A J-14 de la présidentielle américaine, Barack Obama est archi-favori dans les sondages. L’on parle même d’un possible raz-de-marée démocrate au Sénat.
A deux semaines à peine de l’élection présidentielle américaine, John McCain continue sur sa ligne idéologique de conservateur pur et dur qui, selon les sondages des chaînes de télévision, lui a fait perdre le troisième face-à-face télévisé avec Barack Obama, le 15 octobre dernier. Et poussé le républicain Colin Powell a soutenir le démocrate. Dans ses meetings, le candidat républicain et sa colistière Sarah Palin traitent maintenant le plan de relance économique d’Obama de « socialiste ». McCain a employé ce qualificatif le 18 octobre, estimant qu’« au moins en Europe les leaders socialistes qui admirent tant mon concurrent sont francs et directs sur leurs objectifs ». Le ticket républicain accuse Obama de cacher son « socialisme » et de vouloir « redistribuer les richesses » par l’intermédiaire de son plan qui prévoit de taxer les multinationales, les sociétés pétrolières et les milliardaires.
Avec la crise actuelle, l’idée de répartir un peu mieux les richesses n’est probablement pas pour déplaire à une majorité d’électeurs. Et les attaques de John McCain et de Sarah Palin contre le prétendu « socialisme » d’Obama sont contredites par les faits : son programme économique est classiquement centriste. Le démocrate a pleinement soutenu le plan Paulson pour le sauvetage de Wall Street, une escroquerie qui taxe les contribuables, y compris les plus défavorisés, pour renflouer les spéculateurs boursiers et bancaires. L’Amérique a toujours eu un système d’impôts progressifs où les plus riches paient davantage que les foyers modestes et le plan d’Obama ne vise qu’à revenir aux taux d’imposition d’avant les baisses massives des taxes sur les riches et les multinationales décidées par George W. Bush. De plus, l’idée d’Obama pour stimuler l’économie d’octroyer une baisse d’impôts de 1 000 dollars par Américain moyen ne gagnant que 50 000 dollars par an est loin d’être radicale. Les présidents John F. Kennedy et Lyndon Johnson, qui n’avaient rien de gauchiste, ont eu des idées similaires. Ainsi, dépeindre Obama comme un « socialiste » n’est franchement pas crédible.
Parmi les républicains, il n’y a pas que McCain et Palin qui tentent de faire passer leur rival démocrate pour un dangereux gauchiste. Dans onze États clés, les troupes de McCain ont lancé des millions de « robocalls » (coups de téléphone automatiques) qui retentent de lier Obama à William Ayers, un leader du violent groupuscule d’extrême gauche Weather Underground, actif dans les années 60 et 70. Une ligne d’attaque que McCain a lui-même suivi sans succès lors du dernier débat télévisé avec Obama. Le lien entre le candidat démocrate et Ayers, aujourd’hui respectable professeur d’éducation et conseiller du maire de Chicago (un démocrate de droite), est en fait très mince et se limite essentiellement à la réforme de l’éducation. Mais si vous êtes un électeur de l’un de ces États et décrochez votre téléphone pour entendre une voix masculine et glauque vous débiter que « Barack Obama s’associe avec des terroristes domestiques comme Bill Ayers, dont les bombes ont tué des Américains… Le programme gauchiste est sur le point d’être promulgué à Washington » si Obama est élu, cela peut avoir un impact.
A la télévision et dans les quotidiens, on a beaucoup parlé de ces « robocalls » et, par leur biais, de l’aspect négatif de la campagne de McCain qu’une majorité d’électeurs (à commencer par les indépendants et les femmes) trouve déplacé, selon les sondages. Aux yeux d’un électorat stressé par la crise financière, seule la question de l’économie est pertinente. Disserter sur le cas Ayers semble superflu et reflète une campagne républicaine autant désespérée qu’en perte de vitesse.
