Saint, saint, saint, le nouvel académicien, Max Gallo, premier Immortel de l’ère Sarkozy.
En d’autres temps, l’Académie française réservait par faveur spéciale l’un de ses fauteuils à quelques militaires de haut rang, sortis vainqueurs de batailles honorables pour le pays. Foch, Pétain, Juin siégèrent ainsi parmi d’autres sous la Coupole avec des écrivains célèbres, sans avoir eux-mêmes jamais beaucoup travaillé du porte-plume. Aucun concurrent sérieux ne gâchait le cérémonial. Aussi, l’usage qualifiait-il d’« élection de Maréchal » ce protocole sans surprises. Avec ses quinze voix seulement contre cinq au malheureux Claude Imbert, si souple employeur de Frantz-Olivier Giesbert au Point, Max Gallo n’approche pas ces triomphes. Le sien ressemble plutôt à celui d’un sergent-chef, en fin de parcours du combattant. Sort bizarre. Ses succès en librairie ne se discutent pourtant pas. Entre romans, biographies, fresques historiques, nul n’aura noirci plus de pages en France au cours de ces vingt-cinq dernières années. Le succès de ses livres se soutient fermement, quoi qu’il imprime. Leur production emprunte même un rythme industriel comparable à celui des bouillons en sachets, des yaourts aux fruits en vente dans les grandes surfaces. La clientèle en redemande. Sans grandes améliorations pour la gastronomie, malheureusement. Et puis, les défauts de fabrication rendent parfois les fins de repas indigestes.
Intitulé L’Âme de la France, le dernier des ouvrages paru comporte même quelques morceaux franchement inassimilables. Page 311, par exemple, l’auteur évoque en quelques mots les dangers courus par la République pendant l’hiver 1792, quand elle prépare le procès de Louis XVI : « Mais la guerre est là. Les royalistes sont à Toulon, à Lyon, à Nantes,aux côtés des armées ennemies. » Les coalisés campent au Nord, à l’Est, nullement dans le Var, sur le Rhône ou en Bretagne.
La mauvaise construction de la phrase laisse imaginer qu’ils agissent dans chacune de ces trois régions avec les partisans de l’Ancien régime. Les Britanniques réussiront bien une occupation provisoire de Toulon. Neuf mois plus tard. Jamais ailleurs.
Avec la mort de Robespierre –page 315-, cette tendance à l’imprécision se transforme en tranchantes certitudes. « Cent sept de ses partisans sont exécutés. Jamais on n’avait exécuté autant en un jour. » Diable ! Comme celle de Louis XVI, Charlotte Corday, des Girondins, Marie-Antoinette, Danton, Camille Desmoulins, la montée de l’Incorruptible vers l’échafaud le 10 thermidor figure parmi les grands drames de la Révolution, saisie jusqu’au moindre détail par maints mémorialistes et d’excellents auteurs. Lamartine, Michelet ni Louis Blanc, pour ne prendre qu’eux, ne constatent jamais pareil massacre ce jour-là. Selon tous les textes connus, le nombre des condamnés n’excéda pas la huitaine : Robespierre en personne, son frère cadet Augustin, Saint-Just, Couthon, Hanriot, Payan, Fleuriot-Lescot, Joseph Lebas, qui encore ? En ces temps sans téléphones ni radio, la nouvelle n’arriva en province qu’après plusieurs jours de retard. Même à l’échelle nationale, impossible d’admettre la guillotinade de cent comparses en une seule journée à travers le territoire.
À défaut de vérifier ses sources, la nature même de l’opération devrait inspirer à Max quelques doutes sur son récit. Car enfin, les cous de cent sept condamnés ne se tranchent pas comme du saucisson à la rondelle. Chacun d’eux descend de la charrette, gravit à pas lents les marches jusqu’à la machine tandis qu’entre deux expéditions, le bourreau vérifie son fonctionnement. Puis ses aides détachent le cadavre, l’arrangent dans un cercueil, la tête entre les pieds. Additionnés, tous ces gestes prennent dans les huit minutes, avec parfois un délai supplémentaire pour souffler. Cent sept exécutions auraient demandé dans les dix heures de suite. Aucun récit d’alors n’évoque une tuerie aussi exceptionnelle. Auteur autrefois d’un Maximilien Robespierre quelque peu oublié, Gallo devrait le savoir.
Alors, comment s’explique pareille erreur dans l’une de ses spécialités ? Un autre mystère demeure. Comment un grand éditeur comme Fayard peut-il patronner de telles sornettes ?
