Il n’y a plus un fauteuil vide à l’Académie française, vieille dame aux allures de parking désert de supermarché de province. Ou de jardin de maison de retraite, c’est selon.
Le parolier et scénariste Jean-Loup Dabadie, âgé de 70 ans, a fait son entrée mi-mars dernier à l’Académie française, lors d’une séance de réception sous la Coupole. Au cours de ses quarante ans de carrière, il a travaillé avec le réalisateur Claude Sautet (César et Rosalie), écrit des chansons pour Julien Clerc (Ma préférence), ou le regretté Serge Reggiani (Le petit garçon). Il succède ainsi à l’écrivain Pierre Moinot au 19è fauteuil.
Candidat de la dernière heure, poussé par Claude Berri, le feu cinéaste et producteur (dont la compagne n’était autre qu’une certaine… Nathalie Rheims), l’écrivain François Weyergans, 68 ans, a créé la surprise en devançant ses peu nombreux rivaux, lors de son élection au fauteuil du commissaire-priseur Maurice Rheims. Une affaire de famille, presque. On lui doit huit romans depuis 1973 dont le dernier, Trois jours chez ma mère (Grasset, 2005) a obtenu le prix Goncourt.
Il y a peu, Alain Robbe-Grillet avait (déjà) succédé à Maurice Rheims mais n’ayant pas voulu sacrifier au protocole, il n’avait pas été reçu sous la Coupole. Il avait fait savoir qu’il n’avait pas besoin des récréations hebdomadaires pour mieux structurer son oeuvre littéraire. Ambiance.
L’occasion, pour Bakchich, de revenir sur l’immortelle inutilité d’un mouroir pour vieux écrivains endormis.
Avec le recrutement de Weyergans, l’écrivain franco-belge, la moyenne d’âge est passée de 79 à 77 ans, un vrai rajeunissement. Mieux : un baume de jouvence. Les séances du jeudi à 15 heures, destinées à peaufiner un improbable dictionnaire, rassemblent une poignée de membres bâillant. Et plus personne ne veut de l’habit vert. Patrick Modiano, Jean-Marie Gustave Le Clézio, Pascal Quignard, Jean Echenoz ou Milan Kundera ont décliné l’offre. Même l’intrépide Philippe Sollers n’a que faire de l’épée. L’immortalité, pour quoi faire ?
Pourtant, le champ des candidatures a été élargi : l’Académie compte désormais un ancien président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, un ophtalmologue, le professeur Yves Pouliquen… Mais, apparemment, l’œcuménisme ne suffit plus. Bien sûr, en regard des propos d’Hélène Carrère d’Encausse, l’une des deux infatigables et perpétuelles secrétaires, relatifs à l’envahissante polygamie des Noirs, il n’y a aucune chance que l’on propose à Alain Mabanckou ou à Patrick Chamoiseau. Résultat : le quai Conti peine à remplir ses 40 sièges (même si, pour la première fois depuis 2006, les fauteuils sont tous pourvus de cacochymes couverts d’honneurs). Le « Ils sont quarante, qui ont de l’esprit comme quatre », maxime attribuée à Alexis Piron, cité par Rigoley de Juvigny dans l’Introduction aux Oeuvres complètes résume, hélas, le propos car, disait Flaubert, le bel esprit n’a ni règle, ni loi, ni uniforme.
Au fond, dès sa naissance en 1635, elle n’a jamais fait l’unanimité. « Quand pour s’unir à l’Académie, Alcipe se présente / Pourquoi tant crier haro ? / Dans le nombre de quarante / Ne faut-il pas un zéro ? », s’interrogeait déjà un contemporain nommé La Bruyère. Et Musset de remettre le couvert : « Nu comme un plat d’argent, - nu comme un mur d’église, / Nu comme le discours d’un académicien. » La vénérable institution a connu bien des tempêtes. Mais, raillée, rouillée, conspuée, elle n’en conservait pas moins son prestige. « La dénigrer, mais tâcher d’en faire partie… », songeait Flaubert.
Si la mort d’un académicien est un événement grave à coup sûr, ce n’est pas un événement triste. On se rappelle là, pour bonne bouche, ce mot d’Alexis Piron sur lui-même, extrait de ses succulentes Epigrammes : « Ci-gît Piron, qui ne fut rien, / Pas même académicien. »
Or, aujourd’hui, ce n’est pas que les personnes d’esprit sont jamais laides, c’est que l’existence même de l’Académie n’est pas en phase avec l’époque. Elle est connue, mais pas assez célèbre. On connaît Johnny Halliday et le STIC, on ignore Gabriel de Broglie, son chancelier.
