Science-fiction, voyage dans le temps, terrorisme nucléaire et star du X : un trip psychédélique, entre nanar postmoderne et chef-d’œuvre du troisième type.
Présenté à Cannes en 2006, Southland Tales devait sortir en France le 20 décembre de cette même année. Etalé par la critique (comme avant lui Robert Bresson, Michelangelo Antonioni ou plus récemment Sofia Coppola ou Vincent Gallo), Richard Kelly remonte son film pendant un an et en coupe une vingtaine de minutes, même si la bête dure toujours 2H 15. Les galères continuent puisque Southland se retrouve à l’affiche aux USA en novembre 2007 et se vautre dans les grandes largeurs au box-office (moins de 400 000 dollars de recettes pour un budget de 18 millions). Le film est mort et Kelly enterré. En France, le distributeur annonce régulièrement des dates diverses et variées, avant de bazarder le machin directement en DVD, comme un vulgaire Jean-Claude Van Damme.
Bon, de quoi s’agit-il ? Du second film de Richard Kelly, petit prodige qui a réalisé l’hallucinant Donnie Darko à… 25 ans. Avec Darko, Richard Kelly a tout bon, son film est un véritable ovni où il est question de voyage dans le temps, d’adolescence à problème et de lapin géant. Si le héros se demande si c’est lui ou le monde qui l’entoure qui a perdu la tête, le spectateur se noie dans une atmosphère envoûtante, hypnotique, comme un cauchemar de Francis Bacon mis en scène par David Lynch. Scénariste et réalisateur, Kelly est également un homme de goût qui révèle le comédien Jake Gyllenhaal, futur cow-boy gay de Brokeback Mountain et – encore plus fort - remet même au goût du jour le groupe Tears for Fears. Naturellement, le film se gaufre en salles, mais triomphe en DVD et le cinéphile abasourdi découvre un vrai réalisateur, au sens narratif très sûr, un artiste sincère qui ose tout, même le pire (ralenti, accéléré, esthétique vidéo-clip…) et retombe à chaque fois sur ses pattes grâce à une fantaisie débridée et la science de la mise en scène d’un vieux routier. Bref, après ce petit miracle de film indépendant tourné pour 4 misérables millions, c’est peu dire que l’on attendait le nouvel exploit de Kelly. Le résultat est pour le moins contrasté…
Southland Tales débute comme un home movie numérique, filmé par un môme. Un barbecue dominical au Texas, des enfants qui s’arrosent avec des pistolets à eau, des mamies qui se font dorer au soleil, les bières et les hamburgers qui attendent… Et soudain, une explosion, un champignon atomique. Deux attentats terroristes viennent de pulvériser le Texas. Southland Tales peut commencer. Pour répondre à la pénurie de carburant, la compagnie US-ident élabore un générateur d’énergie inépuisable, qui fonctionne sur le flux de l’océan, mais altère imperceptiblement la rotation de la Terre. Bientôt, la réalité s’en trouve bouleversée, en particulier les vies de l’acteur amnésique Boxer Santaros, de l’ex-star du X Krysta Now et des frères jumeaux, Roland et Ronald Taverner, dont le destin se confond avec celui de l’humanité toute entière…
C’est peu dire que Richard Kelly a de la suite dans les idées. Dans Donnie Darko, un lapin géant annonçait d’une voix sépulcrale que la fin du monde était programmée 28 jours plus tard. Ici, l’apocalypse nucléaire se déchaîne dans la patrie de George Bush au bout de 90 secondes. Le reste du film s’apparente à un compte à rebours vers le néant. Dans un temps uchronique (à savoir, une réécriture de l’Histoire à partir de la modification d’un événement du passé, un temps alternatif, comme dans The Watchmen), des personnages opaques, doubles, jumeaux, complotent dans un Los Angeles factice et ripoliné. Au lieu de réaliser un méchant thriller de SF comme Strange Days de Kathryn Bigelow, Kelly