Le fantôme du juge Borrel assasiné en 1995 à Djibouti, continue à hanter la justice française. Dernière visite à la 17e chambre correctionnel du TGI de Paris, pour un procès en diffamation.
Une bien étrange audience s’est tenue jusque tard dans la nuit du jeudi 5 mars devant les magistrats de la XVIIème chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Comparaissaient Elisabeth Borrel, veuve du magistrat français Bernard Borrel, dont le cadavre a été retrouvé partiellement carbonisé à 70 km de Djibouti le 19 Octobre 1995 et son co-auteur, le journaliste-documentariste Bernard Nicolas.
La partie civile, Alain Romani, à l’époque tenancier d’un bar djiboutien, l’Historil, et fils de l’intendant de l’ancien président Gouled Aptidon, entendait laver son honneur, sali selon lui par 9 passages du livre écrit par les deux prévenus, un juge assassiné, paru chez Flammarion, en octobre 2006. Alain Romani se considère gravement diffamé par le témoin-clé de l’instruction, toujours en cours, pour homicide sur la personne du juge Borrel, dont les dépositions sont rapportées et commentées dans le livre.
Le jour de la découverte du corps de M. Borrel, Mohamed Aloumekhani, à l’époque lieutenant de la Garde Présidentielle djiboutienne, affirme avoir vu M. Romani débarquer en compagnie de 4 autres personnes de 2 véhicules dans le jardin de la Présidence. L’un des membres du groupe s’approche d’Ismaïl Omar Guelleh, actuel président de Djibouti (à l’époque chef de cabinet du président Gouled Aptidon) et lui dit en langue somalie « le juge fouineur est mort et il n’y a plus de trace ». Ce témoignage, initialement recueilli en 1999 à Bruxelles, où M. Aloumekhani demandait l’asile politique, permit , après moultes vicissitudes, de faire dessaisir les juges Marie-Paule Moracchini et Roger le Loire, et d’enfin faire litière de ce qui était jusque là la version officielle, le prétendu suicide du juge Borrel.
L’instruction, désormais conduite par la juge Clément, a notamment donné lieu, à la fin du quinquennat de Chirac, à une fructueuse perquisition à la cellule Africaine de l’Elysée et au domicile de son chef M. de Bonnecorse…
Me Dupont-Moretti, principal avocat d’Alain Romani, a tout tenté pour déstabiliser le témoin Aloumekhani, n’hésitant pas à provoquer des incidents d’audience et allant jusqu’à suggérer que se targuer d’un témoignage sur l’affaire Borrel avait été pour lui un bon moyen d’obtenir le statut de réfugié politique en Belgique. L’ancien lieutenant, imperturbable, n’a pas de mal à démontrer que son témoignage, loin de lui avoir été utile, est à l’origine de menaces contre sa vie et de persécutions contre les membres de sa famille restés au pays…
A l’appui du témoignage de M. Aloumekhani, les avocats de la défense, Me Olivier Morice et Laurent de Caunes font appeler à la barre Ali Iftine, ex-commandant de la garde présidentielle djiboutienne. Celui-ci explique sereinement à la cour comment il a été conduit à écrire, sous la dictée -et la menace- une lettre destinée à décrédibiliser son ancien subordonné Aloumekhani. Il expose enfin à la cour les offres (forte somme d’argent, poste d’ambassadeur etc) de MM Hassan Saïd, chef des services secrets djiboutiens et Djama Souleiman, procureur de la République, venus spécialement en Belgique pour tenter de convaincre Aloumekhani de retirer le nom d’ Alain Romani de son témoignage…
Cette tentative de subornation de témoin est solidement établie puisqu’elle a valu une condamnation par contumace par le tribunal correctionnel de Versailles à un an de prison ferme au chef des services secrets et au procureur de Djibouti. Cette affaire vient en appel fin mars. Le délibéré de la XVIIème chambre sera lui rendu le 30 avril.
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