Où l’on découvre que riche et puissant peuvent aussi avoir des ennuis pécuniers, tout président d’un émirat pétrolier que l’on est. Petit exemple avec Omar Bongo, président depuis quarante ans du Gabon.
Surprise : les banquiers peuvent se révéler d’impertinents personnages avec les puissants de ce monde. En 2006, Bakchich ne l’a appris seulement que récemment, un établissement bancaire français des plus sérieux, la Bred, a obligeamment demandé à Omar Bongo et Madame, le couple à la tête du Gabon depuis presque 40 ans, de clôturer leurs comptes bancaires qu’ils détenaient dans une agence de ce groupe lié aux Banques Populaires. Aussi déshonorante soit-elle pour le patron du petit Etat pétrolier, la demande fut exercée dans les formes. La banque présidée par Steve Gentili a gentiment laissé à Bongo le temps de se retourner pour trouver un établissement moins regardant pour abriter sa petite fortune. De vilaines langues ont persiflé à Bakchich qu’une banque française avait finalement accepté l’argent de Bongo. Bah, l’argent n’a pas d’odeur.
Pourquoi tant de haine contre le vieux chef de l’Etat et son réseau bancaire ? Tout d’abord, les deux comptes personnels de Monsieur et Madame le président gabonais semblaient fonctionner curieusement. D’étranges versements d’argent, de grosses sommes retirées en liquide… Les responsables de la banque, penchés sur le détail des comptes, furent pris d’angoisses. Et si des procédures judiciaires risquaient d’éclabousser la Bred pépère ? Décision fut prise d’alerter Tracfin. En mars 2006, le service anti-blanchiment de Bercy a été saisi d’une déclaration de soupçon concernant les deux comptes. Que s’est-il passé depuis ? Mystère. Ni Tracfin ni le parquet de Paris ne semblent avoir mis le paquet pour tenter de comprendre d’où vient l’argent alimentant les comptes Bongo. Ou alors, les uns et les autres ne le devinent que trop bien…
Heureusement qu’il existe des banques moins chafouines que la Bred. La BNP-Paribas et sa filiale gabonais la Bicig sont de celles-là. Bien sûr, elles connurent une petite période de doute. La faute à un rapport interne et confidentiel, atteri sur le bureau du grand patron Michel Pébereau. C’était en mars 2002 et le Michel s’est fâché tout rouge, hurlant qu’il fallait absolument fermer la filiale gabonaise. Le dit rapport sous-entendait plus qu’explicitement que de menus comptes de la Bicig servaient à détourner les recettes du Trésor gabonais au profit de pontes gouvernementaux, dont une bonne partie de la grande famille Bongo, et de ses dépendances. En clair du détournement de fonds publics. Les lubies du sieur Pébereau n’ont toutefois pas dépassé le temps de sa colère. Un mot d’Omar Bongo : « Il est impossible que la BNP se retire du Gabon, a-t-il expliqué aux Français, ce serait désastreux pour l’image du pays ». Une mutation des deux cadres locaux de la Bicig vers d’autres cieux, et tout est rentré dans l’ordre. Ouf…
Ensuite, la banque correspondante de la Bred au Gabon, la BGFI Bank (anciennement Paribas Gabon), inquiétait le groupe français. A Libreville, la BGFI traitait les affaires de la Bred, recevant et effectuant des paiements, en plus des autres services rendus pour le compte de l’établissement français. Cette banque visiblement prospère est, bien plus que les autres, liée au pouvoir gabonais. Elle a repris les actifs de la Fiba, la structure franco-gabonaise partiellement détenue par Elf Gabon et qui a servi à bien des turpitudes pétrolières et financières pour le compte d’élites corrompues, à sa liquidation. Son président, Patrick Otha, est directeur général adjoint du cabinet présidentiel. Le directeur général, Henri-Claude Oyima est le petit-neveu de Bongo lui-même, et jouerait, selon La Lettre du Continent, le rôle de conseiller financier du chef de l’Etat. Faut-il d’autres preuves de ces liens indéfectibles ? Au conseil d’administration de la banque figurent Pascaline (mademoiselle fille) et Christian Bongo (l’un des fils, cadre multicartes, de la finance à la compagnie aérienne), ainsi que le ministre Jean Ping. Bref, une brochette de gens de bonne compagnie.
Là encore, à la BGFI Bank, les mouvements d’argent semblaient suffisamment curieux pour justifier que les pontes du groupe français suspendent ces relations trop étroites avec les Gabonais. Surtout les retraits réguliers d’argent liquide en faveur de quelques mystérieuses sociétés et d’une poignée de particuliers gourmands, dont un consultant journaliste français visiblement habitué aux belles mallettes rembourrées…