Sondages, tournée à l’étranger de Barack Obama, changements dans l’État-major de John McCain… Notre correspondant aux États-Unis, Doug Ireland, passe en revue les dernières péripéties de la campagne présidentielle américaine.
Les jours jusqu’à l’élection présidentielle de novembre sont comptés. Alors, pourquoi diable Barack Obama a-t-il consacré de son précieux temps de campagne pour se rendre en Afghanistan, en Irak, au Moyen-Orient et en Europe ? La réponse se trouve dans le dernier sondage publié le 17 juillet et réalisé pour le Washington Post ainsi que pour la chaîne de télévision ABC.
On y apprend que 72 % des personnes interrogées estiment que le candidat républicain, John McCain, fera un bon commandant en chef tandis qu’ils ne sont que 48 % à penser la même chose d’Obama. Quand on leur a demandé si les deux candidats en « connaissent assez en affaires étrangères pour être un président efficace », 63 % ont répondu « oui » pour McCain mais 46 % « non » pour Obama. Et même si les deux tiers de l’Amérique se disent maintenant convaincus que la guerre en Irak n’était pas « nécessaire », l’opinion publique est divisée à part égale sur la question du retrait des troupes américaines. Seuls 49 % des Américains soutiennent la position d’Obama pour qui il est nécessaire de fixer dès maintenant une date de retrait (il propose que ce soit le cas seize mois après qu’il ait été élu à la Présidence). Par contre, 50 % des Américains approuvent la position de McCain qui veut que les « boys » restent en Irak pour une durée ajustable selon les événements survenant dans ce pays occupé. Peut-être même « cent ans » a été jusqu’à déclarer l’ancien prisonnier de guerre au Vietnam.
C’est pour tenter de supprimer l’idée qu’il pâtit d‘un « déficit d’expérience » face au candidat républicain fort de son passé de héros de guerre et de son quart de siècle passé au Congrès, qu’Obama (qui ne fait de la politique que depuis douze ans et n’a été élu au Sénat qu’en 2004) se rend dans de lointaines contrées. Pour l’instant, il a réussi un joli coup médiatique : les présentateurs vedettes des JT du soir des trois grandes chaînes américaines — ABC, CBS et NBC — l’ont accompagné dans son périple à l’étranger avec, à la clé, une interview exclusive du candidat pour chacun d’eux. Du jamais vu ! Effectivement ce type de couverture est habituellement réservée à un président en exercice et c’est la première fois que ces chaînes accordent la même couverture médiatique à un candidat à la présidentielle. Voilà qui garantit à Obama d’éclipser McCain pendant une bonne semaine dans les médias…
Renforcer son image d’homme capable de tenir tête aux autres chefs d’État est d’autant plus nécessaire pour le candidat démocrate que, pendant les primaires, Hillary Clinton n’a eu de cesse de dénigrer son manque d’expérience. Elle a notamment eu recours au fameux spot publicitaire qui demandait « Qui répondra au téléphone à trois heures du matin s’il y a une crise ? ». Celui-ci est devenu si célèbre qu’il a par la suite copieusement alimenté les blagues des comiques. Même si Hillary soutient maintenant Obama, cette question reste d’actualité pour un nombre d’électeurs, comme le montre le sondage du Washington Post et d’ABC.
Quant au candidat républicain, il a intensifié ses attaques contre Obama sur les affaires étrangères depuis qu’il a changé de directeur de campagne début juillet. La nouvelle recrue n’est autre que Steve Schmidt, un trentenaire formé à la politique par Karl Rove, alias « le cerveau de Bush » et le stratège politique de l’actuel locataire de la Maison-Blanche, l’homme que Bush salue comme « l’architecte » de ses deux victoires présidentielles. Rove est archi-réputé pour être l’artisan de campagnes agressives et trustées d’assauts sur la compétence et le patriotisme de l’adversaire. Sans surprise, Schmidt sort du même moule. Mais, comme Oscar Wilde l’écrivait il y a 120 ans, « le patriotisme est la vertu du vicieux. »
Il faut dire que McCain n’a guère d’autre choix que de s’en prendre violemment à Obama s’il veut avoir une chance de victoire en novembre. Tous les sondages montrent que la crise économique est de loin la première des préoccupations des électeurs, et le fait que l’Irak arrive loin derrière ne favorise guère le candidat républicain. En effet, le pouvoir d’achat de l’Américain moyen s’évapore, la crise des « sub-primes » risque de faire perdre à des millions de gens leurs maisons, la fragilité des banques pour cause de spéculations excessives qui défrayent la chronique font craindre aux salariés et aux retraités le pire pour leur épargne. Quant au prix de l’essence, il est en forte hausse et atteint des sommets dans ce vaste pays où la voiture est à la fois religion et nécessité. À tel point que beaucoup de foyers modestes sont obligés de choisir entre faire le plein ou remplir la gamelle au dîner. Cette crise aigüe est mise sur le dos de George W. Bush et des Républicains comme en témoigne le nouveau sondage du Washington Post/ABC. Obama y est plébiscité d’une avance de 19 points sur McCain sur la question de l’économie et il en va de même dans tous les sondages. Mauvais point pour le candidat républicain quand on sait que, dans l’Histoire de l’Amérique, jamais le parti au pouvoir, lors d’une récession économique aussi sévère que la crise actuelle, n’a été reconduit pour un autre mandat. Et selon le sondage du Wall Street Journal/NBC, parmi ceux pensant voter pour le candidat démocrate, seuls 59 % expliquent que leur vote est réellement pour Obama tandis que 43 % affirment que c’est un vote contre Bush.
