L’académicien publie un recueil de 120 chroniques parues dans le Nouvel Observateur entre 1998 et 2003. Des critiques littéraires – comiques parfois, incisives toujours – qui égratignent la bêtise de notre temps.
Les journaux entendent nous faire croire qu’ils se disciplinent par des règles inventées d’une déontologie taillée à leur mesure, qui font, par exemple, que, lorsqu’un journaliste écrit une chronique sur le bouquin d’un voisin de bureau, il le signale en tout petit au bas de l’article. Je vous affirme donc qu’Angelo Rinaldi, dont je vais tenter de vous parler, est un voisin d’existence, une merveille humaine, un écrivain inouï. Un académicien qui milite aussi chez un facteur qui ne roule pas que les jours de fête, l’affranchi du Nouveau parti anticapitaliste. Prouvant par là que le Quai Conti n’est pas qu’incontinent.
Pour un journaliste, Rinaldi, réprouvé de presse pour refus de complaisance, doit constituer un exemple de liberté. Louis Nucéra, bon écrivain et peseur d’âmes, qui a connu ce Corse alors qu’il débarquait à Nice-Matin, a défini notre modèle : « Pour le moindre article, il s’employait à conserver à la chose écrite sa dignité. Tout est périssable ; va-t-on pour autant tout bâcler ? » C’est ça, Rinaldi, le dernier qui rame sur le radeau de la Méduse, le sans-espoir – comme on est sans-papiers – qui continue de se raser soigneusement chaque matin. Celui qui sait que nous allons dans le mur mais qu’il est important de cirer ses chaussures avant de mourir. Angelo, c’est la dignité de ceux qui ont appris à lire dans le calendrier des Postes la grandeur que peut atteindre la modestie.
Dans cinquante ans, des jeunes gens lisant ses livres sur des packs 4D écriront des thèses sur lui. Un éditeur le mettra en boîte au format giga-Pléiade, des critiques, exhumant croque-morts à son sujet, animeront des forums sur Litteraturo.com. Pour être en avance sur le temps, commencez par lire quelques-uns de ses 13 romans, ça vous fera du bien ; comme un spa. Et quels titres, l’Éducation de l’oubli, Les jours ne s’en vont pas longtemps, Dernières nouvelles de la nuit.
Avant cela, pour vous chauffer, faites vos gammes avec Dans un état critique, le recueil de ses 120 chroniques publiées dans le Nouvel Obs. Pour vous donner le ton, voici le titre de celle consacrée à Garcia Marquez : « Cent ans de platitude ». Ce qui fait du bien, c’est qu’après avoir lu Angelo, lorsqu’il se glisse dans son habit de critique, on se sent moins seul. Seul à se poser cette question : comment font les autres pour aduler des bêtises ? Celles de Houellebecq ou de BHL, en passant par d’autres signées Marc Levy ou Alain Robbe-Grillet… À propos du mari d’Arielle Dombasle, notons ce mot de l’académicien, frappé d’un éternel copyright : « BHL ? Le plus beau décolleté de Paris ! »
Comme il est difficile de faire mieux, je vous recopie, comme des PV, des passages consacrés à Christine Ockrent, puisque la « reine » a poussé la femme de lettres jusqu’au néant en publiant une biographie de Françoise Giroud : « On se souvient que Christine Ockrent eut une heure de gloire naguère pour avoir pénétré, micro au poing, dans la cellule d’un condamné à mort. Ne semble-t-elle pas récidiver aujourd’hui, par une sorte de cambriolage dans la chambre d’une défunte, alors que les draps sont encore tièdes ? En marchande avisée, elle met en vente une biographie de Françoise Giroud quelques semaines après la disparition de son modèle, les doigts devenus serres déjà plongés dans le tiroir-caisse… Entreprendre une réfutation serait aisé, mais elle nous maintiendrait dans le marécage où l’auteur s’enfonce. Quand on voit les choses d’un peu plus haut, on localise mieux la source du mal et de l’échec. Elle jaillit, à gros bouillons, de l’incapacité, chez une bourgeoise, de comprendre que, dans une ascension sociale, ce n’est pas la même chose de partir du dernier échelon que de s’élever quand il n’en reste qu’un seul à franchir… La réussite du pauvre qui a, par exception, échappé au maillage de l’ordre éternel déconcertera toujours les nantis, et toujours ils préfèrent se l’expliquer par le recours aux trucs, aux artifices. » Tout est dit. Amen.