Le nom de Jean-Gé Colonna, parrain de la Corse-du-Sud jusqu’à sa mort le 1er novembre 2006, apparaît dans l’enquête sur le Cercle Concorde. Une raison de plus pour Paul Lantiéri, patron de l’établissement, de continuer sa cavale. Colonna est mort et ses affidés tombent un à un sous les balles.
Un seul être vous manque. De tous les acteurs de la truculente affaire du Cercle de jeux Concorde, le rôle principal manque toujours à l’appel. En cavale depuis bientôt un an, Paul Lantiéri, personnage haut en couleur et assez friand des « spotlights » n’a pas réapparu. Ni le petit chien qu’il aime à porter dans ses bras. L’ancien gérant de la brasserie le Rich, attenante au Cercle de jeux, a pris la poudre d’escampette sitôt le coup de filet organisé pour blanchiment, extorsion, etc, en bande organisée a été déclenché en novembre 2007 par la Juridiction interrégionale spécialisée de Marseille.
Ses petits camarades alpagués au passage auraient sans doute préféré qu’il sorte du bois. Au premier rang desquels François Rouge, le banquier, qui a en grande partie financé la réouverture du Cercle et qui s’est rendu compte un peu tard qu’il traînait avec « un milieu de truand auquel il ne connaissait rien », dira-t-il en audition. « J’ai été trahi ». Certes. Après 10 mois de préventive à la prison des Baumettes, le petit Suisse a eu l’autorisation de sortir de cabane. Mais pas de quitter le pays, lesté de plusieurs chefs de mise en examen et alourdi d’une caution de 300 000 euros.
Sans doute un accès irrésistible de timidité pousse-t-il Lantiéri à ne pas se présenter aux policiers. Ou peut-être la crainte de se faire gronder. Au hasard par le « vieux monsieur », qui lui parle comme « à un fils », selon les écoutes judiciaires réalisées, et identifié par plusieurs des mis en examen comme étant Roland Cassone, présumé parrain du milieu Marseillais à la réputation sulfureuse. Ce sympathique maçon de Simiane, la soixantaine rayonnante, a connu ses premiers mois à l’ombre dans cette affaire. De décembre 2007 à août 2008. Expérience fort déplaisante pour ce rescapé de toutes les guerres internes au milieu marseillais depuis les années 60.
Et le clan Fédéricci, dont la tête Ange-Toussaint et son frère Jean-François, tout comme leur ami Jacques Butafoghi qui traînent aussi leurs guêtres à l’ombre, aimeraient bien aussi revoir M. Paul.
Tant d’attente suscitée, tant d’explications à donner, cela peut vous faire perdre vos moyens. « Lantiéri, c’est une trompette », résume en chœur le Milieu, « on l’a mis là et il a merdé, c’est pour cela qu’il se terre ». Comme un écho, chacune des personnalités rencontrées par Bakchich minore son rôle, son influence, et troque parfois le « trompette » par « c’est une pipe ». Bref, Paul, s’il a fait ses preuves pour inviter des personnalités du show-biz dans ses soirées, que ce fut à feu la discothèque Amnésia, ou pour la soirée d’inauguration du Cercle (qualifié en son temps par le Figaro d’événement people de l’année) ne sait rien gérer. Et n’a pu être mis à la tête de l’opération par la seule grâce de son charisme. Ni par la force. « Les Fédéricci sont des braqueurs pas des gestionnaires, en aucun cas ils n’auraient pu monter une boîte comme le Cercle, qui nécessite beaucoup d’appuis, financiers et autres », balaie un fonctionnaire enamouré de l’île de Beauté.
Les flics ne sont pas loin du tout de penser la même chose. Trop peu d’envergure le Paul. Ses petits camarades qui ont investi des sommes sonnantes et trébuchantes ne l’ont pas fait sur sa seule demande. Un rapport de la direction de la police judiciaire d’Ajaccio, daté du 28 juin 2007, lâche un joli nom. « La question d’une extorsion de fonds menée par Lantiéri ou un investisseur occulte, probablement Jean-Gé Colonna- est posée. »
Feu Jean-Gé, une légende du milieu Corse, ancien de la French Connection, évadé en pyjama en 1975, considéré par la commission d’enquête parlementaire sur la Corse de 1998 comme le seul parrain d’influence de l’île. Et très au fait de l’univers des jeux. Ses protégés, Michel Tomi et Robert Féliciaggi (assassiné en 2006) étaient plus connus sous les noms « d’empereurs des jeux africains ». Et Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur n’était pas vraiment un étranger pour lui, plutôt une bonne connaissance (cf. Jean-Gé Colonna, feu le parrain corse).
