Un conte mélancolique où Brad Pitt, né vieux, est condamné à rajeunir. David Fincher enfin touché par la grâce (numérique).
La chronique ciné du mardi
J’ai toujours été pour le moins dubitatif devant les films de David Fincher.
Pour la faire courte, ce fils de pub me gonfle avec ses plans ripolinés, son esthétique de la violence crade mais fun, bref sa tendance à vouloir transformer la merde en or et ses gadgets esthétiques qui passent devant l’histoire et les personnages. Trop chic, trop clip, trop choc, trop toc. Ainsi, j’ai copieusement détesté la complaisance de Se7en, une histoire glauque de serial killer (y en a marre de se tripoter sur des « génies du crime » qui torturent et citent l’Evangile), et les artifices de Fight Club, pseudo-critique de la société de consommation tournée pour la modique somme de 100 millions de dollars avec le top model Brad Pitt, illustration clownesque d’un roman autrement subversif de Chuck Palhaniuk. Avec The Game ou Panic Room, Fincher se vautre dans la série B, le référentiel, et fait mumuse avec sa belle caméra qu’il fait passer à travers les cafetières. De sa filmo, je ne sauve donc que son premier film, Alien3, le plus crépusculaire de la saga, mutilé par la Fox, et Zodiac, trois heures sans scènes spectaculaires, film extraordinairement statique, labyrinthique, éblouissant, sur la frustration, l’échec. Après cette œuvre magistrale, sorte d’autoportrait de Fincher sur son pointillisme et ses propres obsessions, c’est peu dire que j’attendais de pied ferme son nouveau bébé, déjà auréolé par la critique U.S.
Benjamin Button naît en 1918. Il est ridé comme un vieux derrière, semble avoir 90 ans, souffre d’arthrose et son cœur menace de lâcher d’un instant à l’autre. Recueilli par une mama noire qui travaille dans une maison de retraite, Benjamin va néanmoins s’accrocher à la vie et commencer à rajeunir. Vers 7 ans, il quitte sa chaise roulante, commence à marcher et son état s’améliore sensiblement. Il fait alors la connaissance de Daisy, une petite fille qui va devenir l’amour de sa drôle de vie. Né vieux, il sera toute son existence en décalage avec la vie, le monde et ceux qu’il aime.
Adapté d’une courte nouvelle de Francis Scott Fitzgerald, L’Etrange histoire de Benjamin Button est un vrai beau mélo. L’histoire est inexorable, imparable. Tel un enlumineur du moyen âge, David Fincher a composé des plans magnifiques, saturés de détails signifiants, ici une étoile filante, là une fusée qui s’envole vers les étoiles. Pendant 2h40, Fincher le maniaque se régale et nous comble avec cette marche à l’envers dans le siècle. Mais ici le roi du bling-bling visuel claque des dizaines de millions de dollars pour des effets spéciaux digitaux invisibles. C’est de la dentelle 3D, de la poésie sur ordi : un môme de 7 ans a le visage ridé d’un Brad Pitt octogénaire ; deux heures plus tard, Brad Pitt est métamorphosé en ado pré-pubère (les informaticiens ont scanné l’image de Pitt jeune dans Thelma et Louise). Le spectateur accepte l’impossible et ne remet jamais en question les rides ou les pixels : Fincher est un magicien. Tout son talent est enfin au service de l’histoire, de ses personnages, de ses acteurs, magnifiquement dirigés. Sous la double influence de Vincente Minnelli et Michael Powell, David Fincher fait danser Cate Blanchett sous la lune, transforme Pitt en James Dean à moto, sublime les visages de deux amants, filme l’amour et, plus dur, les rendez-vous ratés, les regrets.
Si l’on ne peut enlever à Fincher la paternité de ce Benjamin Button, projet qu’il porte depuis des années et qui a intéressé tour à tour Steven Spielberg, Ron Howard ou Spike Jonze, le film semble également être l’enfant du scénariste Eric Roth, oscarisé pour Forrest Gump. Mais ici, on dirait que Roth bégaie ou qu’il a mis les scènes principales de Gump dans un logiciel de scénario qui a tout remouliné. Comme Forrest, Benjamin est élevé en Louisiane par une mère adoptive, souffre de gros problèmes pour marcher, découvre la femme de sa vie enfant, se voit séparé de celle-ci par la guerre… La structure narrative, en flash-back avec voix-off, est la même et la morale « On ne sait jamais ce qui arrive » ressemble beaucoup à la devise crypto-ésotérique de Forrest, « La vie est une boîte de chocolat. On ne sait jamais ce que l’on va avoir » (allez voir l’hilarant teaser comparatif de la bande de Will Ferrel sur www.funnyordie.com). Néanmoins, malgré ces similitudes, Roth déploie un sacré talent de conteur et, à la manière d’un John Irving, imagine une succession d’aventures picaresques avec de fabuleux personnages : un horloger qui fait reculer les horloges, la liaison entre Benjamin et une femme mariée (Tilda Swinton, épatante) au fin fond de la Sibérie, l’épisode sur le bateau pendant la Seconde Guerre mondiale, la confession d’une octogénaire sur son lit de mort, tandis que l’ouragan Katrina s’approche de La Nouvelle-Orléans…
Promenade au pays de l’amour et de la mort, L’Etrange histoire de Benjamin Button est donc un film formidable, visuellement époustouflant, avec une fin absolument poignante. Fincher tombe le masque : deux personnages, un champ/contre-champ : l’émotion à l’état pur. En dire plus serait simplement sacrilège. J’avoue quant à moi avoir pleuré à gros bouillon pendant dix minutes, ce qui ne m’était pas arrivé depuis… Philadelphia. Vous voilà prévenus.
L’Etrange histoire de Benjamin Button de David Fincher avec Brad Pitt, Cate Blanchett, Julia Ormond, Elias Koteas, Tilda Swinton.
Sortie en salles le 4 février.