Soumise au vote ce mardi à l’Assemblée, la loi sur l’interdiction de la Burqa a connu un précédent en 1905 lors de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Un député voulait en découdre avec la soutane.
Comme un lointain écho. Un député radical socialiste, Charles Chabert, présenta en 1905 un amendement d’une étonnante d’actualité : « Les ministres des différents cultes ne pourront porter un costume ecclésiastique que pendant l’exercice de leurs fonctions. » Dans le viseur de l’époque : l’horrible soutane !
L’amendement ne sera finalement pas retenu par le rapporteur du texte, Aristide Briand.« Ce serait encourir, pour un résultat plus que problématique, le reproche d’intolérance […] par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté au point de vue confessionnel » justifie-il.
Son plaidoyer a tout de même le mérite de nous éclairer sur la construction du principe de laïcité en France telle qu’elle était perçue et voulue au début du XXème siècle. Hors des meubles de la religion, il va s’en dire, pour fonder un Etat de droit. Ses interrogations et solutions, parfois radicales, devraient résonner aux oreilles de nos chers parlementaires.
« Le costume religieux n’est-il pas essentiellement un emblème ? Son port n’est-il pas au premier chef une manifestation confessionnelle ? […]Les choses de la conscience, dans la conscience : tel est bien l’esprit de la loi que nous élaborons. Mais la soutane en public, ce sont les choses de la conscience dans la rue.
« Pourquoi maintiendrait-on alors aux ecclésiastiques le privilège de conserver et de porter un costume qui jure si étrangement avec les mœurs et les goûts modernes ? Ce costume favorise […] l’autorité sur une partie de la population et c’est précisément une des raisons principales pour lesquelles l’Église attache au costume de ses ministres une telle importance. »
S’ensuit :
« Par l’effet du costume qui les sépare et les distingue du vulgaire, les prêtres apparaissent aux yeux des fidèles – et c’est là ce que veut l’église – comme autre chose et plus que les hommes.
Vous êtes vous jamais demandé pourquoi les catholiques tiennent si fort à ce que leur prêtre portent la soutane ? Afin de maintenir une barrière infranchissable entre eux et la société laïque. Le prêtre obligé de sortir en soutane est aussitôt remarqué, ses moindres démarches sont connues et commentées.
Le costume le rend prisonnier de son milieu étroit, prisonnier de sa propre ignorance, je dirai presque de sa propre bêtise. […] C’est à cause du costume qu’il y a une telle distance entre les séculiers et les ecclésiastiques.
Supprimez le costume et aussitôt le prêtre devenu une unité ordinaire dans la foule immense, échappe à son supérieur, s’évade de cette tyrannie de tous les instants. Il s’évade vers le siècle, les idées, la Vie.
De ce serf, de cet esclave faisons un homme. C’est ce que je vous demande au nom de la logique, au nom de l’humanité. »
Du temps ou les femmes n’étaient pas voilées, mais ou les députés savaient s’exprimer.
Lire ou relire sur Bakchich :
Billet complètement hors-sujet. La faute à ce parlementaire qui confond deux propriétés distinctes de la soutane : 1/ la séparation religieux/séculier (et non pas laïc) 2/ l’identification du "chef" de la communauté religieuse
Or la soutane n’est pas le niqab. Alors que, comme précisé dans cette intervention au Parlement français, la soutane confère à celui qui le porte une certaine autorité, ce n’est absolument pas le cas de la soutane.
La fin du texte est claire et honteuse : le député estime, à titre personnel, que les croyants sont rejetés dans l’ignorance. Alors qu’il n’existe, et qu’il n’existera jamais aucun argument rationnel pour arbitrer dans un sens plutôt que dans un autre, ce monsieur qui se découvre subitement une compétence de théologien lorsqu’il oppose la foi à la vie, se permet d’imposer aux autres consciences ce qui aurait du rester au fond de la sienne. On dira : certes, mais c’est là son travail. Mais aucun citoyen ou groupe de citoyens, fusse t-il parlementaire, n’est habilité à utiliser la loi comme cheval de Troyes pour imposer ses croyances personnelles et qui plus est invérifiables dans une société démocratique bien ordonnée, quelles que soient le contenu de ces croyances (qu’ils s’agisse de celles d’un croyant ou d’un athée).
L’argument de l’ordre public, quoique légèrement hypocrite mais parfois justifié (pas avec la soutane !), était une base de justification bien meilleure.
La loi doit seulement permettre aux citoyens d’assurer leur autonomie sur le plan religieux ou spirituel, et de protéger les plus faibles de ce point de vue. Quant à la rue elle-même elle n’appartient pas plus aux athées ou aux agnostiques qu’aux croyants quels qu’ils soient. Elle appartient aux citoyens, sans distinction. Et imposer un code vestimentaire ou prohiber un code vestimentaire, c’est faire une distinction entre deux catégories de citoyens pourtant réputés "égaux".
Il serait plus utile de s’informer sur l’influence plus ou moins officieuse de certains courants religieux dès qu’on aborde les questions de bioéthique et de biotechnologie, qui influencent et influenceront de manière irréversible la vie des citoyens concernés, ou de s’informer sur les liens entre prohibition de l’intérêt et du jeu en Islam et dans un certain christianisme et crise financière/structure des prix si l’on veut vraiment traiter sérieusement la question du lien entre religion et politique séculière.
On constatera alors que cette idée selon laquelle la religion devrait rester enfermée dans la conscience n’a aucun sens. La religion n’est pas une affaire qui peut rester "privée".
Article intéressant, avec l’analyse de la perception du port de la soutane en tant qu’uniforme qui est toujours d’actualité, notamment avec l’uniforme des forces de l’ordre ou le costume-cravate .
Les archives de l’Assemblée sont un trésor, n’hésitez pas à y fouiner toujours plus.
J’ai lu plusieurs articles ce soir sur Bakchich et je trouve que le niveau a nettement remonté. Les articles ne sont plus baclés, les sujets sont intéressants, et l’écriture agréable.
Continuez !
Je vais arrêter de vous critiquer et je vais acheter Bakchich cette semaine.
Mais vous arrêtez d’être complaisant avec "Sarko" (sic), hein ! Faut passer en mode "Terminator" ! Sarkozy got to be terminated ASAP ! :D