Pourquoi et comment Roger Marion, puissant patron de la division anti-terroriste, a laissé filer l’assassin présumé du préfet Erignac… Le beau Roger doit s’en expliquer à la barre du tribunal, lors du procès Colonna, le 28 novembre.
Plus d’une centaine de témoins sont appelés à la barre du procès Colonna. Mais la liste risque encore de s’allonger. Les avocats du berger corse, assassin présumé du préfet Erignac, pourraient fort bien avoir l’envie, un jour où l’autre, de faire entendre un flic discret, ancien de la Division nationale anti-terroriste (DNAT), jusqu’ici resté dans l’ombre. Le capitaine Le Boursicaud, aujourd’hui affecté à l’Office central des personnes recherchées ou en fuite (OCPRF), une structure spécialisée dans la traque des malfaiteurs en cavale, détient en effet l’un des secrets du fiasco policier qui a permis à Yvan Colonna, d’échapper pendant quatre ans, de 1999 à 2003, aux griffes de la justice. Autrement dit, cet enquêteur émérite en connaît un rayon sur l’incurie policière qui a régné sur l’enquête autour de la mort du préfet Erignac, un des axes d’attaque choisi par les défenseurs de Colonna pour dynamiter le dossier à charge contre leur client.
Retour en mai 1999. Le vendredi 21, Bruno Le Boursicaud fait partie de l’équipe de la DNAT qui « tape » les quatre premiers membres du commando Erignac et leurs compagnes. Roger Marion, le tout-puissant patron de la DNAT, a en effet décidé de rafler les suspects dénoncés par « Corte », l’informateur du préfet Bonnet. Mais en deux vagues. Une première le jeudi et la suivante, le dimanche matin. L’arrestation des deux frères Colonna, Yvan et Stéphane, figurant sur la liste de Corte est prévue seulement dans la deuxième rafle.
Seulement ce bel ordonnancement dérape dans la nuit du vendredi au samedi. Peu après minuit, cuisinée par le capitaine Le Boursicaud, la compagne d’un des conjurés cite la première le nom d’Yvan Colonna. Valérie Dupuis, qui ne fait pas partie du complot, ne le désigne pas formellement comme le tueur. Mais le suspecte d’avoir participé à l’opération. Le flic interrompt tout de suite l’audition et se rue dans le bureau du chef Marion pour préconiser l’arrestation immédiate de Colonna. Selon les témoins directs de la conversation, Marion, plus autocrate que jamais, refuse sèchement. « Il n’a jamais voulu dévier de son calendrier sans que l’on puisse savoir pourquoi », racontent-ils. Psycho-rigide, l’ami Roger ? Ou alors très prudent envers les fils Colonna dont le père, ancien député socialiste, reste très proche de Patrice Bergougnoux, directeur général de la police nationale lors de l’assassinat du préfet de Corse ? Mystère. Toujours est-il que le capitaine Le Boursicaud n’est pas décidé à lâcher l’affaire. Jeté de chez Marion, il s’ouvre de sa nouvelle piste brûlante à Laurence Le Vert, la juge d’instruction en charge du dossier qui assiste aux auditions. Celle-ci retourne alors à la charge chez Roger Marion. Et se fait également éconduire. Le flic ne reviendra pas sur sa position. Or, le dimanche matin quand les policiers arrivent à Cargèse (Corse-du-Sud), l’oiseau s’est déjà envolé. Pour quatre ans de cavale.
Jusqu’ici, pour se défendre, Roger Marion a toujours soutenu qu’il n’avait aucune raison d’intervenir plus tôt, Colonna n’ayant été formellement désigné comme le tueur par un membre du commando, Didier Maranelli, qu’à la fin de sa garde-à-vue dans la nuit de samedi à dimanche, 24 heures après que sa compagne Valérie Dupuis ait cité son nom. Et de renvoyer la responsabilité de la boulette à un défaut dans la surveillance exercée par son adjoint en Corse, Jean-François Lelièvre.
Autre axe de défense de Marion : les Renseignements Généraux, chargé de surveiller Colonna, ne l’avaient jamais averti de la dangerosité du personnage. Il n’était donc pas, selon lui, à même d’évaluer, quand son nom est sorti en garde-à-vue, si celui-ci avait un profil du tueur de préfet. Et pour cause : les RG n’avaient pas détecté non plus qu’il s’agissait d’un gros poisson et avaient sous-traité la surveillance des fils Colonna à leurs collègues du RAID, efficaces filocheurs sans doute, mais piètres analystes, des gros bras incapables de repérer un nationaliste radical d’une chèvre corse. « On aurait été plus vigilant sur Yvan Colonna si le préfet Bonnet nous avait fait part des tuyaux de son indic Corte, soupire un hiérarque des RG. Mais Bonnet n’a voulu partager ses petits secrets qu’avec le juge Bruguière et son factotum Marion, poursuit-il. Jospin lui avait promis le poste de préfet de police de Paris en cas de réussite de sa mission en Corse. Il voulait donc pouvoir mettre à son crédit l’éventuelle arrestation du meurtrier et avait passé un pacte de confidentialité avec les as de l’anti-terro ».
Un préfet de Corse qui cache ses tuyaux aux RG et à la PJ, un juge anti-terro qui ne les partage qu’avec le chef de la DNAT, lequel n’en fait qu’à sa tête sans tirer partie des confidences obtenues en garde-à-vue par son équipe : un cocktail qui fleure bon la guerre des polices et que les défenseurs de Colonna vont se faire un plaisir de faire pétiller en pleine Cour d’assises entre le 21 et le 28 novembre, lorsque les policiers chargés de l’enquête Erignac défileront à la barre.