Obama n’est même pas encore entré à la Maison Blanche que sa présidence est déjà entachée par un scandale politique. Le gouverneur de l’Illinois a voulu vendre le siège de sénateur du président élu.
Le 9 décembre dernier, des agents du FBI ont effectué une descente dans la maison du gouverneur démocrate de l’Etat de l’Illinois, Rod Blagojevich. Ils l’ont arrêté, menotté et incarcéré pour corruption active. Cette arrestation a immédiatement déclenché une tempête médiatique qui a éclaboussé Barack Obama, plusieurs de ses conseillers les plus proches, des donateurs de fonds de sa campagne ainsi qu’un membre du Congrès bien en vue. Le chef de cabinet de Rod Blagojevich a également été arrêté le même jour. Et, depuis, « l’affaire Blagojevich » ne cesse de grossir et de prendre le pas sur toute autre actualité politique dans les médias.
Le gouverneur de l’Illinois est accusé d’avoir essayé de vendre le siège de Barack Obama au Sénat après la démission du président élu qui occupait le poste. Comme dans la plupart des autres Etats américains, la loi de l’Illinois prévoit que si un sénateur décède ou démissionne en cours de mandat, il revient alors au gouverneur de nommer un remplaçant intérimaire jusqu’aux prochaines élections législatives qui, dans le cas présent, auront lieu en 2010.
Le gouverneur Blagojevich jouissait déjà d’une très mauvaise réputation. On savait depuis bientôt un an qu’il faisait l’objet d’une enquête pour corruption par le procureur fédéral régional, Patrick Fitzgerald. Mais après l’arrestation de Blagojevich, Fitzgerald a dévoilé que Blagojevich avait été mis sous écoutes téléphoniques depuis au moins le mois d’octobre. Et, qu’en plus, on avait placé des micros dans son bureau !
Ce qui a le plus scandalisé et révolté le grand public reste le parler cru – pour ne pas dire obscène – de Blagojevich dans une partie des conversations du gouverneur dévoilée par le procureur. Les enregistrements révèlent que Blagojevich a perçu son devoir de nommer un remplaçant à Obama comme une opportunité pour se « faire de l’argent ». Il a dit que ce siège avait « une foutue valeur » et que « je ne le donnerais pas pour rien », c’est-à-dire sans contreparties en argent et en faveurs. Les révélations au sujet des dires de Blagojevich dans une plainte de 76 pages déposée par le procureur à son encontre sont passées en boucle à la télévision. Les retranscriptions de ses conversations foisonnent de jurons et autres noms d’oiseaux. Blagojevich a même traité le nouveau président de « motherfucker » !
Interrogé par la presse dès le lendemain de l’arrestation de Blagojevich, pour qui Obama a fait campagne en 2002 et 2006, le président élu s’est laconiquement borné à déclarer qu’il était « attristé » par les révélations et que tout autre commentaire ne serait « pas approprié ». Vivement critiqué dans les médias pour la tiédeur de sa réponse, trois jours plus tard, un Obama en colère a donné une conférence de presse. Il y a dénoncé Blagojevich et réclamé sa démission, ajoutant qu’il avait demandé à son staff d’enquêter sur tout contact entre eux et Blagojevich. Mais aussi que les détails de ces contacts seraient révélés « d’ici quelques jours ».
Cinq jours plus tard, rien n’avait filtré du côté d’Obama et le futur président a annoncé dans une autre conférence de presse qu’il dirait tout des contacts entre son équipe et Blagojevich le 22 décembre… C’est-à-dire au moment où il sera en vacances à Hawaï et l’Amérique bien trop occupée à préparer Noël pour accorder de l’attention à l’actualité politique. Obama a prétexté que le procureur lui avait demandé de ne rien révéler dans cette affaire. Peu convainquant… Michael Issikof, le grand journaliste d’investigation de l’hebdomadaire Newsweek, qui connaît bien les moeurs des procureurs, trouve l’excuse d’Obama « bizarre ». Et les promesses du prochain président faites pendant sa campagne au sujet de sa « transparence » totale une fois qu’il sera élu semblent bel et bien remisées au passé.
Le suspens reste donc entier sur qui, au sein du staff d’Obama, a été en contact avec Rod Blagojevich. On sait toutefois que le président élu voulait que Valérie Jarret le remplace au Sénat. Cette vieille amie d’Obama a co-dirigé les finances de sa campagne présidentielle et a été la patronne de Michelle Obama dans son ancien cabinet d’avocats. Or, du jour au lendemain, Jarret a déclaré qu’elle ne voulait plus du siège d’Obama au Sénat et, le 16 novembre, a été nommée conseillère du président élu à la Maison-Blanche. Etait-ce à cause des demandes de contreparties farfelues de Blagojevich ? Et si Barack Obama savait que Blagojevich était corrompu, en a-t-il informé le procureur ?
Après l’arrestation du gouverneur de l’Illinois, Obama a nié avoir eu le moindre contact avec lui depuis son élection. Or, les chaînes de télévision ont exhumé une interview télévisée de David Axelrod, le stratège politique de la campagne d’Obama qui vient d’être nommé comme son conseiller politique à la Maison Blanche. Axelrod y affirmait qu’Obama « a parlé avec le gouverneur » à propos de son remplaçant au Sénat. Axelrod a depuis renié ses propos… mais où est la vérité ?