« Bah dès qu’il y a quelque chose de louche, lié à la Corse-du-Sud, on dit c’est Jean-Gé, éructe un ancien grand flic passé par l’île de Beauté. Mais Jean-Jé c’est le plus grand échec de la Police judiciaire depuis quinze ans. On ne l’a coincé que sur son travail à la supérette de sa femme. »
Certes. Et le Cercle Concorde n’a été officiellement inauguré que le 30 novembre 2006 soit un mois après que le maître de Corse-du-Sud ne casse sa pipe lors d’un accident de voiture…
Mais la flicaille n’est pas la seule à sentir l’ombre de Jean-Gé sur le Cercle Concorde. L’un des clans, qui dispute la prédominance au sein du Cercle à Lantiéri, sent le vent tourné.
« Le 1er novembre, la mort de Jean-Gé Colonna dit Jean-Gé, préoccupait Leneveu et Edmond Raffali (deux membres de la direction du Cercle) qui se demandaient si ça allait modifier plein de choses », pointent les enquêteurs, en permanence « branchés » sur les conversations qui ont trait au Concorde.
Et les conversations se révèlent même bien plus précises :
« Le positionnement de la troisième partie des financiers de Corse-du-Sud représenté par Jean-Paul Suzini est incertain, ces derniers semblent affaiblis. Leur perte d’influence peut se rapporter au décès de Jean-Gé Colonna désigné au cours d’une conversation comme étant l’associé représenté par Suzini ».
Encore une raison pour Lantiéri de se balader incognito. Depuis bientôt un an, les anciens affidés de Jean-Gé tombent les uns après les autres. Assassinats en série sur lesquels Bakchich se penchera prochainement. Des deuils à répétition qui lui inspirent le silence, le recueillement, et la prudence…
Pour rouvrir le cercle de jeux Concorde fermé depuis 1987, un précieux sésame est nécessaire : un arrêté du ministère de l’Intérieur, autorisant son ouverture. Il tombe le 19 juillet 2005, à la stupeur de nombreux observateurs du monde des jeux. Et, alors que Nicolas Sarkozy est revenu Place Beauvau depuis moins de deux mois.
Trois clans se partagent la gestion du cercle : les Raffali, patron historique du lieu, les Lantiéri-Rouge, les financiers, et le clan Fédéricci, « gros bras » de la bande.
Las très vite, les trois clans se disputent. Malgré l’inauguration en fanfare du 30 novembre 2006. Malgré aussi, l’entraide qui a prévalu entre Fédéricci et Lantiéri, lors de la tuerie des Marronniers le 6 avril 2006, à Marseille. M. Paul, à cette occasion, aidera Ange-Toussaint Fédéricci, blessé à se faire hospitaliser discrètement dans une clinique à Marseille.
La fusillade, qui laisse trois morts sur le carreau, vaut à Fédéricci et à Lantiéri une mise en examen en janvier. Plus chanceux que son comparse, Lantiéri est laissé en liberté, mais doit affronter les problèmes de gestion du cercle.
Très vite, les Raffalli et les Fédéricci lui reprochent de trop taper dans la caisse et de ne pas leur reverser assez de fonds. Malgré l’intercession d’un « vieux monsieur », en qui certains reconnaissent Roland Cassonne, le climat n’est pas à l’apaisement. Lantiéri est évincé du Cercle. Que d’aventures…
Toutes ses tentatives pour reprendre le contrôle, avec son ami Rouge, échouent. Et les flics, qui ont suivi toutes ces pérégrinations, mettent fin à l’aventure du Concorde en novembre 2007, en arrêtant les principaux protagonistes de la maison de jeux, qu’ils soupçonnent d’être une « blanchisseuse du milieu ». Mais quelques-uns des acteurs courent toujours, notamment Paul Lantiéri.
Et les observateurs de s’interroger tant sur la fuite de Monsieur Paul, que sur l’étonnante bienveillance des autorités pour un cercle où se sont croisés nombre de figures connues des services de police deux ans durant.
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Le déroulé de l’affaire :
Les étranges invités du Cercle :
Et ses acteurs :