contrôles de routine aux palpations musclées ».
Mais pourquoi donc avoir décidé de charger l’institution policière en quelques hip hop façon uppercuts ? « Tout est parti d’une petite blague entre collègues sur un refrain baptisé « Je suis un flic ». C’était une chansonnette qu’on reprenait entre nous pour dénoncer l’obsession de notre hiérarchie pour les statistiques ». La comptine en question décrit des flics « ouvriers des statistiques/ qui piègent des coupables artificiels ». Last but not least, dans la ritournelle intitulée « Place Beauvau remix », le Brigadier masqué scande : « la dérive nous abreuve dans l’industrie de la preuve et peu importe l’éthique (…) Sous le contrôle d’un pouvoir qui porte un fusil à lunette (…) Fonctionnaires de l’impossible, depuis le patriot act de Mr Nicolas tous les abus sont possibles ».
Réfutant tout manquement au devoir de réserve, l’artificier chansonnier écarte d’une chiquenaude tout recours aux syndicats maison. Il a d’ores et déjà promis de jeter le masque et de quitter la police en février 2009 lorsque sortira son album Etat d’urgence. Une sage décision puisqu’il risque au bas mot le blâme, sinon l’exclusion pure et simple. Voire d’éventuelles poursuites pour usurpation de fonction en cas d’imposture avérée. Faut-il déceler dans sa démarche un parfait plan marketing ? « Il n’était pas question que ça prenne de l’ampleur, jure le rappeur renégat sans toutefois se départir de sa cagoule fétiche. Ma compagne travaillant dans la musique, on a enregistré le morceau, puis on a poussé le truc. » Le truc en question créant illico le buzz sur la toile, pour bientôt faire jaser en haut lieu.
L’inspection générale des services (IGS) a en tout état de cause bel et bien ouvert une enquête comme l’ont confirmées à Bakchich plusieurs sources policières. Des semaines que les bœufs carotte s’échinent à « analyser » les textes du petit plaisantin pour tenter de le détroncher. Pour le reste, officiellement, comme se borne à l’indiquer la Préfecture de police de Paris (PP), motus et bouches cousues. Gérard Gachet, le porte-parole du ministère de l’intérieur, mime un RAS hésitant. « Non, franchement, ça n’a jamais fait l’objet de réunion. Rien qui ne soit remonté jusqu’au cabinet du ministre. »
Une cagoule et du son sur le Net, c’est plus sûr pour dénoncer les dérives policières dont le brigadier jure pouvoir témoigner. C’est en substance ce que rétorque l’impudent qui possède quelque solide argument. Les mésaventures arrivées à Jamel Boussetta, un ancien flic, l’ont en outre sérieusement convaincu de la jouer sur un tempo clando. Ce CRS a en effet été révoqué sans ménagement pour avoir donné, en septembre 2006, un entretien à visage découvert au Point. Une garde à vue virile, accompagnée d’une méchante révocation à son encontre pour bienveillantes réponses de l’administration. Pas question de transiger avec le sourcilleux devoir de réserve et l’ancien titulaire de la place Beauvau, un certain Nicolas Sarkozy. Rancunier, l’ex flic avait choisi, en 2007, de livrer son amère expérience dans Jamel, le CRS (éd. Duboiris). A bon entendeur…
Frédéric Lagache, le patron du syndicat de police Alliance pour l’Ile-de-France, affecte lui aussi, la distance, doutant de la qualité de flic du prétendu vengeur masqué. « Pour raconter ce genre de conneries, je ne suis pas sûr que cet individu soit policier. De mémoire de flic, je n’ai jamais vu mettre des innocents en prison… sauf erreurs judicaires », rectifie-t-il aussitôt, fumasse. « La police n’a rien de fascisant. S’il est certain d’avoir vu la fabrication de preuves comme il le chante, qu’il le démontre et qu’il aille devant les juridictions compétentes », s’étrangle le syndicaliste. « On verra bien quand il enlèvera sa cagoule. En tout cas, mes collègues ne sont pas des assistantes sociales mais ont la mission de faire respecter la loi ! » Idem pour Sébastien Bailly, en charge d’Alliance pour le 9-3. « On a autre chose à faire que de s’occuper de pareil clown même si on s’interroge. Le doute reste de mise ».
Une enquête informelle a pourtant bien été diligentée par David Skuli, l’ancien directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) de Seine-Saint-Denis, aujourd’hui en poste à l’inspection générale de la police nationale (IGPN) de Marseille. Sans résultat.
Et dire qu’il s’agit là d’un énergumène qui n’intéresse pas grand monde… Un flic qui tient à l’anonymat note, pour sa part, une étrange coïncidence calendaire. « Le loustic affirme qu’il va mettre les voiles lorsque son album sortira. Pile, poil le moment où doit se tenir le prochain congrès d’Alliance… » Parano ou pas, la police ne sait désormais plus franchement sur quel pied danser. « Toujours est-il que si on voulait vraiment débusquer l’individu, on mettrait les gros moyens », avance, catégorique, le même flic. Comme si une rengaine, fut-elle policière, n’était pas faite pour durer.