La semaine dernière, Bakchich a évoqué l’étrange propension de la maladie de Charcot chez les footeux italiens. Par vagues, des séries de morts suspectes frappent les sportifs, le dopage rode.
C’est au début des années 1950 que des sportifs de haut niveau, donc des types réputés en bonne santé, se mettent à mourir à l’écran. La mort en direct à la télévision du cycliste anglais Tom Simpson, pendant le Tour de France sur les pentes du Mont Ventoux en juillet 1967, fait vraiment désordre. La mort, c’est bien joli, mais un cycliste qui agonise la bave aux lèvres pendant le journal de 20 heures ce n’est pas une bonne pub. Ce Tour qui tourne au fait divers force les responsables à se lancer dans une lutte contre un dopage qui dure depuis toujours dans la plus grande des impunités. Et le tueur de cycliste est vite identifié : l’association de l’effort physique intense, de la chaleur et l’absorption d’amphétamines qui, conjoints, provoquent une hyperthermie maligne avec collapsus fatal. La mort, quoi.
« En limitant l’observation sur les trois années allant de 1975 à 1977, on constate que dix-sept coureurs cyclistes jeunes sont morts de crise cardiaque. Certes, il n’est pas possible dans tous les cas d’incriminer directement le dopage. Pourtant, dans la plupart des décès où une autopsie et des analyses ont été possibles, on a retrouvé un coupable : les amphétamines. » Tel est, sortie de ma plume pointue le commentaire que j’ai publié en 1979 dans le Quotidien du Médecin…
Le dimanche 17 octobre 1999, une brochette d’entraîneurs et médecins du vélo débattent à Cologne devant les micros de la Deutsclandfunk… On entend cette musique-là : « Nous devons reconnaître que, mystérieusement, plusieurs champions cyclistes allemands sont tombés malades ou sont morts… ». En effet, au moment où ces experts s’expriment, selon une statistique portant sur la dizaine d’années précédente, une vingtaine de coureurs cyclistes sont décédés bien avant l’âge. Parmi eux une figure Ernst Streng, médaille d’or par équipe en 1964 aux JO de Mexico. Il meurt en 1993 à l’âge de 51 ans. Les causes du décès : cancer, leucémie et arrêt cardiaque à la fin. « J’en connais beaucoup qui ne sont plus en vie ou qui souffrent de troubles mentaux, sont devenus toxicomanes ou alcooliques », affirme alors Hans Michalsky, qui a lui-même participé aux J.O de Munich en 1972 et de Montréal en 1976.
Ainsi le champion du monde de cyclisme sur piste des années 1960, Klemens Grossimlinghaus, est mort à l’âge de 49 ans. Heinz Mueller, champion du monde sur route en 1952, a succombé à une leucémie à l’âge de 51 ans. Une autre vedette allemande de la route des années 60, Dieter Puschel, s’est suicidée à l’âge de 52 ans. Selon le docteur Gustav Raken, ancien médecin du sport de la Fédération de cyclisme de Rhénanie du Nord-Westphalie : « la mentalité de recourir au dopage est particulièrement forte dans le cyclisme, puisqu’il s’agit d’un sport d’extrême endurance ».
Lorsque les anabolisants étaient en vogue, des cyclistes ont reçu pendant trois mois des piqûres de Décadurabolin® » affirme toujours le toubib qui précise, « les ampoules ont été envoyées par caisses depuis la région de Fribourg-en-Brisgau (Bade-Wurtemberg). »
À la fin des années 1980, cinq coureurs néerlandais, en 1987 un Belge et deux Néerlandais en 1988, cinq Néerlandais en 1989, trois Belges et deux autres Néerlandais en 1990 – tous coureurs cyclistes de haut niveau – disparaissent dans des circonstances plus ou moins mystérieuses. L’explication la plus probable montre du doigt une nouvelle forme de dopage, L’ÉPO, (érythropoïétine recombinante humaine). Cet épisode donne à penser que, face à une nouvelle drogue, les sportifs se transforment en apprentis sorciers sur leur propre personne !
