Au moment où les Tunisiens s’apprêtent à célébrer sans conviction la fête nationale du 7 novembre, chronique d’une semaine de villégiature dans un pays où l’on peut parler de tout, mais pas avec tout le monde.
« Marhababikoum, bienvenue en Tunisie ! », nous lancent les employées de l’hôtel en guise d’accueil. Le bus du tour opérateur vient de nous déposer dans le hall immense du club. Des nuées de touristes nous succèdent.
Une fois sur la plage, je discute avec Malek [1] , qui vivote grâce aux vacanciers à qui il fait faire des tours de chameau. Ce jour là, c’est le premier tour des élections présidentielles. « Voter ? », ce mot semble étranger à son vocabulaire. D’ailleurs, aucune agitation ne laisse présager qu’il s’agit d’une grande journée. Seuls quelques panneaux affichent les portraits du Président actuel, Ben Ali, et de ses « concurrents », comme ils disent ici.
« Ah, les élections », lâche avec nonchalance Malek. A 30 ans, il reconnaît n’avoir jamais voté et n’être pas près de le faire. La résignation emboîte le pas à l’indifférence. « A quoi ça sert d’aller voter alors qu’on sait qu’il [Ben Ali NDLR] sera réélu ? » répondent quelques fois ceux qui acceptent de parler politique.
Ma curiosité interpelle mes interlocuteurs, qui craignent d’être écoutés, épiés par un indic’ et se méfient de moi : « vous êtes journaliste ? ». Un touriste ordinaire ne pourrait donc pas s’intéresser à la politique du pays qu’il visite ? Il y a des airs de monarchie chérifienne dans cette Tunisie, où l’on peut parler de tout, sauf du roi. Pardon, du Président.
C’est donc sans surprise que dimanche soir 25 octobre, j’apprends la réélection de Ben Ali, pour la cinquième fois. Ses scores paraissent tout de même en légère baisse : autour de 90% des voix.
Au fond, cette mascarade dérange-t-elle les Tunisiens ? « On ne manque de rien ici » m’assure Reda , un chauffeur de taxi né en France qui a décidé de revenir couler des jours paisibles à Djerba. Ce n’est peut-être pas trop mal, peut-on légitimement penser, d’avoir un travail (même si le taux de chômage avoisine les 15%), de quoi nourrir sa famille, d’accéder à une bonne éducation, de profiter d’un système de santé pas trop inégal et ne pas être quotidiennement sous la menace terroriste ?
Au souk, je rencontre Chadeed, un commerçant dont je médite encore les propos : « les mosquées sont pleines, les cafés sont remplis, il y en a pour tout le monde et chacun fait ce qu’il veut. C’est ça la démocratie ! ». Ce serait sans compter les journalistes, les militants des droits de l’homme et les opposants qui essuient les intimidations, agressions ou même les tortures d’un régime qui a annihilé tout esprit de contestation. Pour preuve, quelques jours avant mon arrivée, une journaliste française du Monde était expulsée avant même d’avoir pu sortir de l’aéroport de Tunis. D’ailleurs, je n’ai jamais trouvé le quotidien sur l’île pendant mes vacances.
Les rues animées en ce jour de marché se parent déjà de banderoles et de drapeaux à l’effigie de Ben Ali. Elles se préparent à fêter, dimanche 7 novembre, l’anniversaire de l’accession au pouvoir du Président Ben Ali. C’était le 7 novembre 1987, et depuis 22 ans, cette date est érigée en fête nationale. Imaginez des défilés sur les Champs-Elysées le 6 mai de chaque année ?
Perplexe, je regagne mon hôtel en voyant défiler sur la route les immenses complexes. Marmara, conçu sur le modèle du Club Med, peut atteindre jusqu’à 3.500 touristes en haute saison. Plus loin, un luxueux hôtel spécialisé dans la clientèle du Golf propose des nuits à 4.000 euros avec piscine privée, Mercedes et chauffeur. Toufik, un autre chauffeur de taxi, se plaît à me raconter qu’un prince du désert est venu y pavoiser au bras d’exotiques suédoises et de thaïlandaises.