Sur la carte du Collège électoral, l’avantage d’Obama est de plus en plus important. Selon un sondage pour CNN et le magazine Time publié le 15 octobre, Obama possède 10 points de plus que McCain en Virginie (un Etat du sud qu’aucun candidat présidentiel démocrate n’a gagné depuis le sudiste Lyndon Johnson en 1964), tandis qu’un sondage réalisé pour une université de Virginie, publié le lendemain, donne à Obama une marge de 6 points sur son rival.
Aucun républicain n’a été élu président sans gagner l’état de l’Ohio (20 voix au Collège) mais le plus récent sondage de l’institut Marist, plutôt fiable, accorde à Obama en avance de 4 points. La moyenne des 10 sondages effectués dans l’Ohio par différents instituts depuis le début octobre donne une marge d’avance moyenne de 3,2 points au démocrate. Dans le sondage également fiable du Los Angeles Times-Bloomberg News, rendu public le 17 octobre, la crise économique ne semble pas avoir exacerbé le racisme larvé des électeurs. En effet, chez les électeurs blancs, Obama n’est en retard que de treize points. Soit le même score obtenu par le démocrate John Kerry lors de l’élection de 2004 contre George W. Bush. Si le 4 novembre Obama enregistre les même résultats parmi les blancs que Kerry il y a quatre ans, il remportera l’élection confortablement tant le vote des noirs et des latinos sera décisif lors du scrutin du 4 novembre. Dans les derniers sondages nationaux, Obama gagne 95 % du vote black et jouit d’une marge d’avance de 40 % sur McCain chez les électeurs latinos.
On recense trois estimations de cartes électorales dans les médias américains. Sur celle du site Real Clear Politics, construite exclusivement sur les sondages, Obama dispose de 286 voix au Collège électoral (il en faut 270 pour devenir président) contre 155 pour McCain. Pour CNN, qui ajoute les dépenses financières des deux candidats aux sondages, Obama en est à 277 voix contre 174 pour McCain.
Mais la carte la plus fiable car la plus sophistiquée est celle de la chaîne NBC dont le directeur politique, l’admirable Chuck Todd, un as des calculs électoraux, distingue les sondages fiables de ceux qui le sont moins. Le tout en ajoutant aux dépenses pour les spots publicitaires à la télévision les reportages sur le terrain par les médias. Sur la carte NBC, Obama en est à 264 voix contre 163 pour McCain avec 8 États toujours classés « indécis. »
Selon NBC, pour qu’Obama gagne, il lui suffit de n’emporter qu’un seul État « indécis » parmi les États considérés comme clés. Dans le Colorado qui pèse neuf voix au Collège électoral, les cinq sondages qui y ont été réalisés depuis le 6 octobre donnent tous Obama gagnant avec une marge d’avance moyenne de 6 points. C’est également le cas en Virginie (13 voix au Collège) où le démocrate est en tête. Ou encore en Floride (27 voix) où la marge d’avance moyenne d’Obama est de 3,2 points selon les cinq sondages qui y ont été réalisés depuis le 11 octobre. Même topo pour la Caroline du Nord (15 voix). Le combat y est certes très serré mais Obama progresse chaque jour et enregistre maintenant une marge moyenne de 1,2 point d’avance. Dans l’État du Missouri (11 voix), Obama devance McCain dans les 4 derniers sondages effectués depuis le 6 octobre d’une moyenne de 2,5 points. Le démocrate y a, en outre, rassemblé une foule gigantesque et enthousiaste de plus de 100 000 personnes dans la ville de St. Louis le 18 octobre. Du jamais vu dans l’histoire politique de cet État de l’Amérique profonde ! Par contre, si Mc Cain veut entrer à la Maison-Blanche, il doit l’emporter dans chacun des huit États précédemment cités… Autant dire que le républicain n’a presque aucune chance d’inverser la tendance au vu du peu de temps de campagne qu’il reste.
