Les enquêtes de l’IGS sur les « tricocheurs » du ministère de l’Intérieur, dans l’affaire Moigne/Total, provoquent bien des remous. État des lieux.
« Voilà une enquête qui ne se hâte pas », ironise l’un des acteurs de l’IE (intelligence économique) qui connaît bien plusieurs protagonistes de cette affaire. Et de s’étonner que, s’il subsistait encore des traces d’une mission confiée par Total à un détective privé, le groupe aura eu tout le temps nécessaire pour faire le ménage à fond. Entendu par l’Inspection générale de services (IGS), un témoin assure à Bakchich : « La procédure est déjà rentrée et l’IGS a le désir d’aller très vite ». Un enquêteur aurait lâché cette confidence : « On ne cherche pas à tout savoir, on cherche à faire tomber Moigne et puis c’est tout ». Bakchich a déjà eu l’occasion de souligner que Moigne, depuis des années, sentait le souffre et que ses activités de tricocheur relevait du secret de polichinelle.
Sur la base de plusieurs sources concordantes, nous avions aussi pointé l’étrange sentiment d’impunité qui semblait l’habiter : « Je suis intouchable », confiait t-il, tout en alertant certains de ses contacts de prendre de grandes précaution au téléphone car prévenait–il, « Toute la financière est sur écoute ». Avertissement lancé il y a un an… Ce sentiment d’invulnérabilité – démenti par les faits – peut certes apparaître comme des fanfaronnades de fin de repas d’un bon vivant. Mais peut-être Moigne faisait-il le calcul qu’avant de mettre les mains dans le cambouis de la P.P, même les « bœufs carottes » y regarderaient à deux fois. Joint au téléphone, Maître Thierry Dourdin, son avocat, refuse de parler à la presse, « d’une façon générale et plus encore lorsque je constate le traitement réservé par celle-ci à mon client ». Et de citer en exemple le fait qu’un quotidien ait associé le suicide d’un retraité de la police à Créteil le jour même de l’arrestation de son client. « Deux événements qui n’ont strictement rien à voir », mais qui dans l’esprit de Me Dourdin illustre une volonté de carboniser « d’entrée » son client. On n’en saura pas plus sur la défense de Patrick Moigne.
Patrick Moigne, 48 ans, patron depuis 2003 de la Brigade des fraudes aux moyens de paiement. Soit l’une des sept brigades d’élite des AEF (affaires économiques et financières) de la Préfecture de police de Paris. Mis en examen le 14 mars par le juge Patrick Gachon pour « Corruption passive d’une personne dépositaire de l’autorité publique », le commissaire a été écroué à la Santé, sur appel du Parquet, après avoir été dans un premier temps laissé libre par le juge des libertés. Le commissaire est suspecté d’avoir monnayé de très nombreuses informations confidentielles auxquelles ses fonctions lui donnaient accès. Fichiers de polices, renseignement bancaires, points de permis de conduire, notre commissaire tricochait tous azimuts. Les enquêteurs ont été ainsi été intrigués par la fréquence de recherches sur personnes d’un âge très avancé, souvent centenaires ! Des investigations patrimoniales semble t-il.
En revanche, on connaît mieux l’affaire qui va précipiter sa chute. Une information judiciaire ouverte en juillet 2007 suite à une fausse réquisition faite par Moigne auprès du Crédit Agricole. Ce faux administratif devait lui permettre d’obtenir ainsi des renseignements bancaires confidentiels : une commande du privé Jacques Leroy. Une petite « tricoche » bien ordinaire de l’avis général… Mais les anciens flics reconvertis dans la sécurité au Crédit Agricole découvrent la supercherie. À la tête de ces derniers, René Wack, un ancien patron de l’ OCRGDF (office central pour la répression de la grande délinquance financière). Autant dire qu’entre Wack et Moigne, patron de la brigade des fraudes aux moyens de paiement, on est presque en famille. « En temps normal, sauf inimitié personnelle très marquée une affaire comme celle là aurait du se régler entre quatre yeux » explique un poulet qui précise : « avant de flinguer la carrière d’un collègue, commissaire, qui plus est pour une “maladresse” on y réfléchit à deux fois ». Mais ce coup-là, ça ne passe pas. Ou plus…
Cet enquêteur privé de 55 ans est le patron d’une société d’intelligence économique, « JLR Conseils ». Mis en examen pour « Corruption active d’une personne dépositaire de l’autorité publique », c’est lui qui, au cours de son audition par les policiers de l’IGS, allume la mèche Total en indiquant que le pétrolier aurait été informé, toujours via Moigne, de futures opérations de police dans le cadre d’une affaire judicaire « sensible ». Décrit un ancien collègue « comme la Rolls-Royce des enquêteurs, et un véritable investigateur qui ne se contente pas de sortir des fiches de police », Leroy est lui-même un ancien policier de la brigade financière de Paris… à qui la légende prête de nombreux exploits
Place Beauvau, un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur propose une lecture bien différente de l’affaire Moigne /Total et de ses perspectives. S’agissant de l’enquête en cours il assure que « Ceux qui pensent que l’enquête est terminée se trompent lourdement. Certains prennent peut-être aussi leurs désirs pour des réalités…. Dans tous les cas, c’est mal connaître le fonctionnaire en charge de l’enquête. Eric Meillan, patron de l’ IGS, n’est pas surnommé fortuitement le « fox terrier » de Préfecture de Police. Il ne faut pas douter de sa détermination et l’on peut s’attendre à des développements importants dans les semaines ou les mois à venir ». Si l’on objecte qu’il paraît illusoire – plusieurs semaines après l’interpellation de Moigne – pour l’ IGS de remonter jusqu’au commanditaire ayant souhaité s’informer sur « pétrole contre nourriture » par exemple, la réponse fuse : « Ce type de commande ne fait certainement pas l’objet de bon de commande où figurait noir sur blanc “ Groupe pétrolier missionne officine pour corruption de fonctionnaire de police ”. Le fait que la police, à ce stade, n’ait pas procédé à des perquisitions ne signifie pas qu’elle ne travaille pas. L’enquête sera poussée à fond à la recherche de “ traces techniques ” que le commanditaire et l’exécutant sont susceptibles d’avoir laissées. Lorsque l’on travaille régulièrement ensemble, il faut bien communiquer et cela laisse forcement des traces ».
Ce n’est pas la première fois que la fameuse PJ financière, sise au Château des Rentiers a de forts relents pétroliers. Des « relations durables », ironisent de mauvaises langues en rappelant l’ épisode où le nom d’une grande compagnie pétrolière, Elf, fut associée aux déboires de la police financière de la PP. Le 20 avril 1997, un spectaculaire fric-frac est commis au sein des locaux de la financière. L’affaire avait soulevé une vive émotion au sein de la police comme chez les magistrats. Un gros carton de scellés de l’affaire Elf, alors instruite par Eva Joly, avait mystérieusement disparu. « Pour réussir un tel coup il fallait non seulement être de la maison, posséder une connaissance intime des lieux, mais surtout il fallait savoir que parmi la masse des scellés qui dormaient à la financière certains d’entre eux pouvaient s’avérer “ un peu embêtants ” pour Jacques Chirac », indique une source proche de l’enquête, en relevant encore que « ce voleur extraordinairement bien informé » ne s’était pas trompé de carton
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