Le méchu éméché parisien Frédéric Beigbeder vient de remporter le prix Renaudot 2009. Habemus papam ! En cadeau (empoisonné ?), un extrait du livre récompensé par le conclave littéraire parisien, "Un roman français".
Le drame de Frederic Beigbeder est de n’en avoir jamais connu. Il n’a de cesse d’écrire dessus. Son dernier bouquin, Un roman français, revient sur sa maladie bénigne de n’avoir seulement pu, son enfance durant, péter que dans la soie.
Sa blessure : être traumatisé par une absence de traumatisme. Sans être fils de vitrier, rare quand on est un bambin de Neuilly, l’écrivain mondain maîtrise pourtant à la perfection la pose du double vitrage urbain.
Contempler en silence le monde de la fenêtre des beaux quartiers tout en s’assurant que le fond de l’air littéraire bruisse le nom de celui qu’ils ont entendu parlé, peu lu, mais beaucoup vu. Suffisant pour exister et vendre autant que le calendrier d’autres « dieux » parisiens.
Et recevoir (enfin !) l’extrême onction des siens, le prix Renaudot 2009. Les mauvaises langues diront que les manœuvres d’arrière-cuisine auront eu raison de l’œuvre pour emporter le grappin. Bakchich préfère, en grand prince, vous proposer un extrait du livre récompensé :
« J’ai été un garçon sage, qui a suivi docilement sa mère dans ses pérégrinations, tout en se chamaillant avec son frère ainé. Je fais partie de la foule des enfants non problématiques. Une crainte me saisit parfois : peut-être que je ne me souviens de rien parce qu’il n’y a rien à se remémorer. Mon enfance serait une longue succession de journées vides, ennuyeuses, mornes, monotones comme des vagues sur une plage. Et si je me souvenais en réalité de tout ? Et si mes débuts dans l’existence ne comptaient aucun événement marquant ? Une enfance protégée, couvée, privilégiée, sans originalité ni relief – et de quoi me plaindrais-je ? Echapper aux malheurs, aux drames, aux deuils et aux accidents est une chance dans la construction d’un homme. Ce livre serait alors une enquête sur le terne, le creux, un voyage spéléologique au fond de la normalité bourgeoise, un reportage sur la banalité française. Les enfances confortables sont toutes les mêmes, elles ne méritent peut être pas que l’on s’en souvienne. Est-il possible de mettre des mots sur toutes les étapes qu’un petit garçon était condamné à franchir à Paris, dans les années 60-70 ? J’aimerais faire le récit d’une demi-part supplémentaire sur la déclaration de mes revenus de mes parents.
Mon seul espoir, en entamant ce plongeon, est que l’écriture ravive la mémoire. La littérature se souvient de ce que nous avons publié : écrire c’est lire en soi. L’écriture ranime le souvenir, on peut écrire comme l’on exhume un cadavre. Tout écrivain est un « ghostbuster » : un chasseur de fantômes. Des phénomènes curieux de réminiscences involontaires ont été observés chez quelques romanciers célèbres. L’écriture possède un pouvoir surnaturel. On peut commencer un livre comme si on consultait un mage ou un marabout. L’autobiographie se situe à la croisée des chemins entre Sigmund Freud et Madame Soleil. Dans A quoi sert l’écriture ?, un article de 1969, Roland Barthes affirme « l’écriture accomplit un travail dont l’originalité est indiscernable. » Ce travail peut-il être le retour soudain du passé oublié ? ».
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