Rahm Emmanuel, dit « Rahmbo », le futur secrétaire général de la Maison Blanche, a succédé au siège de Blagojevich dans une circonscription de Chicago après que Blagojevich a été élu gouverneur en 2002. Les deux hommes se connaissent donc bien. Dans une interview avec le prestigieux hebdomadaire The New Yorker, « Rahmbo » a même déclaré qu’Axelrod et Barack Obama « avaient été les chef stratèges de la première campagne de Blagojevich pour le poste de gouverneur en 2002 ». Or, la presse a révélé que le procureur possède des enregistrements de conversations entre « Rahmbo » et Blagojevich au moment où ce dernier tentait d’obtenir une contrepartie pour le siège d’Obama au Sénat. Que se sont-ils alors dit ?
La question centrale du Watergate – l’affaire qui a mis fin à la présidence de Richard Nixon – était « What did the president know and when did he know it ? » (Qu’en savait le président et quand l’a-t-il su ?). Cette question devenue célèbre dans l’histoire politique de l’Amérique revient avec insistance ces jours-ci au sujet d’Obama, de son équipe et de l’affaire Blagojevich.
Un autre politicien de taille est sérieusement éclaboussé par cette affaire : le démocrate Jesse Jackson Junior de Chicago, membre du Congrès depuis treize ans et l’un des co-présidents de la campagne présidentielle d’Obama. Le fils du leader historique noir Jesse Jackson pensait que le siège d’Obama « lui revenait de droit », comme l’a rapporté le chef du service politique de l’hebdomadaire Newsweek, l’excellent Howard Fineman. Et ce, d’après les conversations que le journaliste a eues avec Junior qui, depuis l’élection d’Obama, n’a eu de cesse de faire campagne publiquement et agressivement pour obtenir ce siège au Sénat.
Dans les enregistrements que possède le procureur, on entend Blagojevich raconter comment il a reçu un émissaire de Jesse Jackson Junior qui a « proposé un deal pay-to-play » (payer pour jouer). Selon Blagojevich, l’émissaire a offert 500 000 dollars en liquide au gouverneur (pour qu’il les mette dans sa poche) et un million de dollars supplémentaire en contributions à la campagne de réélection de Blagojevich en 2010. Bien évidemment pour que Junior hérite du siège de sénateur d’Obama.
Jackson Junior, dans une conférence de presse la semaine dernière, a formellement nié avoir proposé quoi que ce soit au gouverneur en contrepartie de ce siège. Il a également nié avoir envoyé un émissaire pour conclure un quelconque accord. Mais Jackson Junior a refusé de répondre aux questions des journalistes sur « les conseils de son avocat ».
Puis, le 12 décembre, le quotidien Chicago Tribune a révélé qu’un groupe de riches hommes d’affaires de Chicago originaires d’Inde et très proches de Jesse Jr. avaient bel et bien commencé à collecter un million de dollars pour Blagojevich… Le propre frère de Jesse Junior a même été photographié lors d’un déjeuner de collecte de fonds pour Blagojevich aux côtés des Indiens !
Selon le Wall Street Journal du 15 décembre, les enregistrements du procureur montrent que Blagojevich a arrangé une rencontre entre son propre frère et l’émissaire de Jackson Junior. Mais le Chicago Tribune avait révélé en exclusivité le 5 décembre que Blagojevich était sous écoutes téléphoniques et qu’un de ses proches collaborateurs était déjà passé aux aveux, précipitant ainsi l’arrestation du gouverneur de l’Illinois et de son chef de cabinet. Du coup, la possibilité de prendre en flagrant délit le frère de Blagojevich et le chef du groupe d’hommes d’affaires indiens s’est envolée car, après l’article du Chicago Tribune, Blagojevich a annulé la rencontre.
L’affaire Blagojevich est loin d’être terminée. On ne sait pas encore tout ce qui se trouve dans les enregistrements que possède le procureur Fitzgerald. Mais ce dernier est réputé pour être un justicier dur et incorruptible car, en dépit du fait qu’il ait été nommé à son poste par George W. Bush, c’est lui qui a fait inculper le chef de cabinet de Dick Cheney, Lewis « Scooter » Libby, pour entrave à la justice et parjure dans l’affaire Plame. [1]
Il est ainsi fort à parier que Fitzgerald poursuivra jusqu’au bout ceux qui se sont immiscés dans les tractations avec Blagojevich ou qui en avaient connaissance mais qui n’ont rien dit à la justice. Et c’est pourquoi Jesse Jackson Junior et les hommes et femmes de Barack Obama ont tous fait appel à des avocats spécialisés dans les affaires criminelles.
A lire ou relire sur Bakchich.info
[1] L’affaire Plame concerne la révélation, par l’administration Bush, du nom d’un agent secret de la CIA, Valerie Plame, pour discréditer son mari, très critique sur la guerre en Irak. Ce scandale a défrayé la chronique pendant deux ans.
Article sympa.
La corruption à chicago : la routine. C’est un mode de vie là bas. Ca se fait au vu et au su de tous. Dans les autres grandes villes les magouilles sont connues mais pas à ce point visibles Par contre, ce machin tombe bien. Le nouveau président sera tenu en laisse par divers groupes d’intérêts.
Blago est vraiment un amateur. Il balance n’importe quoi au téléphone sans se méfier et ne "dépoussière" même pas ses locaux pour éviter les écoutes… A pleurer…de rire cette histoire
On attend les casseroles suivantes…