Toujours dans ces dix dernières années du siècle précédent, quinze décès, dont huit entre 1989 et 1992, sont enregistrés dans l’élite suédoise de la course d’orientation. Quinze sportifs littéralement foudroyés en pleine « force de l’âge ». Devant cette hécatombe, et en l’absence de diagnostic précis, les fédérations de sport d’orientation (cross et ski) de Suède et de Danemark suspendent tous leurs entraînements et leurs compétitions jusqu’au 15 juin 1993 : « On avait accusé jusqu’ici un mystérieux virus qui hantait les forêts du Nord de l’Europe et avait été amené sur place par des oiseaux migrateurs venus d’Orient. Ledit virus, censé provoquer des maladies pulmonaires foudroyantes, serait imaginaire. La Fédération suédoise privilégie aujourd’hui l’hypothèse d’un produit dopant », annonce l’Equipe du 4 février 94.
La longévité de la carrière des footballeurs américains est comme la banquise exposée au CO2. Ainsi, la durée moyenne de la carrière d’un joueur professionnel est passée de 7 ans en 1973 à 4,7 ans en 1983 et à 3,2 ans en 1993. En 1983, l’espérance de vie d’un footballeur était de 57 ans contre 71 ans pour un citoyen américain moyen. Plus récemment, en 1993, d’autres chiffres tout aussi alarmants ont été fournis par le quotidien USA Today : « L’espérance de vie des anciens joueurs dépasse à peine les cinquante-cinq ans. Leur longévité est la plus basse de toutes les professions aux Etats-Unis : la moitié d’entre eux sont décédés à quarante-sept ans ». Plus que dans les règles du sport lui-même, la violence et ses effets collatéraux, traumatismes et blessures graves, trouve son origine en grande partie dans la consommation de cocktails artificiels. Aux lignes de cocaïne euphorisantes et stimulantes, qui passent par les narines d’environ 40% des joueurs, il faut ajouter, « pour ne pas sentir les coups », amphétamines et antalgiques et, pour déménager les défenses adverses, des kilos de muscles made in anabolisants. Lyle Alzado, l’un des footballeurs américains les plus performants et les plus violents, mort en mai 1992 d’une tumeur au cerveau à 43 ans, après avoir confessé un usage massif de stéroïdes et d’hormones de croissance, disant que 90% des joueurs qu’il côtoyait « touchaient au truc ».
« Une étude statistique sur 2 363 cyclistes professionnels européens, révèle un taux d’accidents vasculaires mortels 2,5 fois supérieur à la moyenne de la population et même 5 fois supérieur pour la tranche des 25-34 ans. Oui, le cyclisme professionnel est un sport à haut risque ! Plus qu’une simple observation, c’est désormais un fait prouvé scientifiquement. Parmi les concurrents engagés dans la grande boucle depuis 1970, deux Belges, un Espagnol, trois Français et quatre Néerlandais sont morts avant 45 ans d’une cause vasculaire (infarctus, ruptures d’anévrisme ou accident vasculaire cérébral). Soit un total de 10 décès précoces. Selon les taux de la population européenne établis par l’OMS, on aurait dû en déplorer 4 au maximum. Le risque est donc multiplié par un facteur 2,5 ! La situation est encore plus grave dans la tranche d’âge des 25-34 ans : avec 6 décès, les jeunes coureurs du peloton affichent un risque vasculaire 5 fois supérieur à la moyenne européenne ! » Telle est la conclusion majeure d’une étude épidémiologique réalisée en 1999 à l’initiative du Nouvel Observateur, travail auquel j’ai prêté mon concours aux côtés du docteur Bernard Asselain, responsable du service de biostatistiques de l’Institut Curie à Paris, et de Yann DeRycke, ingénieur dans le même service. La publication de nos résultats se concluait ainsi : « La mutation des années 60 a rendu plus dangereuse la pratique du cyclisme de compétition. Depuis lors, on a couru de plus en plus vite mais aussi de plus en plus chargé. Jusqu’à la guerre, le dopage ne concernait que les jours de compétition qui ne dépassaient pas, par saison, la soixantaine. Alors que pendant la période Hinault de 1974 à 1987, certains stakhanovistes du coup de pédale s’alignaient dans plus de 200 courses par an ! D’un dopage « folklorique », au coup par coup, on est passé à une préparation scientifique, basée sur des cures de plusieurs semaines, influençant efficacement le rendement du moteur humain. »
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Il partage donc avec les autres médias les pires caractéristiques : trucages, tricherie, fausseté, idolâtrie de l’audience à tout prix…
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