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C’est quoi un bon article ? C’est lorsque les gros mots sont de petits lions

PRESSE / lundi 16 mars 2009 par Louis Poirier
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On était là, un dimanche parmi d’autres, plus las que très las, très sollicité par le suicide à l’absinthe, métier oblige, comme un sommeil qui n’arrive pas. On était, comme ça nous arrive souvent, incapable de parvenir jusqu’à notre instinct de conservation, notre sauvagerie naturelle, et on trouvait que la chance de pouvoir nous exprimer commençait à se faire un peu trop attendre : depuis vingt ans on était prêt et personne ne le savait… Les cloches sonnaient. Plus un seul rat dans la sacristie… La presse allait fermer. Le rédac’ en chef allait boucler et nous, l’ouvrir. On avait la tête écrasée par une solitude infinie, une misère terrible et on s’aperçut qu’on était dans un journal, Bakchich… Alors, on a commencé à gamberger sur cet anachronisme : on se souvient s’être demandé ce qu’était ce métier… et « un bon papier ». Réponse.

Beaucoup de mélomanes se croient musiciens. Pour l’écriture, c’est kif-kif. On aime la « petite musique » mais on n’en suit pas le dessin. Une plume quelle qu’elle soit, devrait être capable de repérer un mot donné dans une phrase, de savoir où on en est. Il ne suffit pas d’être Goncourt ou d’écrire « juste ». Il faut aussi remarquer une virgule à côté dans une débauche de ponctuation. Ou aller se coucher. Beaucoup de « confrères » sont comme ça, entièrement sourds, et vautrés dans l’Idée du journalisme.

L’écriture de Céline est surchargée ? On veut ! Premier de cordée encore ! Qui n’est pas surchargé ? Tout Le Monde : les chroniqueurs actuels sont de laborieux faiseurs de la petite phrase neutrement digne, creusement effilée, blanchâtre, propre, impersonnelle, exprès sans style, simple, claire, du cœur, de tous les jours, pas moins profonde… bref, des délateurs d’information anonyme. Ils sont chiants, sobres, minables. En un mot : des « collaborateurs » contemporains.

De flagellantes épithètes, quelques majuscules cravachantes, et beaucoup de verbes noueux

La question du « bon papier » ? Ça, ils ne le ressentent pas. Bon, très bien : c’est qu’ils n’entendent rien. Le ventre est creux. Ils ne voient pas la beauté du truc, ils jugent ça d’après le grammage de l’info, toutes les têtes sont remplies de scoops froissés. Pour eux, trois mots couchés comme ça sur la page blanche, c’est toujours trois mots, c’est le B.A.Ba du premier journaleux venu, balbutiant bambin ou billettiste inhibé. Passant à côté de l’émotion, il ne reste malheureusement plus grand-chose… Ils sont malheureux comme les pierres que l’on jette à l’Abbé du même nom : trois points de suspension et puis s’en vont ! Comme en plus, ils ne pigent pas le sens par rapport au texte de ces trois pauvres sales mots, ça ne leur dit rien de s’évanouir. Il faut les comprendre : c’est ainsi que les aveugles eux-mêmes se désaccordent.

Il faut relire Pierre Lazareff, qui a donné à l’envers la plus belle définition du journalisme : c’est l’existence ! La vie ! « Dis donc, coco, là, ta phrase, elle est pas un peu bancale ? Moins musicale que celle de Léon Bloy ? » nous lança-t-il quelque jour. Belle leçon de vie. On écrit plastique ou on n’écrit pas. La phrase est une lanière de bonne longueur, tachée de sang. On écrit toujours dans le sens de la boucle. Tout est dans la charpente d’une syntaxe d’une égale solidité. Sous ces voûtes, on déplace de flagellantes épithètes, quelques majuscules cravachantes, des verbes noueux, de souples envols d’adverbes et d’adjectifs abscons sur le dos de silhouettes inconnues, lourds comme des tigres.

Il faut « habiller » l’information. S’habiller soi-même en dompteur de l’ailleurs. Toutes portées de zébrures aux notes de plaies dehors. Avec le costume doré et tout, les bottes, le tabouret et le fouet. Les gros mots sont de petits lions. Au martinet, les italiques, à la hache dans le pastel ! Délarder les mots à la serpe ! Quand on entre dans une chapelle aussi vierge que dans une forêt, il faut y aller au coupe-coupe. Mais entrer sans frapper, hanter sans dire…

Délarder les mots à la serpe !

