Le Président est avant tout un grand enfant. Et tout gamin a ses jouets préférés. En l’occurrence pour le petit Nicolas, ce sont les médias, avec lesquels il aimerait bien jouer aux Lego. Las, le monde ne se réduit à une vision d’enfant.
On n’est jamais déçu par Super Sarko. Vous pensiez qu’il avait décidé de supprimer la publicité sur les chaînes de télé publiques pour aider les chaînes privées comme TF1, propriété de son ami Martin Bouygues, et M6, contrôlée par le géant allemand Bertelsmann, sans oublier des acteurs audiovisuels plus modestes comme Vincent Bolloré (Direct 8) et Arnaud Lagardère (Gulli, Virgin TV, etc.) ? Et bien vous aviez raison. Notre président amoureux de la mode et des belles montres le confirme en personne dans un entretien publié dans Le Monde (17/08). « Le problème de la France, c’est que nous n’avons pas de groupes de communication français de dimension internationale ». La suppression de la publicité sur les antennes de France Télévisions (786 millions d’euros en 2007) doit donc permettre de combler cette lacune. Comment ? Super Sarko a la solution. Attention, accrochez-vous : « Regardez la solution telle qu’elle est. Le grand groupe de communication français Lagardère n’a pas de télévision et le grand groupe de télévision français Bouygues n’a pas de presse. Quant au groupe de télévision Canal Plus, il n’est présent qu’en France. Et vous êtes confrontés à Murdoch et à des géants de cette nature. N’est-ce pas de la responsabilité du président de la République que d’essayer de construire un modèle économique qui permettra à des grands groupes français d’être indépendants ? Il faut créer les conditions d’un modèle économique viable ».
Et là, on est complètement perdu. Que veut réellement le mari de Carla ? En lisant et relisant cette déclaration, on ne comprend qu’une chose : que Super Sarko aimerait bien marier Lagardère, qui n’a pas de télé, à Bouygues, qui n’a pas de presse. C’est un secret de polichinelle : des habitués de l’Elysée ne se gênent pas pour dire tout le mal qu’ils pensent de Lagardère Junior. Celui-ci fait l’objet d’une fronde du Crédit Mutuel, qui l’accuse de lui avoir vendu au printemps 2006 des actions EADS au prix fort en sachant qu’il y avait des problèmes sur l’A380 (qui a fait plonger le cours de bourse quelques semaines plus tard), et aussi d’un fonds contrôlé par Axa, compagnie d’assurances fondée par Claude Bébéar, qui n’a jamais caché ses doutes sur les capacités managériales d’Arnaud Lagardère. Dans les allées du pouvoir, on pense que ce dernier devrait se concentrer sur les activités sportives, son dada, et laisser les choses sérieuses (EADS et les médias) à des professionnels. Un mariage entre TF1 et Lagardère donnerait naissance à un groupe présent dans la presse écrite, la radio, la télévision, la production télé et cinéma, la distribution de la presse (NMPP) et un peu d’Internet. Surtout, tout cela serait dirigé par un ami de Super Sarko, le bétonneur Martin Bouygues. Que du bonheur !
Le seul problème, c’est qu’on ne voit pas en quoi cela permettrait de résister à Murdoch (soit dit en passant, on ne comprend pas qu’un président se présentant comme libéral ait peur d’un magnat de la presse qui professe le libéralisme). Murdoch est présent dans la presse (le Times, le Wall Street Journal), dans la télé (Fox News aux USA, BSkyB en Angleterre et en Italie), dans le cinéma (Twentieth Century Fox) et dans Internet (MySpace). Mais il est présent partout. Lagardère a bien multiplié les éditions de ses magazines féminins mais c’est tout. Quant à Bouygues, il n’a jamais voulu investir dans les médias hors de France, se contentant de la chaîne Eurosport pour arroser les autres pays européens. Super Sarko, qui ne peut pas tout savoir malgré son immense talent, ignore que Canal Plus a une filiale en Pologne. Héritage d’un développement international hasardeux qui avait conduit la chaîne cryptée à prendre des positions en Allemagne, en Italie et dans les pays scandinaves. La France tenait là un champion d’Europe mais la gestion calamiteuse de Pierre Lescure a fini par affaiblir durablement Canal Plus, qui a cédé la plupart de ses filiales, notamment à… Murdoch (en Italie).
Une leçon peut être tirée de cela : À part Murdoch, qui investit à tour de bras sans trop se soucier de rentabilité pourvu que ça aide à faire progresser ses idées ultra-libérales, les grands groupes de communication sont avant tout nationaux. C’est le cas de Time Warner et de Viacom aux États-Unis, de Mediaset (propriété de Berlusconi) en Italie, de Prisa en Espagne. Les géants américains arrivent à être présents partout parce qu’ils vendent des films et des séries. La seule exception en Europe est Bertelsmann qui détient le groupe de radio et de télé RTL (M6 en France). Quant aux grands groupes de communication vraiment mondiaux, ce sont les acteurs d’Internet comme Google et Yahoo. Super Sarko pourrait aider les sociétés françaises de ce secteur à se développer ? Erreur. Il a décidé d’imposer une taxe sur les opérateurs d’Internet et de téléphone mobile pour aider les chaînes de télé privées. CQFD.
Lire ou relire sur Bakchich :
"Regardez la solution" telle qu’elle est" (Sarko in Le Monde du 17/07, cité par Bakchich)… N’était-ce pas plutôt la "situation" ? Ah que ce n’est pourtant pas sorcier de recopier une citation à la source. Quand à Murdoch, quoique conservateur bon teint, son moteur, ainsi que le souligne Phoskito, est avant tout de développer son business - ce qui ne lui réussit pas si mal.
Bonne continuation quand même et vivement les vacances ! H1B
Excellente analyse….
Le problème est qu’elle ne répond pas à la question fondamentale : Professeur Nainbus agit-il par pur copinage cupide ou parcequ’il a une vision stratégique sur les enjeux de la future guerre mondiale des médias ? Il semble que poser la question c’est y répondre…