Ni vu ni connu, depuis la présidence de Ronald Reagan, la pauvreté et l’inégalité économique ne cessent de gagner du terrain en Amérique. Et leur éradication ne fait vraiment pas partie des priorités des candidats à l’élection présidentielle de novembre.
« The American Dream », « Le Rêve Américain » est une expression censée exprimer l’idée d’une liberté dans laquelle la prospérité d’un individu dépend uniquement de ses aptitudes et de sa capacité à travailler, sans limites imposées par un système de classe. Mais depuis que la présidence de Ronald Reagan (1981-1989) a bétonné le culte du marché comme pensée unique des élites, vénéré par les Démocrates comme par les Républicains, le triomphe grandissant d’une politique du libéralisme économique a réduit en miettes le Rêve Américain.
Depuis trois décennies maintenant, la religion du marché nous inculque des mythes : que baisser les impôts des riches aide les pauvres, que les syndicats bloquent la prospérité des travailleurs et que la réglementation par le gouvernement des excès du marché et de l’avidité, pour protéger les consommateurs, sont des entraves à la liberté. Ainsi inspirés, nos élus ont remanié les règles qui gouvernent l’économie, les impôts, le commerce, les dépenses publiques et la politique salariale au bénéfice des riches, de la classe sociale possédant les biens de la nation et des multinationales. Et pour quel résultat ! On a ramené l’Amérique aux mêmes conditions d’inégalités économiques qui ont engendré la Grande Dépression des années 30 et à la renaissance de la ploutocratie, où le pouvoir est exercé par les plus riches.
Aujourd’hui, 1 % des Américains les plus fortunés détiennent 16,8 trillions de dollars. Soit 2 trillions de dollars de plus que les 90 % des Américains se trouvant en bas de l’échelle économique. Un ouvrier qui gagne 10 dollars de l’heure devrait travailler plus de 10 000 heures pour gagner ce que l’un des 400 américains les plus nantis ont empoché en 2005.
Or, et c’est une constante, plus le fossé entre les riches et les citoyens moyens s’accroît, plus l’économie devient instable. En 1928, l’année précédant la Grande Dépression, les foyers américains les plus aisés encaissaient 892 fois plus de revenus que les 90 % restants des Américains. Aujourd’hui, soit 80 ans plus tard, la situation a empiré : 0,01 % des Américains ont des revenus 976 fois supérieurs à ceux des 90 % restants. Dans le même temps, les riches n’ont jamais payé aussi peu d’impôts et leur taux d’imposition ne cesse de décliner. En 1955, les 400 Américains les plus riches étaient imposés à hauteur de 51,2 % en ce qui concerne les impôts payés au gouvernement fédéral. En 2006, les 400 plus riches ne payaient à Washington que 18,2 % d’impôts. En 1944, les Américains qui gagnaient plus d’un million de dollars par an payaient un impôt fédéral de 65 % de leurs revenus totaux mais, en 2006, ce pourcentage avait chuté à 23 %. Pendant que le gouvernement dorlote les riches, les syndicats, qui demeurent la seule protection des ouvriers, ne cessent de faiblir depuis qu’en 1983, sous la présidence de Reagan, les Républicains ont donné l’assaut aux droits syndicaux. En 1945, belles étaient les lois qu’avait fait voter le Président Franklin D. Roosevelt et qui garantissaient le droit de constituer des syndicats… À l’époque, 36 % des travailleurs américains étaient syndiqués. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 9 % et ce chiffre global masque une forte disparité entre les secteurs privé et public. Alors que 36 % des fonctionnaires sont membres d’un syndicat (un chiffre qui a augmenté ces dernières décennies), seuls 7 % des salariés du privé ont franchi le pas.
Avec une économie qui favorise les riches, les coups contre les syndicats et la désindustrialisation de l’Amérique qui a détruit des douzaines de millions d’emplois bien payés, il n’est guère surprenant que la pauvreté se développe aux Etats-Unis. Un Américain sur huit vit aujourd’hui dans la pauvreté. Officiellement, selon le gouvernement fédéral, une famille de quatre personnes est recensée comme « pauvre » si le revenu familial est inférieur à 19 971 dollars par an. Or, ce seuil est bien inférieur à ce dont une famille a réellement besoin pour s’en sortir. On se fait une meilleure idée de l’étendue de la pauvreté si on note que, selon les derniers chiffres disponibles qui datent d’avant la crise économique actuelle, 90 millions d’Américains, soit 31 % de la population, ont des revenus inférieurs à 200 % au « seuil de pauvreté » établi par Washington ! Et avec la crise, ça ne s’améliore pas… De plus, ce chiffre ne prend pas en compte les millions d’immigrés sans-papiers, les gens les plus exploités par le capitalisme sauvage et qui travaillent au noir.
Qui plus est, des millions d’Américains supplémentaires feront l’expérience de la pauvreté à un moment ou à un autre de leur vie : sur une période de treize ans, un tiers des Américains la connaîtront. Parmi eux, un sur dix sera pauvre la plus grande partie de sa vie et un sur vingt pendant dix ans ou plus. La pauvreté est bien plus importante en Amérique que dans les autres pays développés car les Etats-Unis arrivent à la 24è place sur 25 si on mesure la proportion de la population vivant avec un revenu au dessus de 50 % du revenu moyen.
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Quant a l’aide aux défavorisés fournie par Washington, trois décennies de pensée unique reaganienne ont laminé les allocations aux défavorisés attribuées par le gouvernement fédéral. La plupart des programmes établis par le Président Lyndon B. Johnson en 1964 dans sa « Guerre contre La Pauvreté » ont été rudement comprimés depuis 1981. Et pas seulement par le Parti Républicain. C’est le Président Bill Clinton qui, en 1996, a signé la loi restreignant le programme principal d’aide aux pauvres, l’Aide aux Familles avec Enfants Dépendants (AFDC), coupant ainsi les allocations de millions de personnes dans le besoin. A la fin de son mandat, le budget de ce programme avait diminué de 57 % et il ne cesse de rétrécir depuis avec pour conséquence, entre autres, la hausse du taux de criminalité dans les ghettos.
Mais quiquonque croit que l’éradication de la pauvreté est un enjeu important de la campagne présidentielle se met le doigt dans l’oeil. Le seul candidat à en avoir fait son cheval de bataille lors des primaires était le millionnaire populiste John Edwards. Ce Démocrate a été contraint de retirer sa candidature fin janvier après avoir été devancé par Barack Obama et Hillary Clinton. Quant à Obama, il n’a prononcé qu’un seul discours sur la pauvreté. C’était le 18 juillet et il n’a promis que des mesurettes pour un total de 6 milliards de dollars au cours de son premier mandat. Comparé aux 6 trillions de dollars qu’a déjà coûté la guerre en Irak, les mini-programmes d’Obama ne représentent qu’une goutte d’eau…
Le brillant comique George Carlin, malheureusement décédé la semaine dernière, disait : « They call it the American Dream because you have to be asleep to believe it » (On l’appelle Le Rêve Américain car il faut être endormi pour y croire.) Il avait bien raison.
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