La France vient de prendre la présidence tournante de l’Union européenne pour six mois. Gentiment, le journaliste de LCI, Pierre-Luc Séguillon a collecté les regards de confrères étrangers en poste à Paris sur notre bel hexagone. Comment jugent-ils Nicolas Sarkozy ? Sa politique, les réformes et les paillettes…. Portrait du président français en forme de kaléidoscope.
Les Russes adorent son culot et ses Ray Ban, les Anglais considèrent que c’est un faux libéral mais plein de promesses malgré tout, les Chinois eux sont fascinés par celui qu’ils voient comme un petit Napoléon amoureux d’une top model… On le savait mais nous avons confirmation : Nicolas Sarkozy est loin de passer inaperçu au-delà de nos frontières. « Sa personnalité originale et sa politique de “rupture” ont suscité autant d’enthousiasme que de franche hostilité », rappelle d’entrée Pierre-Luc Séguillon, le journaliste de LCI qui coordonne l’ouvrage. C’est le moins que l’on puisse dire !
Pourquoi une telle fascination ? Ruolin Zheng, correspondant chinois en poste à Paris pour le quotidien Wen Hui Bao, livre une première réponse. « Le nouveau style “sarkozyste” plaît énormément aux gens d’ici : bouger sans arrêt avec un dynamisme extraordinaire (…), se disputer avec les manifestants en direct à la télé, promettre tout et le contraire (…). Les Chinois adorent le côté "humain" de Nicolas… Même la vie privée de Sarkozy est considérée en Chine comme une référence en matière de liberté et de… démocratie ! », écrit-il.
Vu sous cet angle, on comprend que « tout savoir sur la vie de Sarko, voilà qui constitue, pour beaucoup de gens, une sorte de revanche sur leurs propres dirigeants dont ils ne savent pas grand-chose ». D’autant plus que Sarkozy a marqué un point par rapport à son prédécesseur : il a pratiqué une « minirupture » avec la politique de Jacques Chirac pour qui l’Asie, « c’était d’abord le Japon ».
Vladimir Glusker qui travaille pour la télévision russe NTV, note lui aussi une réelle rupture par rapport aux années Chirac : « Jamais la presse, surtout étrangère, n’a été aussi sollicitée par l’Élysée. C’est bien simple, nous pourrions produire tous les jours des journaux télévisés entièrement consacrés à la vie professionnelle et personnelle de Nicolas Sarkozy »… Serait-ce partout pareil ?
Le journaliste russe revient aussi sur la politique étrangère du président français : « Sarkozy a compris très vite les intérêts de la realpolitik. Il a été parmi les trois premiers à avoir téléphoné à Poutine pour le féliciter après la victoire de son parti aux dernières élections législatives. » Avant d’ajouter : « Juste après le coup de fil, en décembre, la compagnie pétrolière Total signait un énorme contrat avec le géant du gaz russe Gazprom pour le développement commun et privilégié de gisements dans le nord de la Russie. »
La politique étrangère de Nicolas Sarkozy est aussi largement commentée par Francis Kpatindé, ancien rédacteur en chef de Jeune Afrique. Si les premiers mois de la présidence Sarkozy ont plutôt été favorablement accueillis par les États africains - avec le nomination au gouvernement de Rama Yade, Fadela Amara ou Rachida Dati, belle illustration de la diversité de la France - le discours de Dakar, le 26 juillet 2007, a cristallisé les tensions. « On en était à cette phase d’observation lorsque survint, énorme cactus, le fameux « discours de Dakar », une bourde monumentale qui, à mon avis, a installé durablement le froid entre Nicolas Sarkozy et les Africains… »
Il semblerait qu’il n’y ait pas qu’avec les Africains que le courant a du mal à passer. Les Anglais, à travers le regard de Sophie Pedder, correspondante de The Economist , s’interrogent sur le « style diplomatique unilatéral » de Sarkozy. Un style jugé « parfois abrasif ». « Sa diplomatie free-lance s’est mise à faire de lui un partenaire imprévisible autant pour la Grande-Bretagne que pour l’Allemagne. »
En quelques mois, nos voisins anglais sont passés d’une franche admiration à un certain agacement vis-à-vis du président français. Au premier rang des griefs, la politique économique : « Sarkozy semble plus enclin à apaiser lobbies et corporatismes qu’à prendre des mesures impopulaires mais visant l’intérêt à long terme du pays. Le théoricien de la rupture risque de se transformer en adepte du clientélisme économique ». Sophie Pedder, déçue, finit par s’interroger : « Quel est le vrai Nicolas Sarkozy ? Sarkozy I, le réformateur impavide, ou Sarkozy II, celui qui ne sait pas résister aux corporatismes ? ».
Pour l’Italien, Massimo Nava, correspondant du Corriere della Sera , « Sarkozy a trébuché, il s’est affaissé comme un soufflé que l’on aurait sorti trop tôt du four ». D’autant plus qu’il « a confirmé une malédiction qui le poursuit depuis le début de sa carrière politique : il est son principal ennemi. Il est victime de ses excès et de son manque de maîtrise de soi, plus encore que de ses adversaires ».
Pour le correspondant de la radio-télévision israélienne, Gideon Kouts, le problème du président, « c’est qu’il a gardé l’élan du candidat. Il a continué sa campagne électorale tout en étant élu et intronisé ». Finalement, que nous réserve l’avenir ? Se demande le journaliste. « Sa tentative de reconquérir l’opinion ne doit pas passer pas une normalisation : Sarkozy doit rester ce qu’il est ».
Mais Pierre-Luc Séguillon est plus mesuré : « Nicolas Sarkozy ne retrouvera l’adhésion des Français que s’il parvient à quitter sa tenue de candidat reflet pour enfin revêtir le costume présidentiel ; le pourra-t-il ? Son intelligence qui est grande conduit à le penser. Sa psychologie égotique incline à en douter ».
Intéressant. Tout cela montre bien à quel point la psyché collective de la France demeure insondable à ceux qui n’y ont pas vécu de nombreuses années. Les ressorts du comportements d’un Nicolas Sarkozy, même s’ils échappaient à un bon 53% des Français, étaient quand même plus ou moins prévisibles pour pas mal d’autres. Les commentateurs qui se risquaient à décrire le futur probable étaient taxés de "diabolisation", au prétexte qu’ils forçaient (à peine) le trait. Chez les grandes personnes, il était de bon ton de refuser de le diaboliser, le Nicolas. Or, les "ce type est fou" et "c’est un dictateur" constituaient certes des excès d’emphase. Mais a posteriori, qui peut nier qu’il y avait plus qu’un fond de vérité ?
Bref, les commentaires de nos amis étrangers sonnent gentiment naïfs. Les plus amusants sont sans doute ceux de nos voisins anglais, qui ressemblent à ce que pourrait dire un enfant à qui l’on vient d’expliquer que le père Noël n’existe pas. Non, chers amis, Nicolas Sarkozy n’a jamais été libéral. La "réforme" n’a jamais été autre chose qu’un instrument, qu’un argument électoral. Le sort de la France, ce type s’en fiche pas mal, si ce n’est un vague sentiment d’échec qui pourrait ternir sa fête. Car la fête, ça oui c’est important. A Versailles, pardon, à la Lanterne, le pouvoir se célèbre, se savoure, quand il ne se dévore pas avec avidité.