fait le malin et tel un DJ sous acide, il mixe et remixe clip, films de propagande à la Starship Troopers, l’Apocalypse de Saint Jean, jeu video et même bande dessinée car le film est découpé en épisodes IV, V et VI (pour les trois premiers chapitres de l’histoire, il faudra acheter la BD, merci le marketing). Bref, c’est hautement conceptuel, postmoderne, complètement imbitable, et Kelly arriverait même à faire passer les derniers opus de David Lynch pour des modèles de limpidité. Dopé par le succès-culte de Donnie Darko, mais aussi peut-être par un tas de substances chimiques prohibées, le nouveau wonderboy du ciné indépendant a compilé toutes ses idées (complots, guerre au Moyen-Orient, désastre écologique, grandes multinationales, combats des alter…), tous ses fantasmes, toutes ses références, notamment Mad Max, Kurt Vonnegut, Brazil, Blade Runner, Philip K. Dick, Docteur Folamour, En quatrième vitesse d’Aldrich. Bref, il y a de quoi nourrir dix films, mais il manquait peut-être à Kelly un producteur pour calmer cette éjaculation filmique précoce. Avec sa multitude de personnages, ses situations invraisemblables, ses dialogues lamentablement plats, Southland s’apparente parfois à un long chemin de croix, souvent chaotique et toujours azimuté. Dans le même temps, cette folie qui dévore l’écran, la mise en scène ou les personnages (le double d’un double), fait de Southland un des objets cinématographiques les plus étranges et décalés qui soient. Bercé par la musique de Moby, Southland Tales est un trip hypnotique, une transe psychédélique qui rappelle les pré-rêves, incompréhensibles mais tellement agréables, que vous faites avant de vous endormir. Pour peu que vous acceptiez le challenge (tenter de rester éveillé devant 2h 15 de gros n’importe quoi), vous allez donc découvrir le film le plus zinzin de l’année, « un grand film malade », comme disait l’ami François Truffaut. Ou, au choix, fracasser de rage votre bel écran plat.
Pour finir, un petit mot sur Richard Kelly. Que vous adoriez ou détestiez Southland, vous ne pourrez qu’être abasourdi par la mise en scène de ce surdoué du plan-séquence, dont le talent et l’arrogance me font penser à Stanley Kubrick ou David Fincher, et qui a filmé Southland Tales en trente jours ! Kelly a aujourd’hui 34 ans et depuis ses galères avec Southland, il a rebondi avec The Box. Inspiré d’une nouvelle de Richard Matheson, The Box, interprété par Cameron Diaz et James Mardsen, raconte l’histoire d’un couple qui trouve un beau jour une boîte en bois sur le pas de sa porte. Ils l’ouvrent et deviennent instantanément riches. Mais découvrent qu’à chaque fois qu’ils ouvrent la mystérieuse boîte, une personne meurt… La suite, ultra-excitante, le 4 novembre.
A lire ou relire sur Bakchich :
C’est amusant je l’ai justement vu hier soir. Et quel ennui profond !! Surement le film le plus ambitieux de la décennie. 150 thèmes sont abordés, pas un seul développé. Le film n’est absolument pas maîtrisé, et pour couronner le tout c’est très mal joué. En même temps, choisir The Rock, fallait pas avoir peur.
Richard Kelly, je regarderai peut-être son prochain par curiosité, mais je n’attends plus grand-chose de ce réalisateur qui a dû adoré ses références (citées dans l’article) sans jamais rien n’y comprendre…
Ce film est tout simplement fantastique, tous les thèmes abordés le sont en profondeurs il suffit juste d’être attentif et de vraiment reagrder le film, non pas comme on regarderais un JCV ou un cartoon mais plutot comme on doit regarder Donnie Darko, une autre merveille de Richard Kelly.
Je l’ai vu 6 fois depuis son achat en blu-ray il y a 2semaines et je vais encore le regarder souvent, un film barré, et totalement indispensable.