Non seulement le président américain a presque fatalement terni l’étiquette du parti Républicain pour ce cycle électoral mais, de plus, McCain jouit de peu de crédibilité auprès des électeurs sur leur principale préoccupation. Il a lui-même reconnu au quotidien le Wall Street Journal qu’il « n’est pas très instruit » sur les questions économiques ! Un aveu que les Démocrates ne cessent de citer avec un malin plaisir. Ensuite, sa campagne a pris un coup dur la semaine dernière lorsque son co-président, l’ancien sénateur du Texas Phil Gramm, a été contraint de démissionner de son poste de conseiller économique en chef du candidat Républicain. Gramm, le chantre du libéralisme sauvage, avait eu la maladresse de déclarer au quotidien de droite Washington Times que la récession économique n’était que « mentale » et que les Américains qui s’en plaignent ne sont que des « pleurnicheurs ». Diagnostiquer la réalité quotidienne stressante des classes moyennes et ouvrières comme une illusion psychologique constitue une bavure énorme pour un politicien et un cadeau inouï à Obama qui, depuis, ridiculise Gramm et McCain à volonté. Exit donc Gramm. Mais sa démission n’est intervenue que tardivement — deux semaines après sa gaffe — ce qui a sérieusement fragilisé la campagne de McCain.
Dans ce contexte, l’arrivée de Steve Schmidt à la tête de la campagne du candidat républicain indique que les attaques frontales contre Obama vont s’intensifier. La première salve est venue d’une vidéo de huit minutes produite sous la direction de Schmidt et qui essaye de coincer Obama avec ses prises de position contradictoires sur l’Irak. On y décèle les deux thèmes qui seront le fer de lance de McCain pour le reste de la campagne : Obama est « dangereux » pour la sécurité de la nation et il est un « flip-flopper », un terme utilisé pour designer quelqu’un qui retourne sa veste sur des questions de principe. Déjà en 2004, Georges W. Bush a utilisé ces deux thèmes avec succès contre le Démocrate John Kerry. Schmidt, en bon disciple de Karl Rove, récidivera cette année contre Obama.
C’est donc pour contrer les attaques à venir sur son prétendu manque d’expérience à garantir la sécurité du pays qu’Obama est actuellement en tournée de Kaboul à Paris où il sera le 25 juillet. De son côté, Bush n’a pas aidé McCain quand il a annoncé, le 18 juillet, qu’il avait trouvé un accord avec le premier ministre irakien pour fixer un « horizon temporel général pour atteindre des objectifs auxquels aspirer » , tels que « la poursuite de la réduction des forces de combat américaines d’Irak », comme l’a annoncé un communiqué de la Maison Blanche. Décodée, cette langue de bois ressemble bien à l’arrêt d’une date de retrait des troupes d’Irak prêchée par Obama.
Néanmoins, coller l’étiquette de « flip-flopper » au candidat démocrate pourrait s’avérer plus productif pour McCain car, sur un certain nombre de questions importantes, Obama a bel et bien changé de position. Et courir ainsi à sa Droite en cherchant les électeurs du Centre comme il le fait, pourrait être risqué pour Obama, comme le montre ainsi le sondage le plus récent du Wall Street Journal/NBC : seuls 46 % de ceux qui se disent favorables à Obama affirment être « certains » de voter pour lui, contre 66 % qui l’étaient au début de l’été selon le même sondage. Cette chute de 20 points est surtout enregistrée chez les moins de 30 ans et les indépendants, attirés par un Obama qui rejetait « la vieille politique » et prétendait ne pas être un politicien comme les autres. Maintenant qu’il s’est révélé être un homme politique capable d’abandonner ses positions d’autrefois pour valser au Centre, exactement comme les praticiens de « la vieille politique », il risque de nuire aux illusions dont se nourrit sa base.
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