Toutefois cette écriture au nerf de bœuf doit bastonner par sa densité. Ce qui frappe, c’est alors l’énergie de la tenue, que ce soit dans des démolitions en règle ou des réflexions : toujours ce café serré de l’agression plutôt que du commerce. Les périodes d’aphorismes, la rhétorique sophiste et les articulations de la pensée, tout est dans le corset d’un ton exalté, dégoûté, scandalisé, outragé… A réalité obscène, langage brutal.

Si on parle de dedans, de dessous ou d’en haut, c’est foutu. Écrire, c’est parler de loin, de très loin, des coulisses de l’horizon que l’on amène à portée de d’yeux de lecteur. Le journaliste a vocation à bouleverser la notion même de jugement, de pauvreté, de souffrance et de désespoir : ce n’est pas rien. Cette langue est au service d’un système philosophique, d’un intérêt presque inabordable tant il est grandiose, et si outré qu’il ne peut apparaître que ridicule à tout lecteur à demi inconditionnel. On dirait du reste à vous lire que le style est votre arme, plus qu’il n’est l’instrument du lecteur. Le style est l’outil qui vous sert à tout expliquer, et au lecteur, à tout comprendre. Ce sont les clés, le code, le numéro de la carte de crédit… Toute une vie de journaliste n’y suffit pas : on la passe à décrypter la vie qui est aussi celle du lecteur. C’est une tâche de désenchantement du monde. On analyse juste mais ne juge jamais. On devient milliardaire de l’absence, alchimiste de la douleur. Que voulez-vous qu’il arrive ? Qu’est-ce qu’on a à y gagner ? Un lecteur, justement ! On est fervent que si l’on croit à ce qui n’existe pas.

On ne supporte plus ceux qui dénigrent le style tout en y accédant. La plupart ne connaissent rien de tout ce qui leur a précédé et surtout, ils sont incapables d’écrire « à la façon de » authentiquement. Ils disent qu’ils aiment son « style », mais c’est pour faire comme tout le monde, pour faire le non sectaire. En fait, ils s’en foutent comme de l’an quarante. Quelques écrivains seulement dépassent la Littérature. On est dans autre chose. Le style est universel, il est dans les choses depuis le début des temps, mais c’est Céline qui l’a découvert au siècle dernier, comme Pasteur a découvert la rage (ou son vaccin ?). L’écriture existait avant Céline, bien sûr, mais personne ne savait ce que c’était. Tout le monde est sensible au rythme latent de la vie et n’importe quel lecteur est ébranlé par le style, même s’il ne le sait pas.

A réalité obscène, langage brutal

Les phrases de Céline sont modernes à mort. Certains lisent hélas ça comme Libé, ils connaissent tout ça par cœur depuis belle lurette. Restant à côté du rythme qui en fait tout l’intérêt, ils trouvent ça sans intérêt… C’est toujours la même vieille histoire : les journalistes, et surtout les plus lettrés, considèrent à tout casser Céline comme un phénomène social exemplaire, ou bien musical… Ils lancent des bouts de mots sans signification comme ça. On est pris véritablement à chaque fois d’une pulsion de meurtre sadique quand on entend quel emploi on ose encore faire du mot « presse » : aberrant. Suicidaire.

On ne peut plus supporter ces jeunes et ces moins jeunes qui parlent de « presse » sans jamais avoir écouté Lucien Bodard écrire de leur vie, qui confondent ce mode sacré de l’expression humaine avec le goal de l’équipe de France qui sautille devant ses cages ou, autrefois, « Zizzzzzou » qui chauffe le stade de ses coups de boule comme Marcel, la salle, de son accordéon… Il y a vraiment de quoi les empaler tous. Les petites frappes d’abord qui reconnaissent la Littérature à partir de Frédéric Beigbeder et Amélie Nothomb, et les vieux cons ensuite, qui trouvent que les musiques de Charles Trenet rappellent un peu Marcel Aymé : ça balance ! C’est sûr, pour être gai, ça l’est. Décidément non, hélas Marc Lévy n’est pas une marque de lessive.

