Tranquille semaine pour le président sénégalais, il a mis le pays en congés… Un vrai miracle.
Le président du Sénégal, Abdoulaye Wade, est un homme profondément bon. Si, si. Et visionnaire. Pronostiquant sa vicoire au premier tour des présidentielles du 25 février dernier avec 56% des voix, « Gorgui » (le Vieux) l’a au final emporté avec 55% des suffrages et des poussières. Un vrai don de prémonition, et tant pis pour les mesquins qui ont argué qu’il avait fiché le fichier électoral et cadeauté à tout va les leaders d’opinions des différentes localités du Sénégal. Ces perfides ont d’ailleurs ricané à l’approche de son investiture mercredi. Comme l’a relaté Bakchich, les happy-few conviés à la sauterie du 3 avril ont reçu une invitation signée du chef de l’État le 8 mars, quand les résultats officiels ont été proclamés le 10. Hommes de peu de foi, peut-être les portes de la Téranga leur seront-elles un jour ouvertes. Et découvriront-ils l’ampleur du pouvoir Wadiste. Et son infinie bienveillance.
Car le bon Papa Abdoulaye, fier de ses enfants bon votants les a récompensés. En mettant, le temps d’une semaine, son slogan « il faut travailler, encore travailler, toujours travailler » entre parenthèses : trois jours fériés payés ont été accordés aux travailleurs sénégalais, le jour du sacre, mercredi 3 avril, le jour de la fête nationale, le 4 avril et le lendemain 5 avril. « Wade donne nous encore », ont crié durant toute la campagne électorale ses affidés. Là ils ont bien reçu.
Un du pour les hommes en uniforme qui entre répression de la manifestation de l’opposition, le 26 janvier dernier et l’élection ont eu pas mal de boulot. D’autant que les juges français les ont même sollicité pour épingler un vaste trafic de voitures (voir p.3) et qu’ils risquent d’avoir du travail dans les mois qui suivent.
Les législatives de juin prochain se présentent mal, la majorité des partis d’opposition ayant déclaré qu’ils le boycotteraient et ne laisseraient pas se passer une nouvelle « mascarade » électorale. Une chance, la deadline pour le dépôt des listes est fixée au vendredi 7 avril lendemain des jours fériés présidentiels et veille du week-end Pascal. Une période intense…
Cerise sur la gâteau, ces pisse-froid de journalistes, que depuis son éclatante victoire, Wade boude et méprise, ne sont pas venus l’embêter pendant son sacre. Jour fériés obligent, ni impression ni journaux. Gratte-papiers sénégalais s’entend, dont beaucoup ont même boudé tant la cérémonie d’investiture que le défilé de la fête nationale et l’inauguration des travaux du nouvel aéroport Blaise Diagne de Dakar le lendemain. Pas grave, au moins n’ont-ils pas gâché la fête en relayant les menaces de boycott de l’opposition, les méchantes rumeurs relatives aux ambitions politiques du fils de Wade Karim – ce que l’intéressé a démenti à Bakchich – ou en glosant sur l’amputation du défilé de la fête nationale, en raison de l’inauguration du chantier du nouvel aéroport, dont Karim est le grand ordonnateur.
Les illustres plumes étrangères ont, elles, été bien accueillies, et leurs chambres réservées et payées dans les grands hôtels dakarois. L’étranger a d’ailleurs été à l’honneur, un bon prophète ne l’étant jamais dans son pays. Au moins dix huit chefs d’État africains ont honoré le président de leur présence au stade Léopold Sédar Senghor où il a prêté serment pour un nouveau bail de cinq années. Omar Bongo, aux manettes du Gabon depuis quarante ans, a apprécié la liesse des 60000 spectateurs présents en connaisseurs. Le guide libyen Kadhafi a reçu un vibrant hommage, lui qui couve l’un des souteneurs spirituels de Wade, le marabout mondain Cheikh Modou Kara.
Quant à la population dakaroise, elle a eu la joie de voir ressortir tous guillerets, les slips-talibés de Cheikh « Petit Pagne » Thioune, autre marabout fidèle au président. Et de vivre pendant trois jours au son des sirènes des cortèges présidentiels. Déjà très encombrée, du fait des multiples chantiers de l’agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (Anoci), la circulation dans la capitale sénégalaise a été quasi impossible durant trois jours.
Un pays à l’arrêt, tout entier tourné vers son saint président.