Je ne cesse de m’étonner, devant les buffets pantagruéliques, des orgies dont nous sommes capables. Les Tunisiens qui travaillent douze heures par jour à débarrasser nos tables doivent se demander si nous mourrons de faim, sur l’autre rive de la Méditerranée.
Dans ce « club » (comme c’est écrit sur la brochure en français, allemand, anglais et italien), le touriste roi ne s’ennuie jamais : séances de step et cours de danses pour les gazelles, thalasso remise en forme, pendant que les petits sont au mini club et que les sportifs du dimanche s’adonnent au tir à l’arc ou à la pétanque. Sans oublier le spectacle nocturne quotidien et la boîte de nuit de l’hôtel. Toutes ces activités sont possibles grâce aux animateurs comme Abdel qui, depuis un an, travaille six jours sur sept, de 9h à minuit passé. Le tout pour un salaire mensuel de 350 Dinars, un peu plus de 180 euros, certes supérieur au smic fixé à 250 Dinars par mois.
C’est à ce prix que nous partons en all inclusive, à 600 euros la semaine, suis-je obligée d’admettre. Je pars expérimenter le spa de l’hôtel voisin où je fais la rencontre de Souad, une masseuse d’à peine 20 ans. Espiègle, elle me parle de son travail ininterrompu depuis deux semaines, en raison de l’affluence touristique, de sa sœur employée dans un autre hôtel et de sa famille avec laquelle elle vit.
Nous chuchotons car son supérieur fait des allers retours devant la cabine de massage pour épier nos conversations. Ces manières policières sont un sport national ici ?! La jeune fille voit passer entre ses mains des dizaines de clients tous les jours, de 9h à 19h30, qui payent 30 euros pour 1h30 de soins. Pour sa part, Souad gagne 12 dinars par jour (6 euros), desquels elle déduit le transport et son déjeuner. C’est à ce prix encore une fois que nous profitons des spa.
Je fais connaissance avec un couple de Français qui vient pour la huitième année dans cet hôtel d’où ils ne sortent presque pas. Quelle est cette étrange forme de tourisme aveugle à un pays, hermétique à une culture, indifférente à ses habitants ?
Mon séjour all inclusive dans un pays répressif a suscité pas mal de questions. Serais-je en train de cautionner une dictature déguisée ? Ais-je envie de profiter des bas salaires de Souad, Abdel ou Malek ou suis-je prête à payer plus ? Faut-il boycotter ce système ? Pas simple d’y répondre car ce type de séjour permet aux classes moyennes européennes de s’offrir de belles vacances bon marché. Finalement, Souad et les autres gagnent certainement mieux leur vie dans le tourisme que dans un autre secteur.
Une chose est sûre, mes vacances profitent à mon voyagiste. Géant du tourisme, il génère un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros chaque année et ne se semble pas se poser pas tant de questions.
Lire ou relire sur Bakchich.info :
[1] Les prénoms ont été modifiés
Cet été, en Tunisie, un ami m’a dit que le régime de Ben Ali tiendra bon sans craindre le peuple tunisien !
POURQUOI ?
PARCE QU’IL LUI A FACILITE TOUTES LES OCCUPATIONS SOCIALES AUTRE QUE LA POLITIQUE.
LA RELIGION ESSENTIELLEMENT
LE SPORT SURTOUT LE FOOT
LES ASSOCIATIONS
LES CAFES et RESTAURANTS
LES LOISIRS
LES MARCHANDISES
LES CREDITS
Que veut le peuple !
Ce peuple n’est pas considéré comme majeur !
Ce régime est du siècle dernier !
Pas question de retourner en Tunisie du vivant de Ben Ali. Si je veux revoir la Tunisie, je regarde "Halfaouine, l’enfant des terrasses"
http://video.google.com/videoplay ?docid=2043118374567056624#
Je ne crois pas que ce serait encore possible aujourd’hui de faire ce film à Tunis