Lorsqu’elle lance les fadaises d’un Péan sur Chirac, la maison obéit sans doute à un calcul uniquement, strictement, cyniquement commercial : nourrir de fric son compte en banque. En principe, L’Âme de la France mérite plus de soins. Théoriquement, aucun manuscrit ne s’imprime sans une ou deux relectures préalables par des collaborateurs sûrs. Des fautes involontaires se glissent parfois dans les textes d’auteurs confirmés. Chacun connaît cette règle du métier. Mais à vivre dans les coups tordus, les siens comme ceux des autre, Claude Durand, hardi PDG de Fayard, garde-t-il encore un peu de ce principe dans la tête ? Et s’il s’en soucie toujours un peu, qui donc autour de lui sait à quoi s’en tenir sur les 9 - 10 thermidor, dans l’inculture générale ?
Ce déclin du savoir consterne quelques académiciens, malgré leur cœur timide. Voici pas si longtemps, leurs prédécesseurs immédiats s’appelaient René Grousset, Jérôme Carcopino, André Maurois, Pierre Gaxotte, tous pétris de grec, de latin, parfois d’hébreu ancien, de syriaque, de français, d’anglais médiéval, intimes de l’Antiquité Méditerranéenne, du XVIIIème ou du XIXème siècle européen. Auprès de ces aînés, le septuagénaire Max Gallo ressemble à un tout jeune apprenti encore à dégrossir.
Pourtant, il ne manque pas de ressources. Adroit, ingénieux, subtil, intuitif, excellent orateur, sans pareil pour partager en apparence les émotions des autres, il manoeuvre tout à son aise dans l’univers fluctuant des idées. Non sans trop sacrifier parfois la réflexion au tambour. Ainsi joua-t-il des baguettes fort longtemps aux portes du Cirque Chevènement avant la fermeture. Maintenant, le voilà sarkozyste. Et même le premier académicien élu dès le début du règne à ce titre. Comme si le bondissant Nicolas reconnaissait d’instinct en lui un membre prédestiné de sa nouvelle boutique. Manque encore sur son front un chaste baiser de Cécilia. Il lui rappellera les aimables sourires de Nisa.
L’article est peut-être bien écrit mais votre argumentation contre M. Gallo concernant la Révolution française ne tient pas.
1) La chute de Toulon est dû à des royalistes (donc des ennemis de la République) et la prise de ce port (le plus grand port de guerre français en Méditerranée) pendant 4-5 mois par les Anglais renforçait encore leur présence en Méditerranée.
2) il y eut bien une centaine de robespierristes guillotinés en thermidor. Vous confondez les élus (Robespierre, Saint-Just, …) avec les militants.
Ces erreurs sont d’autant plus dommageables que M. Gallo est aisément attaquable (il a tendance à placer Jeanne d’Arc et Robespierre sur un même plan, par exemple), mais qu’ici il se sort vainqueur de votre duel rhétorique et moi frustré.
Décidément…
Pourquoi oublier, parmi la liste des historiens sérieux : Henri Guillemin, Albert Soboul, Albert Mathiez, Georges Lefebvre ?
Parce qu’ils sont de gauche ?
On a décidément les "héros" qu’on mérite, le nouvel héros immortel est à l’image de la société française actuelle qui se morfond dans une stupidité sans pareille, une vulgarité crasse qui relègue la véritable réflexion dans le cul de basse-fosse de l’histoire. Que la coupole ait abrité des réactionnaires patentés tels les Gaxotte, ou Carcopino précités se justifiaient comme précisé par l’excellente connaissance de leur sujet !! Ce Gallo est comparable aux Steevy, aux Gloucksman et autres Clavier, tous en choeur : paillettes, trompettes et intelligence en berne. C’est sûr, il est loin le temps des Guillemin, des Soboul, dans un autre registre de Lefebvre (Henri) cette fois, sans compter un Barthes dont l’intelligence flamboyante et la sensibilité d’une pudeur extrême font tellement défaut aujourd’hui ! Voilà des stylistes ! et non ce débiteur de phrases creuses au kilo qui inonde les rayonnages des "librairies" et surtout ceux de nos grandes surfaces, mais finalement, quoi de plus normal pour une littérature de supermarché ! La vulgarité, même en littérature est à la mode, portée par nos élites médiatico-fianciéro-politicardes…
En son temps, Henri Guillemain savait passionner ces lecteurs et son auditoire, sans concession aucune sur le plan de la rigueur intellectuelle. La nouvelle donne, c’est faire simple, jusqu’au simplisme, prendre la pose ; principes d’autant plus assumés qu’ils se justifient par l’explosion des ventes. On capitalise sur un nom et régulièrement celui-ci signe (l’écrit-il seulement ?… il serait à moitié pardonné, dans le cas contraire…) un best-seller.
Gallo sauveteur de la librairie française en somme est ici remercié pour ses bons et loyaux services ; l’édition française reconnaissante… Cadeux de Lagardère et consrt ; Gallo sauveteur de la littérature française même, au côté d’un Orsenna ou d’un Tilliniac. Décidément oui, on a les héros et les écrivains qu’on mérite ! Pauvre France !