Le rythme d’un « bon papier » amène une vérité biologique au lecteur autant que l’information qu’il recèle. Le style est un battement de cœur, pas de mesure. Un « canardier » qui écrit comme Céline, ne serait-ce qu’un instant, peut rendre heureux un rédac’ en chef pour toute sa vie. Il crée dans l’instant où il écrit. On reconnaît le style mais on ne peut pas l’expliquer : c’est inexplicable, comme la foi, la poésie, l’orgasme. Qu’est-ce qu’un « bon papier » ? Est-ce qu’on peut expliquer l’odeur de la lavande ou le cri de la femme, le soir, où blanchit la chouette ?

Les plus finauds sont encore plus épais, ces grands fauves de la presse parisienne qui est aussi, dit-on, nationale. D’après Laurent Joffrin (Libération), un bon « papier », ce serait le pied qui bat la mesure, à longueur d’éditos. Et ta sœur, elle bat le beurre ou elle fouette la crème ? L’écriture, ce serait le débraillé étudié de Frantz-Olivier Giesbert (Le Point) ou les carottes (un peu cuites) et le navet (un peu rance) d’Angelo Rinaldi. Les aphorismes de Céline, de Guitry, de Nimier et de quelques autres talents devraient être inscrits en lettres de feu dans le ciel toute une vie de journaliste, ça éviterait à certains de raconter des conneries. Ou, plus grave, d’en écrire.

Lire ou relire dans Bakchich :

Le monde du Net possédait un grand expert de la presse en ligne et on l’ignorait. Chargé du courrier des lecteurs au Nouvel Observateur après avoir dirigé la rédaction de Libération dans les années 80, Jean-Marcel Bouguereau a gentiment assassiné (…)
Dans la presse cette semaine, un éditorialiste suprenant (c’est rare), un gastrosexuel (ça ne s’invente pas), et un Standard & Poor’s amnésique, à moins que ce soit le contraire.
Les Fatals Flatteurs, brigade d’intervention médiatique du journal "le Plan B" a sévi, sur le site du Point, en adressant des compliments assassins à notre BHL préféré. Extraits.

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3 MESSAGES

Forum

  • C’est quoi un bon article ? C’est lorsque les gros mots sont de petits lions
    le mardi 17 mars 2009 à 21:32, bob a dit :

    c’est vrai cet article là, on ne voit pas très bien où il veut en venir sinon rendre hommage à l’époque des écrivains collabos.

    C’est le seul Poirier qui lorsqu’on le secoue un peu laisse tomber des navets par terre.

  • C’est quoi un bon article ? C’est lorsque les gros mots sont de petits lions
    le lundi 16 mars 2009 à 10:41, J_P_M a dit :

    Ouais. Mais où veut-il en venir, le cher Louis Poirier ? Un MAUVAIS article c’est aussi cela : celui dont l’auteur ne dévoile pas ses intentions, ou les noie dans un tel verbiage (décourageant au bout de quelques lignes) qu’il est impossible au lecteur de les déchiffrer.

    Il en sort, le lecteur, avec l’imprssion que l’auteur a surtout voulu se farcir ses chers confrères. Et ça, le lecteur, il s’en fiche royalement !

    • C’est quoi un bon article ? C’est lorsque les gros mots sont de petits lions
      le mardi 17 mars 2009 à 10:54

      Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que l’article de Poirier n’est pas un bon article parce que l’auteur n’ose pas exprimer le fond de sa pensée ; ce n’est pourtant pas, et loin de là, un mauvais article.

      Des mauvais articles, c’est ce que vous pouviez trouver dans ce site jusqu’à il y a quelques semaines, lorsqu’une bonne partie de la rédaction - au grand dam des commentateurs - avait pour seul but de dénigrer le Parti socialiste mais n’importe comment, sans preuve, sans raison, sans talent.

      Même celui qui a la réputation d’être un bon journaliste ne pond pas que des articles forcément bons et il faut se rappeler que les tuyaux qu’on vous laisse trouver dans des poubelles sont parfois percés …

      Si un bon article c’est assurément un bon tuyau, c’est avant tout du travail – en amont, depuis l’apprentissage des règles de grammaire jusqu’à l’enquête elle-même, l’investigation parfois, la réflexion éthique, le corsetage de la grammaire, la rigueur de la synthèse et enfin le souffle du style qui est le seul à pouvoir emporter le lecteur dans le sillage de la cause d’un autre.

      La ligne politique du journal à changé et personnellement, je m’en contrefiche !

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