Obama prend le large

Le staff du candidat démocrate l’a baptisé « No Drama Obama » pour souligner son côté imperturbable et stoïque. C’est cette part de lui qu’a montré le sénateur métis lors de son deuxième face-à-face télévisé contre John McCain le soir du 7 Octobre depuis Nashville, dans le Tennessee. Tactiquement c’était le bon choix contre McCain, qui avait promis d’« ôter mes gants » et de livrer des coups durs à son rival.

Les jours qui ont précédé, la campagne de McCain avait pris une tournure promettant une soirée mouvementée. Un des conseillers de McCain, Greg Strimple, avait promis, dans une déclaration au Washington Post du 4 Octobre, « 30 jours très agressifs » avant l’élection du 4 Novembre où « nous entendons tourner la page sur la crise financière pour expliquer pourquoi Obama est trop à gauche et trop risqué pour les américains. »

Le même jour, la colistière de McCain, Sarah Palin, l’ancienne « Miss Congeniality » devenue gouverneur d’Alaska, déclarait dans les coins les plus conservateurs de Floride qu’Obama était coupable de « palling around » (copinage) avec les « terroristes ». Un discours que la très prudente Associated Press ira jusqu’à qualifier de « teinté de sous-entendu raciaux ». Palin a cité William Ayers, ancien militant d’extrême gauche dans le groupuscule Weather Underground, coupable d’avoir posé des bombes dans les toilettes du Pentagone (sans faire de victime) pour protester contre la guerre du Vietnam. A cette époque, l’enfant Obama n’avait que 8 ans… Et Palin d’ajouter qu’une mince filiation avec Ayers il y a des lustres (ils furent tous deux membres du comité directeur d’une association caritative) « disqualifie quelqu’un de devenir commander in chief ».

Le retour de la « Southern Stratégie »

McCain, lui-même, poursuivait dès le lendemain, répétant à maintes reprises lors de ses meetings : « Qui est le vrai Barack Obama ? » Le but étant de faire oublier la crise financière pour recentrer l’attention des électeurs sur la caricature d’un grand homme black, menaçant, aux fréquentations trop gauchistes, trop cosmopolites et exotiques, qui « ne pense pas comme nous » et qui « ne vois pas l’Amérique comme nous l’entendons », dixit Palin. Pour en rajouter un peu sur la thématique de la peur, le staff de la campagne de McCain s’est arrangé pour que, lors de ses meetings, Sarah Palin soit présentée à la foule en délire par un chef de police en uniforme dénonçant à deux reprises « Barack HUSSEIN Obama », en insistant sur le deuxième prénom. Les intégristes chrétiens et conservateurs nationalistes conviés au meeting de Palin n’ont eu aucune difficulté à capter ce langage xénophobe à peine codé. Plusieurs des supporters du ticket républicain ont lancé « trahison ! » et même « Tuez-le ! »

Toutefois, McCain sait fort bien que les électeurs indépendants, dont il a tant besoin s’il veut garder une chance de victoire, n’aiment pas trop les attaques personnelles. Et lors de son 2è face à face avec Obama, il s’est refusé à évoquer les bassesses écrites pour Palin, se limitant à qualifier son adversaire de « dangereux » qui « ne comprend pas ». Seul le langage de son corps, et ses grimaces constantes trahissaient la colère d’un homme qui sait qu’il est en train de perdre. Même son sourire avait quelque chose de patibulaire. Et son mépris total pour son rival est apparu quand, oubliant la courtoisie sénatoriale entre collègues, il fit allusion à Obama en l’appelant « THAT one » (celui-là).

Barack Obama

© Mor

Voilà les raisons de l’éditorial très sévère avec McCain, paru le lendemain dans le New York Times : « 90 minutes de cordialité forcée n’ont pas gommé la laideur lugubre de sa campagne ces derniers jours » ajoutant que McCain et Palin ont été « bien au delà des citations truquées et déformées de leur rival pour atterrir dans le domaine sinistre d’incitation à la discrimination raciale et à la xénophobie. » Il est maintenant clair, même pour les plus sceptiques, que McCain relance la bonne vieille « Southern Stratégie » républicaine qui avait permis à Richard Nixon de gagner la présidence en jouant sur la peur raciale des électeurs.

Obama vainqueur par K.O

Selon les sondages réalisés immédiatement après le face à face, le verdict était sans appel. Pour les téléspectateurs de CNN, Obama arrivait largement en tête avec 54% d’avis favorable contre 30% pour McCain. Qui s’est « exprimé avec le plus de clarté ? » Obama à 60% contre 30% pour son rival. Qui a livré « le plus d’attaques ? » 63% ont répondu McCain, tandis que seul 17% des sondés donnaient le nom du démocrate. « Qui est le plus likeable ? (sympathique) » Une nouvelle fois, avantage Obama à 65% contre 28%. Au sujet de la crise financière qui est en ce moment dans tous les esprits, à la question « qui sera le meilleur pour diriger l’économie ? » Les sondés, une fois de plus plébiscitaient Obama à 59% contre 37% pour son rival. Enfin, qui préfère-t-on pour « gérer la crise financière ? » Obama, encore et toujours par 57% contre 36% pour son rival.

Même son de cloche pour la chaîne CBS. Un sondage des électeurs qui se disent « indécis » donnait Obama gagnant de la soirée avec 39% d’avis favorable contre 24% pour McCain, 35% d’entre eux donnant match nul. Pour les électeurs « indépendants », c’est-à-dire ceux qui ne sont inscrits dans aucun des deux grands partis, et qui décideront de l’issue de l’élection, Obama est aussi le gagnant du débat avec 54% contre un piètre 24% pour McCain.

Un film en noir et blanc

Quelques jours avant le débat, un stratège important de la campagne de McCain déclarait au New York Times que, « Si la question dominante de l’élection est toujours l’économie le 4 Novembre, nous nous perdrons. » Reste une seule occasion pour le candidat républicain de réorienter la conversation nationale ailleurs : l’ultime débat le 15 octobre, à Hempstead, Long Island, une banlieue aisée de New York City. Mais, sur le plateau de CNN après le débat du 7 octobre, un seul homme affirma tout haut ce que tout le monde pensent tout bas. David Gergen, conseiller en communication pour 4 présidents (3 républicains et 1 démocrate : Nixon, Ford, Reagan, et Clinton) affirmait : « Il est trop tôt pour déclarer la victoire pour Obama parce qu’il est black ».

En effet, dans un sondage pour l’hebdomadaire Time publié le 9 Octobre 44% des électeurs disent connaitre quelqu’un qui ne votera pas pour Obama à cause de sa race, tandis que selon un sondage sur les divisions raciales réalisé par l’université de Stanford pour Associated Press et Yahoo et publié le 20 Septembre, un tiers des démocrates avouent avoir un point de vue négatif sur les Noirs. Et 40% des Blancs avouent avoir des opinions négatives sur les Blacks, qu’ils jugent soit « paresseux », «  violents », « irresponsables », « pleurnicheurs » ou « vantards ». Selon ce même sondage, Obama pourrait perdre au minimum 6 points à cause de la couleur de sa peau. Et la moyenne de tous les sondages nationaux de ces derniers jours ne donne à Obama qu’une marge d’avance de 5,1 %. Si l’avance d’Obama dans les sondages se maintient à ce niveau jusqu’au 4 novembre et qu’il perd l’élection, il sera difficile de ne pas y voir un rejet racial. Et à la crise économique, il faudra ajouter une grave crise d’identité de la démocratie américaine.

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