Et pourtant… Il faut reconnaître que la campagne d’Obama n’a guère été hardie. C’est en réalité la crise financière et économique qui en est la vraie force motrice et explique son avance dans les sondages. Ceux effectués au niveau national montrent en effet qu’à peine 8 % des électeurs estiment que le pays est « sur la bonne voie » et les indices de confiance des consommateurs sont à leur plus bas niveau depuis la Grande Dépression des années 30. Barack Obama jouit de plus d’un énorme avantage comparé à McCain : son trésor de guerre. Depuis le début de sa campagne, il a collecté 605 millions de dollars dont 160 millions pour le seul mois de septembre. Du coup, Obama dépense 4,5 millions de dollars par jour pour sa campagne, soit trois fois plus que McCain. Résultat, le sénateur de l’Illinois peut s’offrir des spots publicitaires à la télévision dans des États traditionnellement républicains comme l’Indiana et la Virginie de l’Ouest. Et ainsi espérer y rafler une victoire inattendue.
L’Obamania est si profonde et généralisée (et les républicains tellement montrés du doigt pour la crise économique) qu’il devient envisageable que le parti démocrate emporte le contrôle absolu du Sénat. Pour ce faire, il faudrait que l’actuelle courte majorité démocrate de 51 sièges (sur 100, dont seulement un tiers sont renouvelés cette année) passe à 60 sièges. Pourquoi ? Parce que c’est le nombre de voix nécessaires pour mettre fin au « filibuster ». Il s’agit là d’un procédé unique au Sénat américain via lequel un seul sénateur ou une petite poignée d’entre eux peut prolonger à l’infini un débat sur un projet de loi et ainsi le bloquer. Les « filibusters » ont notamment été rendus célèbres par le film de Frank Capra « Mr. Smith Goes To Washington » (« Mr. Smith au Sénat » en VF).
Selon les savants calculs des stratèges du National Committee for an Effective Congress (NCEC), une association proche du parti démocrate qui offre une aide technique aux candidats au Sénat et à la Chambre des Représentants, 6 sénateurs républicains sortants devraient être battus. Il s’agit de Ted Stevens d’Alaska (actuellement en procès pour corruption et abus de pouvoir), de John Sununu du New Hampshire, d’Elizabeth Dole de la Caroline du Nord, de Gordon Smith de l’Oregon, de Norm Coleman du Minnesota et de Gordon Allot du Colorado. De plus, toujours selon le NCEC, les démocrates emporteront facilement les sièges libérés par deux républicains partis à la retraite dans le Nouveau-Mexique et en Virginie, ce qui leur ajouterait huit sièges. Grâce à un vote noir record dans des états sudistes, les démocrates espèrent aussi enlever un des trois sièges disputés cette année dans le Kentucky, la Géorgie et le Mississippi — des États traditionnellement républicains — et ainsi décrocher le Saint-Graal du 60ème siège. Quant à la Chambre des Représentants, où le résultat n’est pas prédéterminé par le découpage électoral que dans 50 circonscriptions, les démocrates augmenteront leur majorité actuelle à 235 sièges (contre 199 pour les républicains) par un minimum de 18 nouveaux sièges selon le NCEC, avec la possibilité même d’en gagner jusqu’à 24.
S’il s’avère que ces calculs sont exacts, un Obama président pourrait engendrer une majorité démocrate au Congrès assez large pour faire voter ce qu’il veut. Mais qu’en ferait-il ? Obama termine sa campagne comme il l’a menée : dans la prudence. Le centrisme est inscrit à son ADN comme dans celui de ses conseillers. Même avec la crise économique, il ne faut pas attendre de Barack Obama une présidence audacieuse.
Lire ou relire dans Bakchich :
A moins d’un nouveau pataquès électoral comparable à celui de 2000 en Floride, nous saurons au matin du 5 novembre prochain si le concept d’homme post-racial a solidement pris ancrage aux Etats-Unis.
En cas d’élection de Barack Obama, il est (…)
Tout ça est trop idylique ….
N’oublions pas :
l’effet Bradley-Wilder,
les machines à voter,
….
Et puis, il y a les trucs qui ne peuvent pas arriver et qui arrivent … genre grands électeurs qui retournent leur veste (Cf "Le bibliothécaire" de Larry Beinhart)