La nomination par Obama d’Elena Kagan à la Cour suprême des Etats-Unis ne rassure pas le camp progressiste sur la défense des libertés constitutionnelles.
Il est impossible de surestimer l’importance de la nomination cette semaine par Barack Obama d’un nouveau membre de la Cour Suprême. La Haute cour est le garant des libertés constitutionnelles, dont beaucoup ont été déchiquetées par l’administration de George W. Bush. Mais le choix par Obama d’Elena Kagan, 50 ans, qui fait partie de son ministère de Justice (elle est « Solicitor General », l’avocat en chef de l’administration), a suscité quelque souci chez les progressistes.
La raison de leur inquiétude ? L’année dernière, Kagan a pris position devant le Sénat en faveur de la doctrine de l’administration Bush selon laquelle la lutte contre le terrorisme est une vraie « guerre » dont toute la planète est le champ de bataille. En vertu de quoi le gouvernement peut saisir et emprisonner n’importe qui partout dans le monde sur simple soupçon de terrorisme, sans égard aucun pour les droits de l’homme consacrés par la Constitution.
Kagan, une ancienne conseillère de Goldman Sachs, a passé la majorité de sa carrière à éviter assidûment toute prise de position publique sur les grandes questions de droit constitutionnel, ce qui est assez rare pour un juge potentiel de la Cour Suprême.
Par exemple, lorsque plusieurs des professeurs de droit les plus distingués du pays avaient donné de la voix pour s’opposer avec fermeté aux dégradations des droits constitutionnels par Bush, Kagan (alors à la tête de l’École de droit de l’université d’Harvard) avait soigneusement gardé le silence. Vieille routière du Parti Démocrate (elle a servi dans la Maison Blanche de Bill Clinton), ses silences font d’elle, aux yeux des progressistes, une ambitieuse, davantage motivée par sa carrière que par une rigueur dans la défense de la liberté.
À Harvard, elle s’est aussi montrée peu soucieuse de la diversité, car des 32 professeurs de droit qu’elle avait nommés, un seul était une personne de couleur, tandis qu’elle a embauché en même temps bon nombre de conservateurs pour tirer plus à droite l’école de droit considérée comme parmi les plus progressistes du pays.
Fait inédit pour un membre potentiel du Cour Suprême, sa vie sexuelle est devenue un sujet de débat public. Longtemps, la rumeur a couru parmi ses collègues et dans la communauté gay que Kagan était lesbienne. Avec les nombreux cas destinés à arriver cette année ou l’an prochain devant la Haute cour et qui feront la loi sur les droits des homosexuels, comme le droit au mariage ou le droit de servir dans l’armée, les associations conservatrices et républicaines anti-gay ont accueilli la nomination de Kagan par un beau tollé, déniant à une lesbienne le droit d’être membre de la Cour Suprême. Au point que la Maison Blanche s’est sentie obligée de publier un démenti total sur l’homosexualité de Kagan !
Mais il y a fort à parier que la question indécente « êtes-vous une lesbienne ? » sera posée le mois prochain par les républicains lors des séances de la Commission de Justice du Sénat chargée de scruter cette nomination…