Surtout, trop inutile sans être futile. Les prestiges ont changé. On n’a que faire d’une branche d’olivier brodée, d’un sabre et d’une place ad vitam aeternam. On se construit à la force du poignet de sa Rolex au lieu de sa plume. Les débats sont éteints. Les ébats aussi. Le prix littéraire de l’Académie française fait moins vendre que celui de la FNAC ou des Libraires. Le jury du Goncourt peine à rivaliser avec les lectrices de Elle. Et puis, sérieusement, qui voudrait encore jouer le jeu des courtisaneries ? Claude Guéant ? Car obtenir un strapontin Quai Conti relève de la campagne électorale. Il faut savoir rallier les voix des vénérables académiciens - pour ceux qui en donnent encore. « Le vieillard perd l’une des principales prérogatives de l’homme, celle d’être jugé par ses pairs », disait Goethe, un souffreteux poète allemand.
Une assertion qui échappe à Hélène Carrère d’Encausse, fraîchement réveillée par Nicolas Sarkozy car élevée à la dignité de grand officier de la Légion d’honneur. La galonnée « perpétuelle » tient l’explication de cette déshérence académique. « Il y a dans la génération des 60-70 ans un refus global de toute institution, sans doute dû à l’influence de Mai 68 », estime-t-elle, dans des propos recueillis par nos confrères du Nouvel Observateur. On objectera à la flingueuse de l’épiphènomène soixante-huitard que la génération de l’avant-guerre avait plutôt passé l’âge des barricades (qu’elle se rencarde auprès de Millau et des Hussards), que la révolution, de toute manière, n’entamera jamais le goût des honneurs et du vin de messe. Qu’importe.
Il y a un autre facteur, selon Maître Carrère d’Encausse, et pas piqué du roquefort : « la pression médiatique ». Sans blague ? « J’ai observé avec amusement, l’autre jour, chez le coiffeur, que même Gala consacrait un article à l’Académie », s’exclame-t-elle, dans L’Express, entre deux bigoudis. Les journalistes de Gala apprécieront. Les coiffeurs aussi.
En tout cas, ce genre d’argument n’aidera pas la reine Hélène à rajeunir les « cadres » de l’Académie. Cherchez l’erreur ! Son bilan n’est pas aussi brillant que la couronne qu’on veut lui faire porter. Or, malgré son palmarès littéraire et son aptitude à recruter plus pour Poutine que pour le Quai Conti, largement compensée par de puissants réseaux d’amitié, pour ne pas dire de connivence, elle ne cesse d’être écoutée.
Ce cher Léautaud avait raison lorsqu’il notait : « Il est curieux comme le même mot peut avoir des sens complètement opposés. En art, académie, c’est la nudité. En littérature, Académie, cela veut dire : jamais trop habillé. » (Les Plus Belles Pages de Stendhal)
Si, avec Boileau, on finira par reconnaître que l’Académie en corps a beau censurer le talent, le public révolté s’obstine à l’admirer, c’est à Paul Morand que nous céderons le mot de la fin : « Les salons et les académies tuent plus de révolutionnaires que les prisons ou les canons »
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Il y a peu, Alain Robbe-Grillet avait (déjà) succédé à Maurice Rheims.
Voilà bien un évenement qui a marqué le début de la fin pour l’institution.
En dehors de ça, vous avez l’air de regretter que P. Sollers n’en soit pas. C’est du troisième degré que je n’ai pas compris ou toute votre brillante prose perd toute crédibilité pour cette malheureuse phrase ??
Qui voudra désormais entrer dans un club dont Weyergans (le vide fait plume) est membre ?
Ne pas oublier toutefois que les très nombreux prix que gère l’Académie permettent à beaucoup d’auteurs qui ne sont pas des "vedettes" de recevoir un chèque plus ou moins gros, mais toujours bienvenu quand on ne cartonne pas à la FNAC …
Pour le reste, qu’il y ait au moins un toubib, un prélat, un ambassadeur, cela fait partie des règles non écrites de la chose. mais pour ces braves gens, être reçu pour le quota, c’est nul !